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Affaire Brar : les procédures pour outrage au tribunal engagées à l’encontre de témoins non coopératifs par la B.C. Securities Commission sont constitutionnelles

31 Juil 2024 7 MIN DE LECTURE

Le 16 juillet 2024, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (le tribunal) a rendu sa décision dans l’affaire Brar v. British Columbia (Securities Commission), 2024 BCCA 265 (l’affaire Brar). Cette affaire confirme que le pouvoir de la British Columbia Securities Commission (la Commission) de contraindre des témoins à témoigner et, s’ils n’obtempèrent pas, de demander au tribunal de les déclarer coupables d’outrage au tribunal est constitutionnel.

Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal s’est fortement appuyé sur la décision que la Cour suprême du Canada a rendue en 1995 dans l’affaire British Columbia (Securities Commission) c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3 (l’affaire Branch ou l’arrêt Branch, selon le cas), qui traitait d’une version antérieure du pouvoir de la Commission de contraindre des témoins à témoigner. Toutefois, l’arrêt Branch, qui date de près de 30 ans, n’est pas représentatif des pouvoirs d’enquête élargis de la Commission, y compris les pouvoirs accrus prévus par les modifications apportées en 2023 à la loi de la Colombie-Britannique intitulée Securities Act (la Loi sur les valeurs mobilières), dont nous avons déjà parlé (en anglais seulement).

Le contexte

Cette affaire fait suite à la délivrance d’assignations à comparaître par un enquêteur de la Commission, dans le cadre d’une enquête en cours, à deux témoins proposés en 2020 et en 2021. Les témoins proposés ne se sont pas présentés aux entretiens prévus, et la Commission a engagé à leur encontre une procédure pour outrage au tribunal.

En réponse à la procédure pour outrage au tribunal, les témoins proposés ont déposé une requête afin d’obtenir une déclaration suivant laquelle le paragraphe 144(2) de la Loi sur les valeurs mobilières, qui confère à la Commission le pouvoir de demander au tribunal de les déclarer coupables d’outrage au tribunal, est inconstitutionnel. Les appelants ont également fait valoir un droit à divulgation comparable à celui dont dispose un accusé dans une procédure pénale (également connu sous le nom de « divulgation Stinchcombe »).[1]

Devant le tribunal de première instance, les requérants ont fait valoir que la disposition était inconstitutionnelle en ce qu’elle :

  • violait l’article 96 de la Loi constitutionnelle
  • violait l’article 7 et le paragraphe 11(d) de la Charte
  • était en conflit avec l’article 9 du Code criminel

Le tribunal de première instance a rejeté chacun de ces arguments, en s’appuyant fortement sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Branch, qui avait rejeté des arguments similaires contestant une version antérieure de l’article 144 de la Loi sur les valeurs mobilières.

Les arguments des parties

En appel, les appelants ont soutenu que la juge en cabinet avait commis une erreur :

  • dans son interprétation des paragraphes 144(1) et (2)
  • dans sa décision selon laquelle le paragraphe 144(2) ne violait pas l’article 7 de la Charte d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale
  • dans son interprétation de l’article 9 du Code criminel

Les appelants ont également fait appel de la décision de la juge en cabinet de rejeter la demande de divulgation.

Les appelants ont fait valoir que la Cour d’appel n’était pas liée par l’arrêt Branch parce que la disposition relative à l’outrage au tribunal (paragraphe 144(2)) n’était pas en cause dans cette affaire et parce que les appelants avaient invoqué, non pas le droit de ne pas s’incriminer, mais plutôt différents principes de justice fondamentale (à savoir l’indépendance judiciaire, la portée excessive et l’imprécision).

La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique

La Cour d’appel a rejeté l’appel à l’unanimité, s’appuyant sur l’arrêt Branch comme précédent contraignant pour la contestation des appelants relative à la constitutionnalité et estimant que la décision de la juge en cabinet de rejeter la demande de divulgation était correcte.

