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Le budget de 2024 propose de nouvelles réformes pour lutter contre les crimes financiers au Canada

18 Avr 2024 9 MIN DE LECTURE

Le budget 2024 du gouvernement fédéral, publié le 16 avril 2024, contient un certain nombre d’initiatives et de réformes législatives visant à lutter contre les crimes financiers au Canada, notamment le financement d’activités terroristes, la corruption, le contournement de sanctions, l’évasion fiscale, le recyclage des produits de la criminalité (blanchiment d’argent) et la fraude. Le budget promet des changements au régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LCRPC/FAT), ainsi qu’aux régimes criminel et fiscal afin de créer des pouvoirs, des efficiences et des incitatifs supplémentaires en matière de conformité et d’application, ainsi que la création de nouvelles unités spécialisées chargées spécifiquement de la lutte contre les crimes financiers complexes.

Réformes en matière de conformité et d’application proposées dans le budget

Modifications à la LRPCFAT

Le budget de 2024 introduit un certain nombre de modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT), la principale loi canadienne de lutte contre le blanchiment d’argent. À la suite de développements survenus ces dernières années, comme les fuites de données des Panama Papers et du FinCEN, et des conclusions de juin 2022 de la Commission d’enquête sur le recyclage des produits de la criminalité en Colombie-Britannique (également connue sous le nom de Commission Cullen, dont nous avons déjà traité), le blanchiment d’argent est de plus en plus perçu comme un problème important au Canada.

Dans cette optique, le gouvernement a déjà mis en œuvre un certain nombre de réformes en matière de conformité, notamment l’établissement d’un registre fédéral de la propriété effective accessible au public (dont nous avons déjà traité), les obligations de déclaration pour les sociétés fédérales (entrées en vigueur en janvier 2024) et diverses modifications à la LRPCFAT. Ces changements, dont il est question plus en détail dans nos articles des Perspectives juridiques 2023 sur l’application de la loi par les cols blancs et les tendances en matière de réglementation des services financiers, comprennent, entre autres :

  • l’amélioration de l’échange d’informations entre les organismes d’application de la loi et l’Agence du revenu du Canada (ARC) et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE);
  • la protection des dénonciateurs pour les employés qui déclarent des renseignements au CANAFE;
  • l’interdiction aux entreprises de transfert de fonds de faire affaire avec des mandataires ou des mandataires reconnus coupables de certaines infractions;
  • une nouvelle infraction pour structurer les opérations financières dans le but d’éviter la déclaration au CANAFE;
  • une nouvelle réglementation obligeant le secteur hypothécaire à se conformer à de nouvelles obligations en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité (LRPC) et le financement des activités terroristes (FAT).

Depuis juin 2023, le ministère des Finances et CANAFE ont participé à une consultation publique dans le but d’améliorer le Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, en sollicitant des commentaires sur les risques et les vulnérabilités qui émergent à la lumière des nouvelles technologies financières et des risques pour la sécurité nationale. Cette consultation a pris fin en août 2023.

À la suite de cette consultation, le budget de 2024 propose un certain nombre de modifications supplémentaires à la LRPCFAT, notamment :

  • Renforcer la capacité des entités déclarantes visées par la LRPCFAT d’échanger des renseignements entre elles pour détecter et décourager les crimes financiers
    tout en maintenant les mesures de protection des renseignements personnels, y compris le rôle de surveillance du Commissariat à la protection de la vie privée aux termes des dispositions réglementaires;
  • Autoriser le CANAFE à divulguer des renseignements financiers aux organismes suivants : les bureaux provinciaux et territoriaux de confiscation civile pour appuyer les efforts de saisie de biens liés à une activité illégale; Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour renforcer l’intégrité du processus d’obtention de la citoyenneté du Canada;
  • Faire en sorte que les obligations réglementaires en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes visent les entreprises d’affacturage, les entreprises d’encaissement de chèques et les sociétés de location et de financement;
  • Permettre au CANAFE de diffuser davantage de renseignements sur les manquements aux obligations prévues par la LRPCFAT lorsqu’il impose des sanctions administratives pécuniaires en vue de renforcer la transparence et la conformité;
  • Apporter des modifications techniques pour éliminer les échappatoires et corriger les incohérences.

La forme exacte de ces modifications n’a pas encore été annoncée.

Modifications au Code criminel

Le budget de 2024 comprenait également diverses propositions de modifications au Code criminel visant à lutter contre le blanchiment d’argent, le financement d’activités terroristes, l’évasion de sanctions et d’autres formes de crimes économiques. Plus précisément, le budget propose des modifications accordant des pouvoirs judiciaires supplémentaires autorisant les tribunaux à :

  • rendre une ordonnance obligeant une institution financière à garder un compte ouvert pour faciliter l’enquête sur une infraction criminelle présumée;
  • rendre une ordonnance de communication répétitive afin d’autoriser l’application de la loi en vue d’obtenir régulièrement des renseignements précis sur l’activité d’un compte lié à une personne d’intérêt dans le cadre d’une enquête criminelle.

