Auteurs(trice)
Associé, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
L’une des caractéristiques de la réglementation des marchés financiers au Canada a toujours été la délimitation claire des fonctions et des compétences. Les autorités provinciales en valeurs mobilières établissent des règlements et garantissent le respect de ces règlements et des prises de position de leur personnel, dont l’application est assurée en grande partie par le tribunal qui leur est associé. La mise en application des lois civiles et pénales est du ressort des tribunaux. Le recouvrement de sommes par les investisseurs lésés par des participants au marché ayant commis des actes illicites est du ressort des tribunaux ou des services de médiation prévus par la loi. Ces lignes s’estompent de plus en plus, et cette tendance semble se poursuivre.
Le 11 juillet 2024, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la CVMO ou la Commission) a publié, pour commentaires, une nouvelle proposition de règlement (la proposition de règlement) qui prévoit une nouvelle voie pour faciliter le remboursement des sommes d’argent aux investisseurs lésés.
Par suite de l’adoption du projet de loi 146 le 4 décembre 2023, les sommes d’argent reçues en application d’une ordonnance de remise doivent être distribuées aux investisseurs lésés, sous réserve de certaines conditions et exigences que la CVMO peut prescrire. La remise est un recours d’equity qui vise à priver l’auteur d’un acte illicite des sommes d’argent qu’il a obtenues en enfreignant la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) (la LVMO) ou la Loi sur les contrats à terme sur marchandises (Ontario) (la LCTM).
La CVMO a publié la proposition de règlement pour donner effet au projet de loi 146. La proposition de règlement décrit la procédure que la CVMO et les investisseurs lésés doivent suivre pour que les sommes d’argent recueillies en application d’une ordonnance de remise soient distribuées de manière appropriée aux investisseurs lésés. La proposition de règlement fait l’objet d’une période de consultation de 90 jours qui expirera le 9 octobre 2024.
État actuel du droit
En vertu de la LVMO et de la LCTM, le Tribunal des marchés financiers (le Tribunal) et la Cour supérieure de justice de l’Ontario sont tous deux habilités à rendre des ordonnances de remise.
Lorsque le Tribunal rend une ordonnance de remise, la Commission reçoit les sommes d’argent qui ont été récupérées auprès de l’auteur de l’acte illicite. À l’heure actuelle, elle n’a pas l’obligation de les distribuer aux investisseurs lésés. Au lieu de cela, elle les affecte au paiement des coûts d’exécution des ordonnances, au bénéfice de tiers, à l’éducation des investisseurs sur le fonctionnement des marchés financiers et à toute autre fin prescrite.
La Cour supérieure de justice de l’Ontario est également autorisée à ordonner à toute personne ou compagnie qui a enfreint la LVMO ou la LCTM de remettre les sommes qu’elle a obtenues grâce à une telle infraction. À l’heure actuelle, les sommes remises sont payables au ministre des Finances.
Changements à l’horizon
En 2021, le Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers (le Groupe de travail) et le vérificateur général de l’Ontario ont recommandé de modifier la procédure actuelle de distribution des sommes d’argent remises. Le Groupe de travail a recommandé l’instauration dans la loi d’une procédure pour la distribution aux investisseurs lésés des sommes d’argent remises. Le vérificateur général de l’Ontario a recommandé que le ministère des Finances de l’Ontario collabore avec la CVMO pour veiller à ce que les sommes d’argent remises soient distribuées aux investisseurs lésés.
