Auteurs(trice)
Associé, Litiges, Toronto
Associée, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Au début de l’année, la Cour divisionnaire de l’Ontario a rendu sa première décision [en anglais seulement] autorisant une requête en révision judiciaire d’une décision d’un arbitre intérimaire. Ce faisant, elle a donné quelques indications sur les circonstances dans lesquelles une requête en révision judiciaire d’une décision d’un arbitre intérimaire pouvait être autorisée.
Le contexte
Le collège Lambton (le Collège) a retenu les services d’un entrepreneur, Dixin Construction Ltd. (Dixin), pour qu’il effectue certains travaux d’amélioration sur le campus, y compris à l’entrée ouest et à la librairie du campus (le projet). À ces fins, Dixin a retenu les services d’un sous-traitant, Ledore Investments Limited, faisant affaire sous la dénomination de Ross Steel Fabricators & Contractors (Ross Steel).
Le projet a accusé un retard parce que Ross Steel a livré avec environ cinq mois de retard l’acier qu’elle était tenue de livrer aux termes de son contrat de sous-traitance. La Cour divisionnaire a noté que Ross Steel avait imputé le retard à des problèmes imprévus dans la chaîne mondiale d’approvisionnement en acier, mais que Dixin avait rejeté la faute sur Ross Steel.
Après avoir remis un avis de défaut d’exécution à Ross Steel, Dixin a résilié le contrat de sous-traitance au motif que Ross Steel était en défaut pour ne pas avoir arrêté un échéancier pour l’exécution du contrat et pour ne pas avoir exécuté le contrat en temps utile, et que ses travaux nécessitaient également des réparations. Dixin lui a également demandé de la compenser pour les coûts liés au retard sur le projet.
La décision de l’arbitre intérimaire
Ross Steel a entamé une procédure d’arbitrage intérimaire dans le cadre de laquelle elle a demandé, notamment, le paiement de trois factures totalisant 349 263,57 $ (y compris les retenues connexes). En outre, elle a contesté les demandes de compensation de Dixin.
La Cour divisionnaire a noté que Dixin avait reçu les trois factures de Ross Steel et qu’elle avait reçu du propriétaire, le Collège, les sommes dues à Ross Steel. Même si elle n’a pas remis à Ross Steel un « avis de non-paiement » dans le délai prévu par les dispositions relatives aux paiements rapides de la Loi sur la construction[1], Dixin a refusé de « faire des paiements sur » (pay down) les factures de Ross Steel.
La Cour divisionnaire a reconnu que l’argument de Ross Steel sur l’arbitrage intérimaire concernant les trois factures était simple : puisque Dixin ne lui avait pas remis un avis de non-paiement à l’égard de l’une ou l’autre des trois factures dans le délai prévu par la Loi sur la construction, Dixin était, selon elle, tenue de payer les factures.
Dixin a rétorqué que, même si elle n’avait pas remis d’avis de non-paiement, elle était en droit de retenir le paiement des factures à titre de compensation parce que les travaux de Ross Steel comportaient des lacunes et qu’ils avaient retardé le projet. Dixin a également fait valoir que le montant des retenues associées aux trois factures n’était pas encore exigible et a noté que Ross Steel n’avait toujours pas livré sur le site une partie de l’acier qu’elle devait livrer aux termes du contrat de sous-traitance.
L’arbitre intérimaire a conclu que Dixin n’était pas tenu de payer Ross Steel pour les trois factures, mais la Cour divisionnaire a noté que le raisonnement de l’arbitre intérimaire reposait sur un point qu’aucune des parties à l’arbitrage intérimaire n’avait soulevé.
L’arbitre intérimaire s’est appuyé sur la conclusion que, puisque les factures que Dixin avait remises au Collège n’étaient pas des factures en bonne et due forme, les dispositions relatives aux paiements rapides ne s’appliquaient pas, et ce malgré le fait qu’aucune des parties n’avait soulevé cette question et que Dixin n’avait même pas joint les factures à ses documents. L’arbitre intérimaire a noté dans sa décision que, si les factures que Dixin avaient remises au Collège avaient été des factures en bonne et due forme, il aurait conclu que les factures de Ross Steel devaient être payées.
La décision de la Cour divisionnaire
Dans sa décision, la Cour divisionnaire a abordé trois questions soulevées par la requête : (1) la révision judiciaire de la décision de l’arbitre intérimaire était-elle possible en l’espèce en vertu de l’un des motifs prévus par la Loi sur la construction, (2) si la révision judiciaire était possible, y avait-il eu violation de l’équité procédurale par l’arbitre intérimaire, et enfin (3) s’il y a eu violation de l’équité procédurale, quelle était la mesure corrective appropriée.
Question n° 1 – Possibilité de révision judiciaire
La Cour a estimé qu’une révision judiciaire était possible en vertu de la Loi sur la construction en l’espèce, car l’arbitre intérimaire avait violé les principes d’équité procédurale.
La Cour divisionnaire a indiqué que, bien que la Loi sur la construction ne fasse pas expressément référence aux principes d’équité procédurale, elle prévoit que les arbitrages intérimaires doivent être menés conformément à la procédure établie dans le règlement de la Loi sur la construction (entre autres choses). Le règlement prévoit que le « code de déontologie des arbitres intérimaires doit traiter des principes d’équité procédurale ».
