La Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa première décision interprétant clairement les nouvelles dispositions relatives au « rejet pour cause de retard » de la Loi de 1992 sur les recours collectifs (la LRC), dans l’affaire Tataryn c. Diamond & Diamond Lawyers LLP, 2025 ONCA 5.
Comme nous l’avons écrit dans un billet sur la décision du tribunal de première instance dans l’affaire Tataryn, l’article 29.1 de la LRC prévoit que, sur présentation d’une motion, un tribunal doit rejeter pour cause de retard un recours collectif envisagé si le demandeur a omis de prendre certaines mesures dans l’année qui suit l’introduction de l’instance.
La décision d’appel dans l’affaire Tataryn se concentre sur l’interprétation de la question de savoir si le tribunal a établi un calendrier concernant la prise d’une ou de plusieurs « mesures nécessaires au déroulement de l’instance » (l’une des « mesures » susceptibles d’empêcher le rejet pour cause de retard en vertu de l’alinéa 29.1(1)c) de la LRC).
La Cour a confirmé le rejet du recours collectif envisagé pour cause de retard et a donné les directives suivantes :
- Une motion en radiation peut être considérée comme une mesure nécessaire au déroulement de l’instance : La Cour a rejeté la conclusion du juge saisi de la motion selon laquelle l’inscription au calendrier d’une motion en radiation ne pourrait jamais être considérée comme une mesure prévue à l’article 29.1. Au contraire, la disposition doit être interprétée de manière à inclure les motions que la LRC considère comme des mesures préalables à la certification qui sont « utiles et nécessaires » (valuable and necessary). (Comme nous le mentionnions dans un bulletin d’actualités Osler, l’article 4.1, qui a été ajouté à la LRC en même temps que l’article 29.1 en 2020, prévoit que les motions dispositives ou les motions susceptibles de limiter les questions en litige, y compris les motions en radiation, doivent être entendues avant la motion en certification.)
- Le comportement des parties peut être déterminant : Toutefois, en l’espèce, la Cour a convenu que l’instance devait être rejetée, même si une motion en radiation avait été inscrite au calendrier (et décidée) et que de multiples conférences préparatoires avaient eu lieu. La Cour a conclu que, par leur comportement, les demandeurs avaient eux-mêmes empêché que la motion en radiation participe au déroulement de l’instance, soulignant que, deux ans après la décision sur la motion, les demandeurs contestaient toujours une motion visant à ce qu’ils se conforment à la décision de la Cour (efforts qui se sont finalement révélés infructueux).
- La Cour a également pris en compte le « long et sinueux chemin » (long and winding road) de l’instance, notamment le fait que les demandeurs l’avaient entamée en 2018 et avaient fourni sept itérations de la plaidoirie avant de manquer le délai d’un an. La Cour a noté que l’obstruction pratiquée par un défendeur pouvait également servir à contextualiser l’article 29.1.
- Les litiges de type « Phénix » sont contraires à l’esprit de l’article 29.1 : La Cour a également approuvé le refus du juge saisi de la motion d’accorder une ordonnance de type « Phénix » (c’est-à-dire d’accorder l’autorisation à un autre demandeur de recommencer effectivement l’instance dans le cadre d’une nouvelle plaidoirie). Comme nous l’indiquions dans un billet précédent, le juge saisi de la motion a estimé qu’une telle ordonnance irait à l’encontre de l’intention du législateur : [traduction libre] « L’article 29.1 ne réglerait pas le problème qu’il est censé régler si un demandeur pouvait introduire une instance, la retarder jusqu’à ce qu’elle soit rejetée en vertu de l’article 29.1, puis en introduire une nouvelle comme si rien ne s’était passé. » La Cour a souscrit à cette analyse.
- [traduction libre] Bien que la Cour ait rappelé qu’il s’agissait d’une question hypothétique dans le cadre de l’appel – et noté, comme nous le soulignions dans un billet précédent, qu’une décision antérieure de la Cour avait indiqué dans une remarque incidente qu’une instance de type « Phénix » pouvait être autorisée[1] –, elle a également observé que « l’on pouvait soutenir qu’elle contourne l’esprit du paragraphe 29.1(1) ».
- L’approche globale est une analyse contextuelle, au cas par cas : Bien qu’il n’existe pas de pouvoir judiciaire discrétionnaire permettant de renoncer au délai d’un an si une mesure prévue à l’article 29.1 n’a pas été prise, la détermination de ce qui constitue une « mesure nécessaire au déroulement de l’instance » nécessite une analyse au cas par cas qui prend en compte l’ensemble de l’instance.
- En effet, la Cour a repris à son compte le raisonnement d’une affaire qui aboutissait au résultat opposé à celui arrivé dans l’affaire Tataryn : St. Louis v. Canadian National Railway Company, 2022 ONSC 2556 (autorisation d’appel refusée). Dans cette affaire, l’inscription au calendrier des conférences préparatoires devant être tenues pour rendre compte de l’état d’avancement d’une évaluation environnementale – sur laquelle reposait la viabilité des réclamations pour contamination qui étaient au cœur de l’instance – a été jugé conforme aux exigences de l’article 29.1.
[1] Tataryn v. Diamond & Diamond Lawyers LLP, 2025 ONCA 5, par. 76, se référant à Martin v. Wright Medical Technology Canada Ltd, 2024 ONCA 1, par. 27.