Il n’est pas rare qu’une poursuite en justice soit réglée avant que le procès n’ait lieu. Qu’il s’agisse d’un différend entre actionnaires, d’une opération immobilière, d’un contrat de droits d’utilisation de logiciel ou d’un projet de construction, de nombreuses poursuites intentées devant nos tribunaux se terminent par une entente de règlement entre les parties concernées.
Il arrive que les parties qui se sont engagées dans des négociations en vue d’un règlement divergent d’opinion sur la question de savoir si une entente de règlement a effectivement été conclue. L’affaire Sumarah v. International Property Group (Toronto) Limited, 2024 ONSC 334, en est un exemple. Dans cette affaire, lejuge Perell a été chargé de déterminer si les faits en l’espèce permettaient de conclure qu’une entente de règlement avait été conclue. Dans ses motifs, il s’est lancé dans une évaluation intéressante des faits et dans une discussion sur le droit relatif aux ententes de règlement.
Le contexte
Le différend portait sur une opération immobilière avortée. L’acheteur (le défendeur) a demandé le rejet de l’action et de la demande reconventionnelle, faisant valoir que le litige avait été réglé lorsqu’il a acheté le bien immobilier en question aux termes d’une convention d’achat et de vente modifiée[1]. Les vendeurs (les demandeurs) ont contesté l’assertion selon laquelle le litige était réglé, estimant que la vente ultérieure était une mesure d’atténuation de la première opération avortée et ne réglait pas le litige[2].
Les parties s’étaient entendues sur la vente d’un bien immobilier appartenant aux vendeurs, mais, dans un premier temps, l’opération n’a pas abouti. Les vendeurs ont ensuite intenté une poursuite contre l’acheteur pour rupture de contrat, contre laquelle l’acheteur s’est défendu et a introduit une demande reconventionnelle visant la restitution de son dépôt et le versement de dommages-intérêts pour déclaration inexacte entachée de négligence[3]. Après avoir déposé leurs plaidoiries, les parties ont suspendu le litige et ont entamé des discussions en vue d’un règlement comportant la modification de la convention d’achat et l’échange de quittances. Après avoir négocié une convention d’achat modifiée, puis une convention d’achat « modifiée-modifiée », les parties ont finalement conclu la vente[4].
Un an et demi plus tard, les vendeurs ont modifié leur déclaration dans le cadre du litige pour affirmer que la convention modifiée-modifiée n’était qu’une mesure d’atténuation de leurs dommages pour rupture de contrat à la suite de la première opération avortée et ne réglait pas le litige[5]. L’acheteur a alors présenté une défense et demande reconventionnelle modifiée, puis a introduit la motion en rejet de l’action et de la demande reconventionnelle (toujours en cours), qui a été entendue par le juge Perell[6].
Les interprétations divergentes des faits bruts par les vendeurs et l’acheteur
Les parties se sont entendues sur le droit normatif des contrats qui s’applique aux ententes de règlement, mais n’étaient pas d’accord sur la manière d’interpréter les faits bruts à la lumière du droit applicable[7].
D’une part, l’interprétation des vendeurs était que l’acheteur avait violé la première convention et que, dans la mesure où les quittances n’avaient jamais été convenues et signées, la vente du bien immobilier conformément à la convention modifiée-modifiée ne réglait pas le litige. Au contraire, les vendeurs ont soutenu que la seule conséquence de la vente du bien immobilier était que les vendeurs avaient atténué les dommages qu’ils avaient subis en raison de la violation de la première convention par l’acheteur[8].
D’autre part, l’interprétation de l’acheteur était que les parties avaient réglé le litige. Selon l’acheteur, le règlement comportait trois conditions essentielles : a) les parties concluraient la vente du bien immobilier en question, b) les parties échangeraient des quittances réciproques et c) l’action et la demande reconventionnelle seraient rejetées sans dépens. En outre, l’acheteur a fait valoir que les parties avaient mutuellement rempli la première condition essentielle de leur entente de règlement conformément à la convention d’achat et de vente modifiée-modifiée, mais que les vendeurs étaient revenus sur l’entente de règlement, premièrement, en traitant la conclusion de la vente comme une mesure d’atténuation plutôt que comme une condition de l’entente de règlement et, deuxièmement, en refusant d’échanger des quittances pour que l’action et la demande reconventionnelle soient rejetées[9].
