Auteurs(trice)
Associé, Droit du travail et de l’emploi, Toronto
Sociétaire, Droit du travail et de l’emploi, Toronto
Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le Tribunal) a récemment rejeté une demande présentée par une employée dans l’affaire Rougoor v. Goodlife Fitness Centres Inc., 2024 HRTO 312, dans laquelle elle alléguait que, en matière d’emploi, son ancien employeur avait fait preuve de discrimination fondée sur le sexe et, en particulier, de harcèlement sexuel, en violation du Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code). Le Tribunal a conclu que l’employée n’avait pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son ancien employeur avait violé le Code du fait qu’il n’avait pas enquêté sur ses plaintes de harcèlement ou avait créé un milieu de travail empoisonné.
Les faits
L’employée a commencé à travailler pour l’employeur, GoodLife Fitness, le 13 novembre 2017, en tant qu’entraîneuse personnelle. Elle a été placée en congé administratif rémunéré le 20 décembre 2017, puis licenciée le 2 janvier 2018. L’employée a allégué avoir déposé des plaintes pour harcèlement avant et après la fin de son emploi. L’employeur a allégué que l’employée n’avait déposé une plainte pour harcèlement que plusieurs mois après la fin de son emploi.
Il s’agissait en particulier de déterminer si l’employeur avait manqué à son obligation, en vertu du Code, d’enquêter sur la plainte de harcèlement déposée par l’employée.
Le cadre juridique
- Il incombait à l’employée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait violé le Code.
- Pour que le critère de la prépondérance des probabilités soit satisfait, il fallait présenter des preuves qui soient claires, convaincantes et fortes (clear, convincing, and cogent evidence).
- La jurisprudence du Tribunal a établi qu’un employeur n’avait pas, en droit, l’obligation de mener une enquête sur le lieu de travail aux termes d’une demande d’enquête reçue après la fin de l’emploi de l’auteur de la demande.
Éléments de preuve et conclusions sur les faits
Le Tribunal a évalué la crédibilité et la fiabilité des témoins, en tenant compte de facteurs tels que la cohérence, la capacité de comprendre et de se souvenir, et l’existence d’éléments de preuve corroboratifs. Il a conclu que les témoins de l’employeur étaient crédibles et que leurs récits concordaient avec les preuves documentaires.
Les allégations de l’employée selon lesquelles elle aurait déposé des plaintes en temps utile auprès de l’employeur n’ont pas été corroborées par des témoins ou des documents et ont été expressément niées par les témoins de l’employeur. Il y avait également des incohérences dans son récit des faits relatifs aux plaintes qu’elle a déposées pendant et après son emploi.
En prenant sa décision, le Tribunal a noté qu’il se fondait en grande partie sur la crédibilité et la fiabilité des témoins des deux parties. Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, il a accepté ceux des témoins de l’employeur lorsqu’ils différaient de ceux de l’employée.
Le Tribunal a conclu que, lorsqu’elle a exprimé sa plainte de harcèlement sexuel, l’employée n’était plus au service de l’employeur, et ce depuis plus de six mois. À ce moment-là, l’employeur n’avait pas, en droit, l’obligation d’enquêter sur les allégations de discrimination. Par conséquent, l’employeur n’a pas manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu du Code d’enquêter sur les plaintes de l’employée.
La décision
En fin de compte, le Tribunal a conclu que l’employée n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait manqué à son obligation d’enquêter sur ses plaintes de harcèlement. Pour prendre sa décision, le Tribunal s’est appuyé sur des éléments prouvant que l’employée n’avait signalé le harcèlement que plusieurs mois après la fin de son emploi.
Observations concernant l’existence d’un milieu de travail empoisonné
Bien que l’employée n’ait pas allégué l’existence d’un milieu de travail empoisonné, le Tribunal a abordé la question par souci d’exhaustivité. Un milieu de travail empoisonné se caractérise par une discrimination ou un harcèlement endémique au travail, à tel point que le fait d’endurer de telles conditions devient une condition d’emploi. Le Tribunal a conclu que le milieu de travail de l’employée n’était pas empoisonné, car l’employeur n’avait pas été informé du harcèlement, n’en avait pas connaissance et ne pouvait pas être censé en avoir connaissance. Si l’employeur n’avait jamais eu connaissance du harcèlement, il n’aurait jamais eu la possibilité de mener une enquête appropriée ou de prendre des mesures raisonnables pour remédier à la situation. En outre, l’employeur avait également mis en place des politiques visant à promouvoir un milieu de travail exempt de harcèlement, qui définissaient la procédure de signalement et d’enquête des incidents de discrimination et de harcèlement au travail. Ainsi, s’appuyant sur l’ensemble des éléments de preuve, le Tribunal a conclu que les allégations de harcèlement de l’employée, même si elles étaient fondées, ne satisfaisaient pas à la norme établissant l’existence d’un milieu de travail empoisonné.
En ce qui concerne la signification juridique de l’existence d’un milieu de travail empoisonné, le Tribunal a confirmé qu’en vertu du paragraphe 46.3(1) du Code, un employeur n’est pas responsable du harcèlement ou de la discrimination pratiqués par ses employés; cependant, si le harcèlement ou la discrimination permettent de conclure à l’existence d’un milieu de travail empoisonné, alors l’employeur a, en réalité, toléré ou sanctionné le comportement interdit et devient alors directement responsable de la violation du Code. Ainsi, le concept juridique de milieu de travail empoisonné n’est pas une simple « couleur » (colour) ou un terme qui vient décrire le harcèlement ou la discrimination ou qui peut se substituer à ces termes, mais présente des considérations stratégiques différentes eu égard à la réponse à donner à une plainte portant sur le milieu de travail ou à une demande déposée auprès du Tribunal.
Conclusion et points à retenir
La décision du Tribunal souligne l’importance pour les employeurs de documenter en bonne et due forme les incidents qui surviennent au travail. Une documentation appropriée fournit à l’employeur une base factuelle à son récit de l’incident, et elle peut être déterminante dans sa défense contre des allégations de violation des lois applicables. Dans cette affaire, l’employeur disposait d’une documentation solide qui appuyait sa version des faits.
La décision souligne également les limites de l’obligation d’un employeur d’enquêter sur une plainte de harcèlement au travail après la fin de l’emploi de l’auteur de la plainte. Toutefois, elle rappelle aux employeurs que, bien que leur obligation de mener une enquête en vertu du Code soit soumise à certaines limites, le fait de ne pas enquêter sur une violation du Code peut entraîner des conséquences, surtout si le Tribunal conclut à l’existence d’un milieu de travail empoisonné, ce qui, à son tour, soulève la question de savoir si l’employeur est responsable. Ainsi, afin de respecter les obligations qui leur incombent en matière de ressources humaines, il est essentiel que les employeurs fassent preuve de prudence en cas d’allégations de discrimination et de harcèlement au travail et s’assurent de s’acquitter de manière suffisante et appropriée de leur obligation d’enquêter.