Auteurs(trice)
Associée, Litiges, Toronto
La récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans la cause Aroma Franchise Company, Inc. c. Aroma Espresso Bar Canada Inc.[1] confirme que l’obligation légale de déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 12 de la Loi type[2] est un critère objectif.
La Cour a rejeté l’interprétation de la juge de première instance et estime que, dans le cadre d’une procédure arbitrale en cours, lorsque l’avocat d’une partie nomme le même arbitre dans une procédure arbitrale distincte, sans lien avec la première, l’arbitre n’a pas l’obligation de le déclarer en vertu du paragraphe 1 de l’article 12.
Faits pertinents
À la suite d’un litige en vertu d’un contrat-cadre de franchise (CCF), les appelants et les intimés ont procédé à un arbitrage commercial international (la « procédure arbitrale relative au CCF »). Selon les dispositions du CCF, cette procédure arbitrale est assujettie aux dispositions de la Loi type.
Dans la correspondance entre les avocats au sujet du choix d’un arbitre, les intimés ont souligné leur préférence pour un arbitre qui n’avait pas d’engagement antérieur avec les avocats des appelants. Les parties ont finalement retenu les services de M. McCutcheon pour agir en qualité d’arbitre. Les attentes des parties quant à tout autre engagement avec les avocats n’ont jamais été portées à la connaissance de l’arbitre, qui ignorait l’importance de ce facteur dans leur choix de l’arbitre.
Alors que la procédure arbitrale relative au CCF suivait son cours, les avocats des appelants ont demandé à l’arbitre d’agir en qualité d’arbitre dans une deuxième procédure arbitrale, sans lien avec la première (la procédure arbitrale Sotos), concernant des parties et des sujets différents. L’arbitre a accepté cet engagement, mais n’a pas déclaré aux intimés qu’il avait été pressenti ou engagé pour agir en qualité d’arbitre dans la procédure arbitrale Sotos.
En janvier 2022, l’arbitre a rendu la sentence finale dans la procédure arbitrale relative au CCF, en grande partie en faveur des appelants. Après la publication de la sentence finale, les intimés ont eu connaissance de l’engagement de l’arbitre dans la procédure arbitrale Sotos. Ils ont alors saisi la Cour supérieure afin de faire invalider la sentence finale.
La décision de la Cour supérieure
En mars 2023, la juge de première instance a accueilli la demande des intimés et a ordonné qu’un nouvel arbitrage ait lieu devant un autre arbitre. Elle a conclu que l’arbitre avait l’obligation de déclarer son engagement dans la procédure arbitrale Sotos et que celui-ci donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité, entachant irrémédiablement les conclusions de la procédure arbitrale relative au CCF.
La juge de première instance a examiné la Loi type, les Lignes directrices de l’Association internationale du barreau sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international (les Lignes directrices de l’IBA) et la jurisprudence sur l’obligation de déclaration. Sans que cela soit formulé de manière explicite, la juge de première instance a conclu à l’existence d’une obligation de déclaration en se basant sur le critère subjectif prévu dans les Lignes directrices de l’IBA :
« Si des faits ou des circonstances existent et, aux yeux des parties, peuvent donner lieu à des doutes quant à l’impartialité ou à l’indépendance de l’arbitre, l’arbitre doit révéler ces faits ou circonstances aux parties […] avant d’accepter sa nomination ou, s’ils sont apparus postérieurement, dès qu’il ou elle en a eu connaissance. ».[3]
La juge de première instance s’est fondée en grande partie sur la correspondance entre les parties lors de la sélection d’un arbitre (dont l’arbitre n’avait pas connaissance), en particulier sur le désir des intimés de choisir un arbitre n’ayant eu aucun engagement antérieur avec l’avocat. Elle a conclu que, dans ces circonstances, l’arbitre aurait dû déclarer aux intimés qu’il avait été engagé pour agir dans la procédure arbitrale Sotos.
Lorsqu’elle a déterminé la présence d’une crainte raisonnable de partialité, la juge de première instance a fondé sa décision sur le défaut de respecter l’obligation de déclaration et a de nouveau insisté sur les attentes subjectives exprimées par les parties. Elle a estimé que, dans ces circonstances, la présomption d’impartialité était écartée.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel a annulé la décision de la juge de première instance. En effet, la Cour a estimé que l’arbitre n’avait pas d’obligation de déclaration et qu’il n’y avait pas de crainte raisonnable de partialité. Comme les intimés ont contesté la sentence finale pour d’autres motifs non pris en considération par la juge de première instance, la cause a été renvoyée devant la Cour supérieure pour un nouvel examen de ces motifs.
L’obligation de déclaration
La Cour a estimé que la juge de première instance a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer si l’arbitre avait l’obligation de déclarer qu’il agissait dans la procédure arbitrale Sotos. Le CCF était régi par la Loi type et non par les Lignes directrices de l’IBA. Contrairement aux Lignes directrices de l’IBA, dont la Cour a estimé qu’elles ne constituaient qu’une [TRADUCTION] « bonne pratique arbitrale », [4] le paragraphe 1 de l’article 12 de la Loi type fait état d’une obligation légale de déclarer :
Lorsqu’une personne est pressentie en vue de sa nomination éventuelle en qualité d’arbitre, elle signale toutes circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou sur son indépendance. À partir de la date de sa nomination et durant toute la procédure arbitrale, l’arbitre signale sans tarder de telles circonstances aux parties, à moins qu’il ne l’ait déjà fait.