À la suite de ces recommandations, le 2 novembre 2023, le gouvernement de l’Ontario a présenté le projet de loi 146,la Loi de 2023 visant à bâtir un Ontario fort ensemble (mesures budgétaires) (le projet de loi 146), qui apporte des modifications à la LVMO, à laLCTM et à la Loi de 2021 sur la Commission des valeurs mobilières, et comprend l’exigence selon laquelle les sommes d’argent reçues en application d’une ordonnance de remise doivent être distribuées aux investisseurs lésés, sous réserve de certaines conditions et exigences. En outre, ces modifications créent également, en ce qui concerne la distribution des sommes d’argent remises, un nouveau cadre flexible qui permet à la CVMO de traiter des facteurs suivants :
- les circonstances dans lesquelles les sommes d’argent reçues par la CVMO en application d’une ordonnance de remise doivent être distribuées;
- les conditions d’admissibilité des investisseurs demandant le paiement d’une somme sur les sommes d’argent remises reçues par la CVMO;
- la procédure de distribution des sommes remises aux investisseurs lésés dans les cas où l’on ne fait pas appel à un administrateur nommé par la Cour;
- l’affectation des autres sommes reçues par la CVMO relativement à des sanctions et à des règlements, au paiement de certains frais d’administration liés à la distribution des sommes remises.
La CVMO a rédigé sa proposition de règlement en tenant compte de ces facteurs, dans le but de permettre aux investisseurs d’obtenir réparation plus rapidement et plus efficacement.
La proposition de règlement
Conformément au projet de loi 146, la proposition de règlement prévoit que les sommes remises reçues par la CVMO doivent être distribuées conformément au règlement. Cependant, il y a deux exceptions à cette exigence : (1) lorsque l’ordonnance de remise est rendue en réponse à une infraction à l’article 76 de la LVMO, qui interdit certaines opérations constituant un délit d’initié et du tuyautage, et (2) lorsque la somme reçue par la CVMO est trop petite pour justifier le coût de sa distribution.
En vertu de la proposition de règlement, si elle est obligée de distribuer les sommes remises par l’auteur d’un acte illicite, la Commission est tenue de publier un avis sur la procédure de réclamation. Cet avis informe les investisseurs de la somme qui a été remise par l’auteur d’un acte illicite et du délai à l’intérieur duquel ils peuvent présenter une réclamation faisant état de leur droit quant au paiement d’une somme sur les sommes d’argent remises.
Dans le cadre de la procédure de réclamation, afin d’aider la CVMO à identifier les investisseurs lésés et à quantifier et vérifier leurs pertes financières, les investisseurs lésés sont tenus de soumettre une réclamation présentant les renseignements prouvant leur droit à la somme réclamée[1].
Après avoir déposé une réclamation, les investisseurs lésés ne recevront aucun paiement avant que toutes les réclamations déposées en application de la proposition de règlement n’aient été examinées et que la somme à verser à chaque demandeur n’ait été déterminée. La distribution peut être effectuée soit par un administrateur nommé par la Cour, soit directement par la CVMO. Toutefois, la CVMO prévoit que la plupart des distributions seront effectuées par un administrateur nommé par la Cour.
En outre, même s’ils reçoivent une somme dans le cadre de la procédure prévue par la proposition de règlement, les investisseurs lésés pourront toujours tenter de recouvrer leurs pertes par d’autres voies, comme le dépôt d’une plainte au civil ou d’une plainte auprès de l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement (l’OSBI), comme ce fut le cas dans l’affaire AIC Limited c. Fischer, 2013 CSC 69. Toutefois, il reste à voir quelle sera l’incidence des paiements reçus en vertu de la proposition de règlement sur les autres moyens de recouvrement.
En outre, la proposition de règlement fournit un cadre pour le paiement des frais d’administration liés à chaque distribution. Un tel cadre a pour objectif de réduire le montant des frais d’administration réglés à partir des sommes qui ont été remises et qui devraient être distribuées aux investisseurs lésés. Selon la proposition de règlement, les frais d’administration liés à chaque distribution seront réglés comme suit :
- d’abord au moyen des sommes reçues par la CVMO relativement à toute pénalité administrative et à tout règlement dans le cadre de la même procédure que celle qui a donné lieu à la remise des sommes devant être distribuées;
- ensuite au moyen des autres sommes détenues par la CVMO relativement à autre chose que les sanctions et les règlements, à hauteur du montant qu’elle juge approprié après avoir pris en compte une liste non exhaustive de facteurs;
- enfin, si des frais d’administration subsistent, au moyen des sommes remises qui doivent être distribuées.
