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Les tribunaux confirment qu’il est difficile d’annuler une ordonnance portant reconnaissance et exécution d’une sentence arbitrale en vertu de la Loi type de la CNUDCI

8 Mai 2024 10 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Lauren Tomasich

Associée, Litiges, Toronto

Rohan Shah

Sociétaire, Litiges, Toronto

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire La Française IC 2 v. Wires[1] reflète la sévérité des conditions qui doivent être remplies pour qu’une ordonnance portant reconnaissance et exécution d’une sentence arbitrale soit annulée en vertu de l’article 35 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (la Loi type)[2].

La Cour d’appel a convenu avec le juge des requêtes que cela constituerait un abus de procédure que de permettre à l’appelant de revenir sur les questions relatives à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre, alors que l’appelant n’a interjeté aucun appel à leur égard après que l’institution d’arbitrage les a rejetées. En outre, dans sa décision, la Cour souligne que des questions de forme, telles que des incohérences entre la désignation et la dénomination d’une société, n’empêcheront pas facilement l’exécution d’une sentence arbitrale.

Le contexte

En avril 2019, le défendeur, David Wires, a conclu avec le demandeur, IC2 Fund, SICAV-FIS (le Fonds), une convention de financement prévoyant la fourniture à M. Wires des fonds requis pour la poursuite de certaines actions en justice. La convention de financement prévoyait que tout différend en découlant ou s’y rapportant devait être résolu par voie d’arbitrage sous l’égide de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm.

En juin 2020, M. Wires a entamé à Londres, en Angleterre, contre le Fonds une procédure d’arbitrage visant à récupérer 95 000 $ en frais de justice, en perte de revenus d’honoraires et en perte d’opportunité au motif que le Fonds aurait eu une conduite fautive dans le cadre de la convention de financement. Le Fonds a présenté sa réponse et une demande reconventionnelle, laquelle a été réglée en février 2021.

Les circonstances entourant la sentence arbitrale

En avril 2021, l’arbitre unique a rendu une sentence arbitrale rejetant les demandes de M. Wires.

Au cours de l’arbitrage, M. Wires avait soumis, relativement à la nomination de l’arbitre, des conditions selon lesquelles l’arbitre ne devait avoir aucun lien avec des sociétés de financement de litiges. Il a ensuite apparemment découvert que l’arbitre avait participé à une table ronde aux côtés du directeur du Fonds, qu’il avait contribué à des articles rédigés par le directeur du Fonds, qu’il avait participé à des conférences parrainées par le principal cabinet d’avocats du Fonds et qu’il entretenait des relations avec l’entreprise d’arbitrage du Fonds. M. Wires a soulevé ces objections auprès de la Chambre de commerce de Stockholm, qui les a rejetées en décembre 2020 au motif que sa contestation de la nomination de l’arbitre était prescrite en vertu des règles applicables et que, en tout état de cause, les faits allégués ne soulèveraient pas de doutes légitimes quant à l’impartialité ou à l’indépendance de l’arbitre. M. Wires n’a pas contesté la décision de l’institution d’arbitrage ni n’en a interjeté appel.

Bien que la question n’ait apparemment pas été soulevée au cours de l’arbitrage lui-même, un aspect essentiel de la demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence arbitrale soumise ultérieurement était la dénomination exacte du Fonds. Dans sa demande d’arbitrage, M. Wires avait désigné le Fonds au moyen de la dénomination « IC2 Fund, SICAV-FIS formally known as La Française IC2 Fund, SICAV FIS Registration No. B205456 Luxembourg » alors que, sur la première page de sa sentence, l’arbitre avait désigné le Fonds au moyen de la dénomination « IC2 Fund, SICAV-FIS » tout simplement (c.-à-d. au moyen de sa dénomination abrégée). Pour compliquer encore les choses, à une occasion dans le corps de la sentence, l’arbitre l’a désigné au moyen d’un numéro d’enregistrement différent, numéro qui correspondait à une entité qui avait été liquidée puis mise en faillite.

La décision de la Cour supérieure

En octobre 2021, le Fonds a introduit une demande de jugement reconnaissant la sentence arbitrale en Ontario. Il a été demandé au juge Cavanagh de se prononcer sur trois questions : 1) La requête en modification de l’intitulé de la procédure présentée par le Fonds doit-elle être accueillie? 2) La requête en rejet ou en suspension de la demande présentée par M. Wires doit-elle être accueillie? 3) La demande de reconnaissance de la sentence arbitrale présentée par le Fonds doit-elle être accueillie?

Dénomination exacte du Fonds

En bref, le Fonds a soutenu qu’il avait reçu l’autorisation d’utiliser sa dénomination abrégée dans la convention de financement et que toutes les parties connaissaient son identité. En revanche, M. Wires a fait valoir que, parce qu’il n’avait été désigné qu’au moyen de sa dénomination abrégée à la première page de la sentence (puis qu’il l’avait été dans le corps de la sentence au moyen d’un numéro d’enregistrement différent correspondant à une société en faillite), le Fonds n’existait pas en vertu du droit du Luxembourg. Les parties ont présenté des témoignages d’experts sur la question de savoir si, en vertu du droit du Luxembourg, les entités pouvaient utiliser des dénominations abrégées lorsqu’elles concluent des conventions ou lorsqu’elles sont poursuivies en justice. Le juge Cavanagh, accordant la préférence au témoignage de l’expert du Fonds, a conclu que le Fonds était autorisé à utiliser sa dénomination abrégée : IC2 Fund, SICAV-FIS.

