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La fraude par interprétation n’est pas un motif d’annulation en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario

3 Déc 2024 7 MIN DE LECTURE

Dans l’affaire Campbell v. Toronto Standard Condominium Corporation No. 2600[1] (l’affaire Campbell), la Cour d’appel de l’Ontario a estimé que le terme « fraude », tel qu’il est utilisé dans la Loi de 1991 sur l’arbitrage[2] (la Loi), se limitait à son acception en common law et n’incluait pas le concept général de fraude par interprétation en equity. Cette décision a d’importantes répercussions sur les requêtes en annulation de sentences arbitrales pour motif de fraude, ainsi que sur les délais à respecter pour leur introduction.

Contexte

L’arbitrage initial portait sur un différend relevant de la Loi de 1998 sur les condominiums[3] dans le cadre duquel l’appelante, la Toronto Standard Condominium Corporation No. 2600 (l’association condominiale), alléguait que les intimés n’avaient pas respecté les règles de l’association condominiale interdisant aux intimés de louer leur unité à court terme.

Les parties ont signé une convention d’arbitrage dans laquelle elles convenaient que la sentence arbitrale allait être définitive et lier les parties, et qu’elles ne la porteraient pas en appel ni ne tenteraient d’en annuler quelque aspect que ce soit. La convention d’arbitrage indiquait les questions à régler, à savoir les allégations suivant lesquelles les intimés avaient contrevenu aux règles interdisant les locations à court terme, et la question des frais engagés par les parties relativement à l’arbitrage. Toutefois, avant le début de l’arbitrage, les intimés ont vendu leur unité, ce qui a permis de régler les questions de fond. Les parties ont donc convenu de limiter l’étendue de l’affaire aux frais de l’arbitrage.

L’arbitre a publié ses motifs en septembre 2021, dans lesquels il accordait à l’association condominiale 30 641,72 $ en frais en guise de dédommagement partiel. Dans ses motifs, l’arbitre a rejeté la prétention des intimés selon laquelle ils avaient respecté les règles interdisant les locations à court terme depuis leur entrée en vigueur.

La décision du juge des requêtes

Le juge des requêtes a reconnu que, selon la convention d’arbitrage, les intimés ne disposaient d’aucun droit d’appel. De plus, même s’ils avaient disposé d’un tel droit, les intimés n’avaient plus le droit d’introduire une requête, car, en vertu du paragraphe 47(1) de la Loi, une requête en annulation d’une sentence arbitrale doit être introduite dans les 30 jours de la date où la sentence est communiquée.

Malgré ces faits, le juge des requêtes a accueilli la requête. Il a estimé que les intimés étaient exemptés du délai parce qu’ils avaient allégué une fraude en vertu du paragraphe 47(2)

Le juge des requêtes a accueilli la requête des intimés et a annulé la sentence arbitrale. Bien qu’il ait estimé qu’il n’y avait pas de fraude réelle en l’espèce, il a conclu que l’association condominiale avait commis une fraude par interprétation en acceptant de procéder à l’arbitrage pour régler la question des frais, puis en élargissant les questions à l’ensemble du différend historique entre les parties. Il a estimé que le terme « fraude », tel qu’il paraît à l’alinéa 46(1)9 et au paragraphe 47(2), incluait la fraude par interprétation.

Fraude c. fraude par interprétation

La Cour d’appel a examiné la distinction à faire entre fraude (en common law) et fraude par interprétation (en equity). La fraude en common law exige de l’intimé qu’il ait l’intention de tromper et qu’il fasse une fausse déclaration qu’il sait être fausse ou dont l’absence de véracité le laisse indifférent. La fraude par interprétation est plus large : elle n’implique pas nécessairement la malhonnêteté ou la fraude morale au sens ordinaire du terme, mais un manquement du type de ceux qui seraient sanctionnés par la conscience. La Cour a réitéré la caractérisation du juge des requêtes, selon laquelle la fraude par interprétation se concentre sur l’« iniquité ».

Fraude par interprétation dans la Loi

Le terme « fraude » n’est pas défini dans la Loi. La Cour a estimé que le terme « fraude » avait une acception établie en common law et que le législateur aurait explicitement inclus une définition générale de « fraude par interprétation » si telle avait été son intention. En tirant cette conclusion, la Cour a été guidée par l’objet et le but de la Loi : promouvoir l’efficacité et le caractère définitif, limiter l’intervention des tribunaux dans les affaires d’arbitrage et respecter la primauté de l’arbitrage une fois que les parties ont conclu une convention d’arbitrage. En outre, en limitant l’interprétation du terme « fraude » à la fraude en common law, plutôt que de l’étendre à la définition plus large de fraude par interprétation, la Cour s’est conformée aux interprétations judiciaires antérieures de l’article 46 de la Loi, qui fournit une liste restreinte de motifs pour lesquels un tribunal peut interférer avec une sentence arbitrale, non pas une voie de recours de rechange.

La Cour a noté que la jurisprudence a souligné à plusieurs reprises le caractère exceptionnel des requêtes en appel ou en annulation des sentences arbitrales et la primauté des dispositions de la convention d’arbitrage, en vertu desquelles les parties ont le droit de restreindre ou d’exclure les appels. Élargir le sens du terme « fraude » à l’alinéa 46(1)9 et au paragraphe 47(2) pour y inclure la fraude par interprétation serait en contradiction avec cette jurisprudence. Cela risquerait également d’entraîner un élargissement stratégique des motifs d’annulation d’une sentence arbitrale. La Cour d’appel a fait remarquer que, contrairement au rôle qui lui revient dans la décision d’annuler ou non une sentence, le juge des requêtes avait examiné le bien-fondé de la sentence.

La Cour a laissé entendre que les intimés auraient pu obtenir gain de cause s’ils avaient introduit une requête dans le délai prescrit de 30 jours, pour certains des autres motifs d’annulation énumérés à l’article 46 de la Loi, tels que le motif prévu à l’alinéa 46(1)2, portant que la convention est nulle, ou celui prévu à l’alinéa 46(1)6, portant qu’ils n’ont pas été traités sur un pied d’égalité et avec équité.

En fin de compte, la Cour d’appel a accueilli le pourvoi et rétabli la sentence arbitrale.

Points à retenir

En l’absence de définition dans la Loi, la décision dans l’affaire Campbell précise que le terme « fraude » sera interprété conformément à la définition de fraude en common law, plutôt qu’au concept général de fraude par interprétation en equity. En conséquence, les requêtes en annulation de sentences arbitrales pour motif de fraude en vertu de l’alinéa 46(1)9 de la Loi doivent inclure les éléments de la fraude en common law. En outre, les requêtes en annulation de sentences arbitrales pour motif de fraude en vertu du paragraphe 47(2) de la Loi doivent alléguer une fraude en common law. Les allégations d’iniquité sont insuffisantes.

En outre, l’affaire réaffirme que les motifs d’annulation d’une sentence arbitrale énumérés dans la Loi seront interprétés de manière étroite. La décision dans l’affaire Campbell encourage la retenue judiciaire dans l’annulation des sentences arbitrales et le maintien de la primauté des conventions d’arbitrage. Les parties ont le droit de convenir de fermer les voies de recours, et les tribunaux d’instance supérieure ne devraient pas facilement interférer dans de telles conventions.


[1] Campbell v. Toronto Standard Condominium Corporation No. 2600, 2024 ONCA 218.

[2] L.O. 1991, c. 17.

[3] L.O. 1998, c. 19.