Les conclusions
Le juge Perell a finalement conclu que les parties étaient parvenues à une entente de règlement et a accueilli la motion de l’acheteur rejetant l’action et la demande reconventionnelle.
Dans ses motifs, le juge Perell a pris en considération la chronologie des événements et les diverses correspondances échangées entre les parties pendant la pause du litige[10]. Entre autres, le juge Perell a noté que l’acheteur avait mentionné qu’il accepterait de régler le litige sur la base d’une opération relancée et que le vendeur avait déclaré qu’une quittance de l’acheteur relativement à sa demande reconventionnelle était nécessaire dans le cadre d’une opération relancée[11].
En ce qui concerne le droit relatif aux ententes de règlement, le juge Perell a déclaré ce qui suit :
[traduction libre] Une entente de règlement est assujettie aux règles qui s’appliquent ordinairement aux contrats. Pour qu’il y ait une entente de règlement contraignante, les parties doivent avoir l’intention réciproque de créer une entente juridiquement contraignante et doivent avoir convenu des conditions essentielles de l’entente. Pour déterminer si un contrat a été conclu, il faut examiner objectivement le comportement des parties, y compris les termes qu’elles ont utilisés. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’elles soient parvenues à s’entendre sur des questions accessoires, telles que le mode de paiement ou l’échange de quittances. Une entente de règlement exécutoire peut être conclue de vive voix, par écrit, par correspondance ou par échange de courriels[12].
Le juge Perell a approuvé l’interprétation des faits bruts par l’acheteur, estimant que [traduction libre] « l’échange de courriels constitue une entente de règlement (procès-verbal du règlement du litige) »[13]. Il a noté ce qui suit :
[traduction libre] Les parties ont rédigé l’entente de règlement sans l’aide de leurs avocats. Les conditions fondamentales du procès-verbal du règlement sont au nombre de trois : a) les parties modifieraient la convention d’achat et de vente du [bien immobilier en question] pour un prix d’achat de 3,4 millions de dollars et concluraient l’opération, b) les parties échangeraient des quittances réciproques et c) le litige serait rejeté ou abandonné sans dépens[14].
Malgré l’interprétation des faits bruts par les vendeurs, le juge Perell a conclu que [traduction libre] « il ressort clairement de l’échange de courriels et du comportement des parties que l’objectif de la revente du bien immobilier était de mettre fin au litige qui avait été suspendu par [les vendeurs] »[15].
Points à retenir
Cette affaire donne un aperçu intéressant des cas dans lesquels les tribunaux considèrent qu’une entente de règlement a été conclue et qu’elle est exécutoire. Le juge Perell a cité la jurisprudence selon laquelle les parties n’ont pas à s’entendre sur des questions accessoires, telles que le mode de paiement ou l’échange de quittances. En fin de compte, l’interprétation des faits bruts montrant l’intention et les conditionnelles essentielles de l’entente de règlement a prévalu dans sa décision.
[1] Sumarah v. International Property Group (Toronto) Limited, 2024 ONSC 334, par. 1.
[2] Affaire Sumarah, par. 2.
[3] Affaire Sumarah, par. 5, 18, 19.
[4] Affaire Sumarah, par. 6, 50.
[5] Affaire Sumarah, par. 2, 6, 53.
[6] Affaire Sumarah, par. 54-55.
[7] Affaire Sumarah, par. 4.
[8] Affaire Sumarah, par. 7.
[9] Affaire Sumarah, par. 8.
[10] Affaire Sumarah, par. 11-56.
[11] Affaire Sumarah, par. 65.
[12] Affaire Sumarah, par. 58 (notes de bas de page omises).
[13] Affaire Sumarah, par. 67.
[14] Affaire Sumarah, par. 68.
[15] Affaire Sumarah, par. 78.