En tout état de cause, le juge Cavanagh a estimé que M. Wires n’avait pas pu se méprendre sur l’identité du Fonds (qu’il avait désigné au moyen de sa dénomination abrégée et de sa dénomination complète dans sa demande d’arbitrage). En outre, le juge Cavanagh a estimé que l’utilisation à une seule occasion d’un numéro d’enregistrement différent dans la sentence était clairement une erreur. Étant donné que M. Wires n’en subirait aucun préjudice impossible à compenser, le juge Cavanagh a accueilli la requête en modification. Pour les mêmes raisons, il a rejeté la requête en rejet ou en suspension de la demande présentée par M. Wires au motif que le Fonds n’était pas la même entité que le bénéficiaire de la sentence arbitrale.

Reconnaissance et exécution de la sentence

La Cour a ensuite examiné la demande de reconnaissance et d’exécution de la sentence arbitrale présentée par le Fonds en application de l’article 35 de la Loi type. Le grief de M. Wires fondé sur l’article 36 (qui permet à un tribunal de refuser la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale en vertu de l’article 35 pour certaines raisons) était que la procédure d’arbitrage n’était pas conforme à la convention des parties ou au droit anglais.

À la lumière des conclusions de la Chambre de commerce de Stockholm résumées ci-dessus, le juge Cavanagh a estimé que M. Wires n’avait apporté aucune preuve de son grief au titre de l’article 36.

En ce qui concerne l’argument selon lequel la nomination de l’arbitre n’était pas conforme au droit anglais, le juge Cavanagh a noté que, même s’il mettait de côté l’incapacité de M. Wires à fournir une preuve d’expert quant au non-respect du droit anglais, cela constituerait un abus de procédure s’il lui permettait de revenir sur sa contestation de l’impartialité et de l’indépendance de l’arbitre, pour laquelle il a été débouté en première instance.

En conséquence, le juge Cavanagh a accueilli la requête en modification présentée par le Fonds, a rejeté la requête en rejet ou en suspension présentée par M. Wires et a accueilli la demande de reconnaissance de la sentence présentée par le Fonds.

La décision de la Cour d’appel

Le 6 mars 2024, la Cour d’appel a publié les motifs de sa décision concernant l’appel de M. Wires contre l’ordonnance rendue par le juge Cavanagh, ordonnance qu’elle a refusé d’annuler.

De permettre de revenir sur une contestation visant l’arbitre constituerait un abus de procédure

La Cour a rejeté l’affirmation de M. Wires selon laquelle le juge Cavanagh avait conclu à tort qu’il ne pouvait pas soulever la question de l’impartialité et de l’indépendance de l’arbitre parce qu’il n’avait pas interjeté appel de la décision de la Chambre de commerce de Stockholm. La Cour a confirmé la conclusion du juge Cavanagh selon laquelle, compte tenu des circonstances, cela constituerait un abus de procédure que de permettre à M. Wires de soulever à nouveau ces questions (et pas seulement parce qu’il n’avait pas interjeté appel). La Cour a observé que l’objection de M. Wires à l’égard de l’arbitre [traduction libre] « semble avoir résulté davantage de son mécontentement à l’égard de l’ordonnance que l’arbitre a rendue relativement à la sûreté à fournir pour couvrir les frais que d’une réelle préoccupation à l’égard de l’arbitre ».

Des questions de forme liées à la dénomination n’empêchent pas la reconnaissance et l’exécution d’une sentence

La Cour a également convenu avec le juge Cavanagh que le Fonds était la partie en faveur de laquelle la sentence arbitrale avait été rendue et la partie qui avait introduit la demande de reconnaissance et d’exécution. Le fait que, dans sa demande d’arbitrage, M. Wires ait désigné le Fonds au moyen de sa dénomination abrégée (IC2 Fund, SICAV-FIS) et de sa dénomination complète a été déterminant pour cette conclusion. En outre, la Cour a confirmé la conclusion du juge Cavanagh selon laquelle l’utilisation, par l’arbitre, à une seule occasion d’un numéro d’enregistrement différent pour désigner le Fonds dans sa sentence était clairement une erreur.

En conséquence, la Cour a rejeté l’appel de M. Wires et a ordonné que le montant convenu de 25 000 $ au titre des frais soit versé en faveur du Fonds.

Les principaux points à retenir

La décision de la Cour d’appel démontre que toute opposition à la reconnaissance et à l’exécution d’une sentence arbitrale en vertu de la Loi type constitue une bataille difficile.

En ce qui concerne les motifs de refus que l’on souhaite invoquer en application de l’article 36 de la Loi type, la décision dans l’affaire La Française IC 2 met en lumière le fait que les tribunaux de l’Ontario ne sont pas susceptibles de faire droit à des allégations relatives à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre ayant été précédemment rejetées par une institution d’arbitrage.

En outre, on ne devrait tenter de s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution d’une sentence arbitrale sur la base de questions de forme liées à une dénomination que dans des circonstances très limitées. Dans les cas où la partie qui cherche à contester une sentence connaît l’identité de l’autre partie et ne peut démontrer qu’il y a eu confusion ou qu’elle subirait un préjudice impossible à indemniser, les tribunaux autoriseront généralement des corrections mineures.


[1]      2024 ONCA 171.

[2]      En vigueur en Ontario en vertu de l’article 5 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, L.O. 2017, c. 2, ann. 5.