Question 2 – Violation de l’équité procédurale
Dixin a tenté de faire valoir qu’il n’y avait pas eu violation de l’équité procédurale en l’espèce, parce que, dans le contexte des arbitrages intérimaires, les parties ont droit à des protections procédurales limitées.
En réponse à cela, la Cour divisionnaire a estimé que Ross Steel n’avait pas droit à [traduction libre] « l’ensemble des protections procédurales qui s’appliqueraient, par exemple, dans le cadre d’un arbitrage définitif ou d’une audience judiciaire »; cependant, [traduction libre] « le droit d’être entendu sur la question déterminante est un élément central de protections procédurales encore plus limitées ».
En l’espèce, la Cour divisionnaire a noté qu’il existait bon nombre de questions au sujet desquelles Dixin et Ross Steel, acteurs expérimentés du secteur de la construction, auraient pu communiquer de précieux renseignements à l’arbitre intérimaire si les parties avaient été invitées à présenter des observations sur l’interprétation correcte de la Loi sur la construction, notamment :
- est-ce que le fait que Dixin n’a pas remis une « facture en bonne et due forme » au Collège devrait lui permettre de retenir le paiement à Ross Steel même après avoir reçu un paiement du Collège?
- quelle disposition de la Loi sur la construction exige, le cas échéant, qu’un entrepreneur remette une « facture en bonne et due forme » au propriétaire pour que le reste des dispositions relatives aux paiements rapides s’appliquent?
- quel effet aurait l’obligation de remettre des « factures en bonne et due forme » pour que les dispositions relatives aux paiements rapides s’appliquent sur les politiques et les choix législatifs qui sous-tendent la partie I.1 de la Loi sur la construction?
La Cour divisionnaire a estimé que [traduction libre] « les droits procéduraux en l’espèce n’étaient pas si faibles qu’ils éliminaient le droit fondamental d’être entendu sur la question déterminante ».
Bien que les décisions d’arbitres intérimaires soient provisoires, elles n’en sont pas moins importantes, car elles sont contraignantes dans l’attente de la décision définitive. La partie perdante dans le cadre d’un arbitrage intérimaire est tenue de payer dans les 10 jours le montant prévu par la décision de l’arbitre intérimaire, décision qui peut être rendue exécutoire par une ordonnance du tribunal. En outre, la Cour divisionnaire a estimé que, même s’il prône l’efficience, le régime législatif n’empêche pas l’arbitre intérimaire de demander des observations écrites supplémentaires sur des questions déterminantes.
En fin de compte, la Cour divisionnaire a souligné qu’il est « fondamentalement injuste » (fundamentally unfair) qu’une partie perdante n’ait pas la possibilité d’aborder une question déterminante.
Question n° 3 – Mesure corrective appropriée
Ross Steel a fait valoir que la Cour divisionnaire devait annuler la décision de l’arbitre intérimaire et y substituer sa propre analyse. La Cour divisionnaire n’était pas de cet avis.
Même lorsqu’un tribunal estime, dans le cadre d’une révision judiciaire, qu’une décision est déraisonnable, il convient le plus souvent de renvoyer l’affaire à l’instance administrative en cause pour qu’elle reconsidère sa décision en tenant compte des motifs invoqués par le tribunal. En l’espèce, la Cour a noté que l’arbitre intérimaire avait une expertise dans le secteur de la construction et qu’il devait être autorisé à réexaminer sa décision à la lumière des observations des parties et de tout élément de preuve supplémentaire concernant la question litigieuse, sans tenir compte du retard que cela pourrait causer.
Les principaux points à retenir
Jusqu’à présent, les parties qui ont exercé leur droit de demander l’autorisation de présenter une requête en révision judiciaire auprès de la Cour divisionnaire n’ont généralement pas obtenu gain de cause (comme nous l’exposions dans notre précédent billet de blogue [en anglais seulement]).
Dans sa décision, la Cour divisionnaire indique que ce ne sera pas toujours le cas. Elle souligne que, bien que l’arbitrage intérimaire soit censé être une procédure abrégée et provisoire, les parties à un arbitrage intérimaire disposent toujours de certains droits procéduraux importants, qui seront protégés. En outre, elle a clarifié pour les arbitres intérimaires les limites de leur autorité et de leurs pouvoirs inquisitoriaux, y compris celui d’inviter à présenter des observations. Comme le nombre d’arbitrages intérimaires, tout comme les sommes à payer à l’issue de ceux-ci, ont augmenté en Ontario (voir notre précédent billet de blogue [en anglais seulement]), il est important que les parties connaissent leurs droits en vertu de la Loi sur la construction. La décision de la Cour divisionnaire ajoute un élément supplémentaire pour les parties qui envisagent de présenter une requête en révision judiciaire d’une décision défavorable rendue par un arbitre intérimaire.
[1] En vertu de la Loi sur la construction, le propriétaire qui reçoit une « facture en bonne et due forme » de son entrepreneur dispose de 28 jours pour la payer ou de 14 jours pour lui remettre un « avis de non-paiement » en la forme prescrite par la Loi. Si sa facture est acquittée intégralement par le propriétaire, l’entrepreneur doit soit payer son sous-traitant dans les sept jours suivant la date de réception du paiement, soit lui remettre un « avis de non-paiement » en la forme prescrite par la Loi dans les 35 jours suivant la date de remise de la facture en bonne et due forme au propriétaire.