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« Lacuna matata » : faut-il s’inquiéter d’une lacune dans le régime d’arbitrage interne de la Colombie-Britannique?

20 Fév 2024 5 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Victoria Luxford

Sociétaire, Litiges, Vancouver

Arkie Liu

Stagiaire en droit, Vancouver

Emily MacKinnon

Associée, Litiges, Vancouver

La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Bollhorn v. Lakehouse Custom Homes Ltd, 2023 BCCA 444, a mis en évidence, au sein du  régime d’arbitrage interne, une « lacune » ou un vide apparent découlant de l’effet combiné de l’Arbitration Act (la Loi sur l’arbitrage, ou la Loi) et des Domestic Rules for Arbitration (les Règles d’arbitrage internes, ou les Règles) du Vancouver International Arbitration Centre (le centre d’arbitrage international de Vancouver, ou le CAIV). Dans cette affaire, M. Bollhorn a demandé l’autorisation d’interjeter appel en vertu du mécanisme d’appel prévu par la Loi, au motif que l’arbitre avait commis une erreur de droit en rejetant sa demande d’arbitrage sur la base de l’autorité de la chose jugée, c’est-à-dire que son affaire avait déjà été entendue et était déjà réglée. En réponse, Lakehouse Custom Homes Ltd. a fait valoir que, même si M. Bollhorn avait raison, le tribunal ne pouvait pas entendre l’appel : les Règles interdisent aux parties de faire appel de la décision d’un arbitre concernant les différends d’une valeur ne dépassant pas 250 000 $.

Si les deux parties ont raison, il pourrait en résulter un vide juridique pour M. Bollhorn : sa réclamation ne serait pas entendue sur le fond, et aucun autre tribunal ne pourrait l’entendre. En conséquence, le juge en chambre a renvoyé la demande de M. Bollhorn à une chambre du tribunal.

Le contexte

Les parties ont conclu en 2021 un contrat prévoyant la construction et l’achat d’une maison, contrat qui comportait une clause d’arbitrage.

Au début de 2022, à la suite de plusieurs ordres de modification des spécifications du contrat et d’un désaccord sur les sommes à lui payer pour les modifications en question, Lakehouse a refusé de donner suite au contrat. M. Bollhorn a intenté une action en exécution devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui lui a donné raison.

Plus tard, M. Bollhorn a relevé des vices de construction, dont beaucoup avaient été anticipés à l’étape de l’instruction judiciaire. Voyant que Lakehouse ne les corrigeait pas, M. Bollhorn a déposé un avis d’arbitrage auprès du CAIV.

Le 30 juillet 2023, l’arbitre a rejeté la procédure d’arbitrage au motif qu’elle était prescrite par la doctrine de l’autorité de la chose jugée. Il a indiqué que M. Bollhorn avait déjà présenté les réclamations qu’il poursuivait maintenant en arbitrage dans l’avis de poursuite civile relatif à l’action intentée en 2022 devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

La décision de la Cour d’appel

M. Bollhorn a demandé l’autorisation de faire appel de la décision de l’arbitre devant la Cour d’appel au motif que l’arbitre avait commis une erreur de droit en concluant que les questions soumises à l’arbitrage étaient chose jugée. Il a soutenu notamment que, dans son avis de poursuite civile, il ne faisait aucune réclamation à l’égard des vices de construction et que la clause d’arbitrage du contrat s’appliquait exclusivement aux différends relatifs aux vices de construction. Lakehouse a fait valoir que le régime d’arbitrage ne permettait pas d’interjeter appel dans ces circonstances.

Après avoir examiné le régime d’arbitrage, le juge Saunders a estimé que la présente affaire mettait en évidence une lacune. La nouvelle Loi est entrée en vigueur le 1er septembre 2020. De façon générale, le paragraphe 4(a) de la Loi limite l’intervention du tribunal dans les procédures d’arbitrage en Colombie-Britannique. Toutefois, en vertu du paragraphe 59(3), sauf disposition contraire d’une convention d’arbitrage, une partie à l’arbitrage peut demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel sur toute question de droit découlant d’une sentence arbitrale.

En vertu du règlement d’application de la Loi, le CAIV a été désigné à titre d’autorité de nomination désignée et il a promulgué ses propres Règles, qui comprennent quatre parties. La partie B – « Expedited Procedures » (Procédures accélérées) s’applique aux réclamations d’une valeur ne dépassant pas 250 000 $. La valeur de la réclamation de M. Bollhorn s’élève à environ 95 000 $.

Dans la partie B, la règle 27(a) stipule qu’il ne peut y avoir d’appel sur des questions de droit concernant une sentence rendue aux termes de cette partie, sauf si les deux parties y consentent.

Le juge Saunders a indiqué que les parties avaient relevé une lacune dans le régime d’arbitrage interne : si M. Bollhorn avait raison de dire que l’application par l’arbitre de la doctrine de l’autorité de la chose jugée était une erreur de droit et si Lakehouse avait raison de dire que la décision de l’arbitre ne pouvait pas faire l’objet d’un appel, alors la réclamation de M. Bollhorn relative aux vices de construction au titre du contrat ne serait pas entendue sur le fond. En outre, selon que la décision de l’arbitre constitue ou non une « sentence », il se pourrait que M. Bollhorn ne puisse se tourner vers aucun autre tribunal, puisque, selon le contrat, les différends relatifs aux vices de construction ne peuvent être réglés que par voie d’arbitrage.

En conséquence, le juge Saunders a renvoyé la demande d’autorisation d’interjeter appel à une chambre du tribunal.

Les points à retenir

La décision éventuelle de la chambre pourrait apporter plus de clarté sur les mécanismes du régime d’arbitrage interne de la Colombie-Britannique, ainsi que sur les limites et les répercussions de cette lacune apparente. Dans l’attente de la décision de la chambre, des questions restent en suspens quant à l’incidence du régime actuel sur le droit des parties contractantes à la résolution d’une réclamation sur le fond.