Auteurs(trice)
Associé, Droit du travail et de l’emploi, Toronto
Sociétaire, Droit du travail et de l’emploi, Toronto
Dans une récente décision, 2551965 Ontario Ltd. v. Warkentin, 2024 ONSC 4876 [en anglais seulement] (l’affaire Warkentin), un tribunal de l’Ontario apporte un éclairage important sur la distinction à faire entre le statut d’employé et celui d’âme dirigeante d’une entreprise. Il souligne également l’importance pour les entreprises d’obtenir des décharges signées de la part des travailleurs dans le contexte de l’achat d’une entreprise.
Contexte
L’affaire Warkentin se rapporte à un différend entre les sociétés demanderesses, 2551965 Ontario Ltd. et Cabin Country Realty Ltd. (Cabin), et le défendeur, Harold Warkentin, fondateur de Cabin. Warkentin a fondé Cabin en 1990 et en a été l’unique propriétaire, dirigeant et administrateur jusqu’à ce qu’il vende l’entreprise à 2551965 Ontario Ltd. en 2016. Pendant son mandat chez Cabin, Warkentin n’avait pas de contrat de travail et ne bénéficiait pas d’un salaire, d’avantages sociaux ou d’un taux de commission déterminés. Au lieu de cela, Warkentin se payait lui-même à même les profits réalisés par Cabin, à son gré.
Dans le cadre de l’achat de Cabin, Warkentin a signé une décharge en faveur de Cabin et a démissionné de ses fonctions d’administrateur et de président. En 2017, quelques mois après avoir vendu Cabin à 2551965 Ontario Ltd., Warkentin a reçu une lettre de licenciement pour cause d’inconduite et de négligence volontaires alléguées, y compris parce qu’il aurait proféré des menaces de violence, eu un comportement non professionnel et prodigué des conseils trompeurs et inappropriés aux clients.
Les demanderesses ont allégué, entre autres, que Warkentin était intervenu à leur encontre dans le cadre de relations contractuelles et économiques. En réaction, Warkentin a déposé une demande reconventionnelle pour licenciement injustifié.
Préavis de licenciement : âme dirigeante c. employé
L’une des questions centrales de cette affaire était de savoir si, pour déterminer ses droits potentiels en matière de préavis en cas de licenciement, il fallait considérer Warkentin comme un employé. Le tribunal a estimé que Warkentin était l’unique âme dirigeante de Cabin avant son achat, et qu’il n’était donc pas un employé de l’entreprise avant sa vente. Avant la vente de Cabin, les fonctions de Warkentin en tant qu’âme dirigeante de Cabin se distinguaient de celles des employés de Cabin à plus d’un titre :
- Dirigeant autonome. Warkentin prenait pour Cabin, à son gré, toutes les décisions en matière d’embauche et de licenciement et toutes les autres décisions clés touchant l’exploitation, telles que les régimes d’avantages sociaux et les taux de commission de ses employés, sans être contraint d’obtenir l’acquiescement de supérieurs hiérarchiques. Bien que le tribunal ait reconnu qu’une personne pouvait, par exemple, « [Traduction libre] être à la fois administrateur et employé d’une entreprise », cette distinction devait être démontrée par des faits tels qu’un contrat de travail ou l’engagement dans des rapports hiérarchiques en tant que subalterne.
- Absence de contrat de travail. Warkentin n’a jamais eu de contrat de travail avec Cabin et n’a jamais signé de contrat de travail après l’achat de Cabin. Cela veut dire que Warkentin n’était pas soumis aux politiques et procédures usuelles de l’entreprise, notamment en ce qui concerne les évaluations de rendement, les programmes d’incitation au rendement, les barèmes de salaire ou de rémunération, ainsi que les périodes et les indemnités de vacances.
- Absence de date d’entrée en fonction déterminée. Étant donné que Warkentin n’a jamais eu de contrat de travail, sa date d’entrée en fonction chez Cabin n’a jamais été déterminée d’un commun accord. Le contrat d’achat d’actions que Warkentin et les sociétés ont conclu contenait des clauses restrictives, mais ne mentionnait pas plus sa date d’entrée en fonction.
- Revenus discrétionnaires. Warkentin déterminait unilatéralement ses revenus et ceux de sa femme sur la base des fonds disponibles de Cabin, après avoir payé les salaires des employés et couvert les frais d’exploitation de Cabin. Warkentin n’a pas non plus produit de T-4 pour les revenus qu’il a tirés de Cabin entre 1990 et 2009. Le tribunal note que le « statut d’emploi » obscur de Warkentin pendant cette période indique que cela faisait partie d’un « dispositif de planification fiscale » (tax planning device).
Le tribunal a conclu, entre autres, que Warkentin n’avait pas été un employé de Cabin jusqu’à sa vente à 2551965 Ontario Ltd. et que son emploi avait débuté le 1er janvier 2017, date de son embauche par les nouveaux propriétaires de Cabin. Cette distinction était cruciale pour la détermination des droits de Warkentin en matière de préavis : au moment du licenciement, il était ainsi un employé comptant 10 mois de service, et non un employé comptant plus de 27 années de service.
Décharge applicable
En outre, même si Warkentin avait été considéré comme un employé de Cabin et non comme son âme dirigeante avant la vente, le tribunal a estimé que la décharge générale qu’il avait signée dans le cadre de la vente de Cabin aurait à elle seule libéré Cabin de toute réclamation que Warkentin aurait pu avoir à l’encontre de l’entreprise avant sa vente, y compris en ce qui concerne ses services de 1990 à 2016 aux fins du calcul du préavis raisonnable de licenciement. Cela renforce l’importance cruciale pour les acheteurs d’obtenir des décharges générales bien rédigées de la part des principaux vendeurs, en particulier ceux qui ont participé à l’exploitation de l’entreprise avant la vente.
Conclusion et points à retenir
La décision dans l’affaire Warkentin souligne l’importance de définir clairement les fonctions et les statuts des « âmes dirigeantes » d’une entreprise en ce qui concerne les droits en matière de préavis.
Pour les fondateurs ou les propriétaires qui se considèrent comme des employés et qui souhaitent conserver certains droits légaux en tant qu’employés, il est important de confirmer la nature de leur relation avec l’entreprise (par exemple, en concluant un contrat de travail dûment rédigé).
Pour les employeurs, cette décision est un bon rappel du fait que la loi établit une distinction entre le statut d’employé et celui d’âme dirigeante d’une entreprise, mais que ce sont les faits et la nature de la relation qui seront déterminants.
Pour les acheteurs, la nature de la relation entre le fondateur ou le propriétaire et l’entreprise doit être évaluée avec soin au cours du contrôle préalable. Il est primordial de définir clairement les objectifs de l’acheteur en ce qui concerne la relation qu’il entend avoir avec le fondateur ou le propriétaire au moment de la rédaction du contrat de travail (ou autre entente de services) devant entrer en vigueur après la clôture de l’opération et de la décharge générale qu’il y a lieu de signer au moment de sa clôture.