La contestation relative à la constitutionnalité

Pour arriver à sa décision, le tribunal a conclu que l’article 144 ne conférait pas aux enquêteurs de la Commission un pouvoir décisionnel. Au contraire, l’article 144 autorise la Commission à délivrer des assignations à comparaître et, si les témoins n’obtempèrent pas, à demander au tribunal de l’aider à cet égard. Toutefois, le pouvoir ultime de déclarer des témoins coupables d’outrage au tribunal reste du ressort du tribunal.

La Cour d’appel a estimé que les appelants n’avaient pas réussi à établir que l’article 7 de la Charte avait été violé. Le tribunal a souligné que c’était un juge — et non la Commission — qui déterminait en dernier ressort s’il y avait eu outrage au tribunal, ce qui a mis à mal l’argument des appelants concernant l’indépendance judiciaire. Par ailleurs, le tribunal a confirmé la conclusion de la juge en cabinet selon laquelle l’article 144 n’avait pas une portée excessive et ne souffrait pas d’imprécision, estimant que les allégations des appelants n’avaient pas rempli, dans un cas comme dans l’autre, le critère applicable.

Le tribunal a estimé que la juge en cabinet avait conclu à juste titre que le paragraphe 144(2) n’était pas en conflit avec l’article 9 du Code criminel. Bien que l’article 144 concerne le droit criminel, il ne le crée pas et n’est donc pas en conflit avec l’article 9. 

Divulgation Stinchcombe

En ce qui concerne l’argument des appelants selon lequel la juge en cabinet avait commis une erreur en rejetant la demande de divulgation, la Cour d’appel a estimé que cet argument était « mal conçu et dépourvu de fondement » (misconceived and devoid of merit). Les appelants étaient des témoins et non les sujets de l’enquête sous-jacente. Par conséquent, ils n’avaient le droit de recevoir que les documents relatifs à la demande de déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal, qu’ils avaient déjà reçus.

Principaux points à retenir

Cette affaire démontre que le tribunal hésite toujours à s’immiscer dans les enquêtes menées par les autorités de réglementation. Les pouvoirs d’enquête de la Commission n’ont cessé de s’étendre à mesure qu’elle repoussait les limites de ses pouvoirs en droit ou qu’elle se voyait accorder des pouvoirs supplémentaires par le biais de modifications à la Loi sur les valeurs mobilières. Par exemple, les modifications qui ont été apportées à cette loi en 2023 ont imposé des conséquences fort immédiates aux personnes ou aux entreprises qui ne respectaient pas leur assignation à comparaître ou ne fournissaient pas les renseignements demandés, sans que la Commission ait à demander l’intervention du tribunal.[2] Néanmoins, dans l’affaire Brar, la Cour d’appel a refusé de réévaluer la loi en ce qui concerne le pouvoir d’assignation à comparaître de la Commission. Au lieu de cela, elle a simplement réaffirmé une décision vieille de 30 ans (l’arrêt Branch), sans tenir compte de l’évolution du paysage des enquêtes menées par les autorités de réglementation.

En outre, le tribunal a étroitement défini l’obligation de la Commission de divulguer des renseignements qui ne sont pas privilégiés et qui sont pertinents. Il a décidé de ne pas obliger la divulgation de documents d’enquête qui auraient simplement permis aux appelants d’essayer de trouver des motifs qui leur auraient permis de contester leurs assignations à comparaître, et ce, même si la déposition forcée d’un témoin peut servir à l’impliquer dans une affaire.


[1] Dans une procédure parallèle, les appelants ont également demandé une ordonnance, en vertu de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Judicial Review Procedure Act (la Loi sur la procédure de révision judiciaire), pour la révision judiciaire de la décision de l’enquêteur de les assigner à comparaître. Nous avons déjà discuté de la décision de la Cour d’appel de rejeter cette demande dans un billet daté du 24 janvier 2024.

[2] Osler a déjà discuté des modifications en question dans ce billet de 2023 : « Amendments to British Columbia’s Securities Act grant BCSC new powers » (en anglais seulement)