Ailleurs au Canada
La British Columbia Securities Commission (la BCSC) et l’Autorité des marchés financiers (l’AMF) du Québec ont toutes deux déjà mis en place un cadre législatif prévoyant la distribution aux investisseurs lésés des sommes d’argent remises.
En Colombie-Britannique, le cadre de la BCSC ressemble à celui proposé par la CVMO en ce sens que, lorsque la BCSC reçoit des sommes d’argent en application d’une ordonnance de remise, elle est tenue de publier un avis et de recevoir et d’examiner les demandes de paiement sur les sommes d’argent recueillies. Cependant, le cadre de la BCSC diffère de celui de la CVMO en ce qui concerne les personnes qui peuvent soumettre une demande. Selon le cadre de la BCSC, seuls les demandeurs admissibles qui remplissent certaines conditions, notamment que la perte qu’ils ont subie découle directement de l’acte illicite qui a donné lieu à l’ordonnance de remise, peuvent soumettre des demandes de paiement sur les sommes d’argent remises.
Au Québec, le cadre de l’AMF se présente différemment en ce sens que c’est lorsqu’il rend l’ordonnance de remise que le Tribunal des marchés financiers du Québec doit, si « la preuve justifiant cette ordonnance » démontre que des personnes ont subi une perte à l’occasion du manquement, ordonner à l’AMF de lui soumettre la procédure de distribution. À l’instar du cadre proposé par la CVMO, la distribution n’a pas lieu si son coût est supérieur aux sommes disponibles aux fins de distribution.
Conséquences
En adoptant, respectivement, le projet de loi 146 et la proposition de règlement, le gouvernement de l’Ontario et la CVMO ont reconnu un problème commun dans le processus d’application de la législation en valeurs mobilières, à savoir le long processus auquel les investisseurs lésés doivent faire face avant de recevoir une quelconque réparation. En s’attaquant à ce problème et en offrant une voie de recours plus efficace aux investisseurs, la proposition de règlement vise à inspirer une plus grande confiance dans les marchés financiers et à renforcer la confiance dans la capacité de la CVMO à défendre au mieux les intérêts des investisseurs.
Cependant, la proposition de règlement et la procédure de réclamation qui y est associée vont probablement faire augmenter de manière significative le nombre de réclamations soumises à la CVMO et, partant, sa charge de travail existante. Cet afflux de demandes, qui s’ajoutera à la charge de travail actuelle de la Commission, sans ressources supplémentaires, mettra à rudeuxde épreuve les capacités opérationnelles de la Commission, ce qui pourrait entraîner des retards dans la réparation des investisseurs lésés, bien que la proposition de règlement ait précisément pour objectif d’atténuer ce problème. Il reste à voir comment la Commission gérera ce défi opérationnel.
En outre, le nouveau régime prévu par la proposition de règlement pourrait brouiller davantage les frontières entre les rôles des autorités de réglementation, des tribunaux et des services de médiation prévus par la loi (l’année dernière, les ACVM ont publié [PDF] un projet d’encadrement de l’OSBI visant à lui conférer le pouvoir de rendre des décisions exécutoires), ce qui créerait des pressions concurrentielles entre eux. Ces pressions pourraient les amener à intensifier leurs mesures pour « faire ce qu’il faut » pour les investisseurs. En outre, elles pourraient également être source de confusion et avoir une incidence sur la reddition de comptes.
[1] L’article 9 de la proposition de règlement décrit les conditions qu’un investisseur lésé doit remplir pour déposer une réclamation, et la proposition d’instruction générale fournit des indications supplémentaires sur les renseignements que les demandeurs doivent fournir à l’appui de leur réclamation.