La Cour a expliqué que le paragraphe 1 de l’article 12 vise à faire ressortir les circonstances susceptibles de justifier la récusation de l’arbitre pour cause de partialité. La Cour a confirmé que, contrairement aux Lignes directrices de l’IBA, il s’agit d’un critère objectif et que l’obligation de déclaration ne se pose que si les circonstances [TRADUCTION] « peuvent raisonnablement soulever des doutes légitimes ».[5]
La Cour a estimé qu’une application du critère objectif prévu au paragraphe 1 de l’article 12 n’aurait pas compris la prise en considération des attentes subjectives des parties. Lorsqu’il s’agit de savoir si l’arbitre a omis de déclarer des circonstances susceptibles de soulever des doutes légitimes quant à son impartialité, [TRADUCTION] « une correspondance dont l’arbitre n’avait pas raisonnablement connaissance ne saurait être prise en considération ».[6]
En se basant sur l’application du paragraphe 1 de l’article 12 aux circonstances, la Cour a estimé que l’arbitre n’avait pas d’obligation de déclaration. La procédure arbitrale Sotos n’impliquait aucune des mêmes parties et il n’y avait pas de chevauchement important des questions en litige. Cette cause se distingue des autres dans lesquelles une obligation de déclaration a été constatée, car il s’agissait de multiples nominations d’arbitres concernant les mêmes circonstances ou des circonstances qui se recoupent, avec une partie commune ou un arbitrage régi par des règles différentes dans lequel il y avait eu manquement à l’obligation de déclarer un mandat pour des conseils d’experts.[7]
En arrivant à cette conclusion, la Cour a rejeté les préoccupations selon lesquelles, dans les circonstances en question, l’avocat qui nomme l’arbitre bénéficie d’audiences supplémentaires devant l’arbitre, ou selon lesquelles l’avocat procure un avantage financier à l’arbitre.[8] La Cour a estimé que la première préoccupation était sans fondement, car les audiences répétées servent à se familiariser avec le dossier et non à faire preuve de partialité. En ce qui concerne la seconde préoccupation, la loi interdit à la partie qui nomme l’arbitre de faire preuve de partialité, et elle exige et présume l’impartialité.
Crainte raisonnable de partialité
La Cour a reconnu que, puisque l’obligation légale de déclaration vise le même type de circonstances susceptibles de constituer le fondement d’une récusation en raison d’une crainte raisonnable de partialité, la constatation que l’arbitre a manqué à ladite obligation légale de déclaration est un facteur pertinent pour déterminer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, dans le cas en question, comme le manquement de l’arbitre à l’obligation de déclaration était simplement un manquement à l’obligation de répondre aux attentes des parties et non un manquement à l’obligation de déclaration, il n’aurait pas dû être utilisé pour déterminer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.
La Cour a estimé que, tout comme l’obligation de déclaration, le critère de la crainte raisonnable de partialité est un critère objectif appliqué dans le contexte d’une forte présomption d’impartialité. Bien que le critère soit spécifique au contexte et aux faits, les points de vue subjectifs des parties ne sont pas pertinents. En appliquant ce critère, la Cour a estimé que la nomination dans le deuxième arbitrage n’était pas objectivement susceptible de donner lieu à une crainte raisonnable de partialité.
Principaux points à retenir
Les parties à un arbitrage doivent veiller à ce que leurs attentes subjectives en matière de déclaration soient clairement communiquées à l’arbitre. Dans sa décision, la Cour d’appel met en lumière le fait que l’obligation de déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 12 consiste à déterminer si une personne raisonnable se trouvant dans la position de l’arbitre considérerait des circonstances comme étant de nature à soulever des doutes légitimes quant à son impartialité ou à son indépendance. Si l’arbitre avait eu connaissance de la correspondance entre les parties et de l’importance que celles-ci accordaient aux autres engagements de l’arbitre avec les avocats, cette information aurait pu être prise en considération dans le cadre de l’obligation de déclaration.[9]
Les parties doivent également faire preuve de prudence dans la sélection du régime juridique pour l’encadrement de toute procédure arbitrale relative à leurs contrats. La Cour a noté que, dans le cas en question, les parties ont fait le choix de la Loi type pour l’encadrement de toute procédure arbitrale relative au CCF, alors qu’elles auraient pu opter pour les Lignes directrices de l’IBA. Si tel avait été le cas, les attentes subjectives des parties auraient pu être prises en considération.[10]
En dernier lieu, les parties doivent tenir compte de l’énoncé de la Cour dans l’introduction de sa décision selon laquelle [TRADUCTION] « Les arbitrages à fort enjeu mobilisent souvent des arbitres très sollicités, des parties bien informées et des avocats aguerris. Il est donc possible qu’un arbitre ait eu des engagements antérieurs ou qu’il soit amené à accepter d’autres engagements à l’avenir, avec la présence des mêmes parties ou avocats ».[11] Les parties à une convention d’arbitrage peuvent se fier aux déclarations de la Cour selon lesquelles la connaissance d’une situation ne saurait être assimilée à une situation de partialité et selon lesquelles la loi impose une stricte impartialité à la partie qui nomme un arbitre.
[1] 2024 ONCA 839.
[2] Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, en vigueur en Ontario en vertu de l’article 5 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, L.O. 2017, chap. 2, Annexe 5.
[3] Lignes directrices de l’IBA, règle générale 3 a) (nos italiques).
[4] Aroma, paragraphe 69.
[5] Aroma, paragraphe 72, citant Halliburton Company c. Chubb Bermuda Insurance Ltd, [2020] 2 All E.R. 1175.
[6] Aroma, paragraphe 89 (souligné dans l’original).
[7] Voir Halliburton et Aiteo Eastern E & P Company Ltd. c. Shell Western Supply and Trading Ltd. & Ors, [2024] EWHC 1993 (Comm).
[8] Aroma, paragraphes 112 à 115.
[9] Aroma, paragraphes 88 à 91.
[10] Aroma, paragraphe 91.
[11] Aroma, paragraphe 4.