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Attention au délai de prescription contractuel

10 Juil 2024 8 MIN DE LECTURE

Il n’est pas rare que les contrats de construction comportent des dispositions sur le règlement des différends. Les acteurs du secteur recourent à un large éventail de processus pour gérer et régler les réclamations. Il peut s’agir de dispositions simples, telles que celles contenues dans le formulaire de contrat CCDC-2, ou de processus de règlement élaboré exigeant des examens à plusieurs niveaux selon un échéancier établi. Au cours d’un processus de règlement des réclamations, les parties doivent porter une attention particulière à leurs obligations et à leurs droits contractuels en matière de règlement des différends, notamment en ce qui concerne les délais de prescription.

La Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario (la Loi) prévoit un délai de prescription de base de deux ans fondé sur le concept de découverte. Elle stipule que les parties à un « accord commercial » peuvent modifier le délai de prescription dans certaines circonstances et de la manière précisée.Les processus de règlement des différends contractuels, y compris les processus élaborés prévoyant plusieurs niveaux d’examen et des délais stricts, peuvent inclure des délais de prescription limitant la capacité d’une partie à recourir à une procédure judiciaire. C’était le cas dans la décision rendue récemment dans la cause MTO v. J&P Leveque Bros. Haulage Ltd. (Leveque) où la question de l’application d’un délai de prescription contractuel était au cœur du litige.

Dans l’affaire Leveque, la Cour a analysé une réclamation du ministre des Transports de l’Ontario (MTO) qui avait suivi un processus élaboré de règlement des différends contractuels à plusieurs niveaux. La Cour a soutenu que, même si la réclamation du Ministre respectait les délais fixés par les articles 4 et 5 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, le contrat de construction était un « accord commercial » au sens de l’article 22 de la Loi, dans lequel les parties avaient modifié le délai de prescription de base prévu dans la Loi. À l’examen des faits, la Cour a conclu que la réclamation du Ministre était prescrite en raison des modalités du contrat de construction, qui prévoyait que si l’une des parties souhaitait intenter une action en justice, a) elle devait suivre le processus de règlement des différends et b) l’action en justice devait être introduite au plus tard deux ans après la date d’exécution du contrat. En fin de compte, le Ministre a omis d’introduire une action en justice dans les deux ans suivant la date d’exécution du contrat et, par conséquent, son action a été rejetée.

Introduction

En novembre 2022, le gouvernement de l’Ontario (Sa Majesté le Roi du chef de l’Ontario, représenté par le ministre des Transports) (MTO) a poursuivi en justice J & P Leveque Bros. Haulage Ltd. (Leveque), entrepreneur en construction routière, pour la somme de 1 769 023,40 $. La somme approximative de 1,8 million de dollars que réclamait le MTO faisait partie d’un jugement arbitral rendu par un comité de l’Alternative Dispute Resolution Institute of Ontario.

Dans l’action en justice, le MTO a fait valoir que, conformément au contrat de construction qu’il avait conclu avec Leveque, le jugement arbitral n’était que provisoire et qu’il avait le droit d’intenter une action pour obtenir le remboursement des quelques 1,8 million de dollars qu’il avait versés à Leveque.

Leveque a demandé un jugement sommaire afin que l’action du MTO soit rejetée, soutenant que le délai dont le MTO disposait pour intenter une action en justice était écoulé selon les dispositions relatives au règlement des différends du contrat de construction. Leveque a avancé que a) le contrat de construction était un « accord commercial » au sens de l’article 22 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions et b) la réclamation du MTO était prescrite en raison des modalités du contrat de construction. Leveque a affirmé que, même si la réclamation du MTO respectait les délais fixés par les articles 4 et 5 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, ces délais avaient été remplacés par des délais prescrits par les parties dans leur accord commercial et, par conséquent, le recours du MTO à une procédure judiciaire n’avait pas été présenté dans les délais. Le MTO a admis que le contrat de construction était un « accord commercial ». Il a toutefois fait valoir que s’il était interprété correctement, le libellé du contrat de construction n’avait pas remplacé le délai de prescription prévu dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions.

Contrat de construction

Le contrat de construction entre Leveque et le MTO portait sur l’enlèvement et le remplacement de l’asphalte, le nivellement et l’amélioration du drainage. Il comprenait a) l’appel d’offres, b) les dessins et les dessins types ainsi que c) les conditions générales du contrat du MTO applicables aux dispositions spéciales types de la province de l’Ontario (les conditions générales).