Ces nouvelles propositions font suite aux modifications apportées au Code criminel l’an dernier, qui ont permis aux organismes d’application de la loi de geler et de saisir des biens virtuels ayant des liens présumés avec la criminalité (au moyen d’un mandat spécial obtenu en vertu du nouvel article 462.321 du Code criminel), comme proposé dans le cadre du budget de 2023.

De plus, le budget de 2024 comprend des modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu et à la Loi sur la taxe d’accise, qui autorisent les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada à demander des mandats généraux auprès des tribunaux.

Agence canadienne des crimes financiers

En 2022, le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’établir une nouvelle Agence canadienne des crimes financiers (ACCF) qui deviendra le principal organisme d’application de la loi du Canada contre les crimes financiers. Dans l’état actuel des choses, l’ACCF sera une agence nationale qui aura pour seul objectif d’enquêter sur des crimes très complexes et d’appliquer la loi fédérale dans ce domaine. Elle regroupera les ressources existantes de la GRC en matière d’application de la loi, les capacités de renseignement du CANAFE et l’expertise de l’Agence du revenu du Canada. Le budget de 2024 alloue 1,7 million de dollars sur deux ans au ministère des Finances Canada pour parachever la conception et le cadre juridique de l’ACCF.

La proposition d’établissement de l’ACCF s’inscrit dans la tendance actuelle en faveur de la création d’agences ou d’unités spécialisées dans les recherches et la répression des crimes financiers complexes, en réponse aux critiques formulées sur l’absence apparente de mesures de répression au Canada. En 2020, le gouvernement fédéral a annoncé la mise sur pied de nouvelles
équipes intégrées d’enquête sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et au Québec, qui réunissent des spécialistes de divers organismes afin d’aider la GRC à traiter des affaires très médiatisées et à faire progresser les enquêtes sur le blanchiment d’argent et les produits de la criminalité à l’échelle nationale. Cela fait suite à la création d’autres organismes comme le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (qui examine les plaintes en matière d’éthique et de droits de la personne) et des organismes provinciaux comme l’Unité permanente anticorruption du Québec.

Il reste à voir quelles seront les répercussions du projet d’ACCF et d’autres organismes d’application de la loi récemment établis sur le bilan jugé peu reluisant du Canada en matière d’application de la loi.

Mesures pour lutter contre la fraude et le recyclage des produits de la criminalité par voies commerciales

Enfin, le budget de 2024 souligne que la criminalité financière par « voies commerciales » est l’un des moyens les plus puissants de recyclage des produits de la criminalité par lequel des centaines de millions de dollars sont recyclés chaque année. Comme l’a décrit Sécurité publique Canada, le blanchiment d’argent par voie commerciale est le processus qui consiste à convertir des produits de la criminalité et d’autres flux financiers illicites en transactions commerciales légitimes. Le gouvernement fédéral a déjà annoncé dans son Énoncé économique de l’automne 2023 son intention d’instaurer plusieurs améliorations aux pouvoirs de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vertu de la LRPCFAT, ainsi que la création d’une « unité de la transparence commerciale » pour détecter, décourager et perturber la criminalité financière par voies commerciales. Le budget de 2024 propose de fournir un financement de 29,9 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir la mise en œuvre de ses nouveaux pouvoirs au titre de la LRPCFAT afin de lutter contre le crime financier et de renforcer les efforts de lutte contre le crime financier commis à l’échelle internationale.

Points à retenir pour les entreprises Les initiatives présentées dans le budget 2024 s’inscrivent dans la tendance de ces dernières années, à savoir la mise en place de réformes législatives et de développements supplémentaires en matière d’application de la loi pour les crimes financiers complexes. Il reste à voir quelle sera l’efficacité de ces mesures supplémentaires. Malgré tout, elles reflètent un environnement réglementaire et commercial dans lequel on demande de plus en plus aux entreprises de démontrer leur engagement à se conformer et à agir de façon éthique dans le cadre de leurs activités. Comme toujours, les entreprises doivent adopter des pratiques exemplaires pour gérer les risques liés à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, ainsi que les autres risques liés aux crimes financiers. Le paysage continuant à évoluer au Canada, il est essentiel de demeurer vigilant et de veiller à ce que les politiques soient actualisées et révisées pour garantir leur conformité à toutes les lois et à tous les règlements sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. Les entreprises doivent également s’attendre à une coordination accrue avec les provinces et les territoires qui commencent à apporter des modifications législatives, réglementaires et d’application afin de réagir en conséquence dans leur propre territoire de compétence.