Conformément aux définitions de « contrat de construction » et d’« avis de protestation » ainsi qu’aux clauses GC 3.14.13.07.03 et GC 3.14.14.02 du contrat de construction, ni le MTO ni Leveque ne pouvaient recourir à une procédure judiciaire à moins que a) le processus d’examen du contrat ou le processus de révision n’ait suivi leur cours et b) l’action en justice ait été introduite au plus tard deux ans après la date d’exécution du contrat. Le contrat de construction prévoyait un « processus de règlement des différends élaboré » comprenant un processus d’examen des réclamations à trois niveaux, un processus d’arbitrage, une décision arbitrale, un avis de protestation et une période de 60 jours pour envisager des processus substitutifs de règlement des différends, à l’issue duquel le MTO ou Leveque pouvaient intenter une action en justice.

Chronologie du règlement du différend

La Cour a jugé que, puisque le contrat de construction était exécuté le 9 juillet 2019, conformément à ses modalités, si l’une des parties souhaitait intenter une action en justice, a) le processus de règlement des différends devait être suivi et b) l’action en justice devait être introduite au plus tard le 9 juillet 2021.

Elle a ensuite établi une chronologie des mesures prises par les parties dans le cadre du règlement du différend.

Le délai de prescription prévu dans le contrat de construction s’appliquait-il de manière à exclure la réclamation du MTO au motif qu’elle avait été présentée en dehors des délais?

La Cour a examiné la question de savoir si le délai de prescription dans le contrat de construction s’appliquait de manière à exclure la réclamation du MTO au motif qu’elle avait été présentée en dehors des délais. Elle a examiné plus précisément si, conformément à l’alinéa 22(5)1 de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, le délai de prescription de deux ans qui y est prévu avait été modifié par le contrat de construction.

Après avoir considéré l’argument de Leveque, la Cour a donné raison à Leveque et conclu que l’action en justice du MTO avait été introduite en dehors des délais et qu’il y avait prescription compte tenu des clauses contractuelles[2]. En analysant les clauses contractuelles qui visaient à modifier le délai de prescription prévu par la Loi, la Cour s’est référée à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans la cause Boyce v. Co-Operators General Insurance Co, déclarant ce qui suit :

[Traduction] Dans Boyce v. Co-operators General Insurance Co., la Cour d’appel a affirmé que lorsqu’un tribunal est devant une clause contractuelle qui vise à écourter un délai de prescription prévu par la loi, il doit déterminer si la clause a) décrit en termes clairs un délai de prescription, b) précise le champ d’application de ce délai de prescription et c) exclut l’application d’autres délais de prescription. À mon avis, c’est ce que fait le libellé du contrat de construction dans le cas présent[3].

La Cour a finalement estimé que les parties avaient conclu un accord commercial (au sens de la Loi de 2002 sur la prescription des actions), lequel accord « substitue clairement un délai de prescription à celui prévu par la Loi de 2002 sur la prescription des actions ». Compte tenu de ces constatations, l’action du MTO a été rejetée.

Points à retenir

Les clauses relatives aux délais de prescription peuvent constituer un aspect crucial d’un régime de règlement des différends d’un contrat. Elles peuvent régir la période pendant laquelle les actions en justice doivent être valablement intentées contre une contrepartie.

La cause Levequeconstitue une mise en garde pour les participants au projet et met en lumière plusieurs considérations importantes. Premièrement, au début d’un projet de construction, il est prudent d’examiner attentivement les délais de prescription contractuels afin de déterminer l’incidence qu’ils peuvent avoir sur les droits d’une partie. Deuxièmement, Leveque rappelle que les tribunaux peuvent appliquer les clauses contractuelles relatives au délai de prescription s’ils jugent que leur libellé et leur champ d’application sont clairs et précis, et exclure l’application d’autres délais de prescription. Troisièmement, dans la mesure où un délai de prescription contractuel est plus court que le délai de prescription de base de deux ans prévu par la Loi de 2002 sur la prescription des actions, Leveque rappelle sévèrement aux parties qu’elles doivent être particulièrement diligentes dans le suivi des délais applicables lorsqu’elles intentent une action en justice pour régler un différend.

Ce blogue est un extrait d’un article publié le 19 juin 2024 dans Canadian College of Construction Lawyers Legal Update, no 167.