Blogue sur la défense dans le cadre d’actions collectives intentées au Canada

Couronnement d’un nouveau type d’action collective : la Cour suprême du Canada conclut que l’action collective multiterritoriale de la Colombie-Britannique est constitutionnelle Couronnement d’un nouveau type d’action collective : la Cour suprême du Canada conclut que l’action collective multiterritoriale de la Colombie-Britannique est constitutionnelle

19 Déc 2024 6 MIN DE LECTURE

Dans l’affaire Sanis Health Inc. c. Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a examiné pour la première fois sur la constitutionnalité des actions collectives au nom des gouvernements[1]. L’action a été intentée par le gouvernement de la Colombie-Britannique, en tant que représentant des demandeurs, relativement à une affaire intentée en vertu d’une loi provinciale spéciale. L’action collective putative incluait le gouvernement fédéral, les gouvernements territoriaux et d’autres gouvernements provinciaux au Canada. En rejetant l’appel contestant la constitutionnalité de l’action, la Cour suprême a conclu que la disposition permettant d’instruire des revendications pour le recouvrement du coût des soins de santé au nom d’autres gouvernements était constitutionnelle. Cette décision aura assurément une incidence importante sur l’issue future des actions collectives multiterritoriales.

Contexte et historique procédural

En 2018, la Colombie-Britannique a introduit une action en justice contre 49 sociétés qui fabriquent, commercialisent et distribuent des produits opioïdes. La Colombie-Britannique cherchait à faire autoriser un recours collectif en tant que représentante des demandeurs agissant au nom du gouvernement fédéral et de l’ensemble des gouvernements provinciaux et territoriaux au Canada qui ont payé les coûts des soins de santé associés aux opioïdes.

Après avoir introduit son action, la Colombie-Britannique a adopté la loi Opioid Damages and Health Care Costs Recovery Act (« ORA »). L’ORA a conféré, par voie législative, un droit d’action dans la revendication de la Colombie-Britannique, et l’alinéa 11(1)b) a permis à la Colombie-Britannique d’« intenter une action au nom du groupe composé » du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux, à moins qu’ils ne s’en excluent[2]. Presque toutes les provinces et tous les territoires ont par la suite adopté leurs propres versions de l’ORA.

Plusieurs défendeurs ont contesté la constitutionnalité de l’article 11 de l’ORA, faisant valoir qu’il était ultra vires de la législature de la Colombie-Britannique puisqu’il légiférait à l’égard de la propriété et des droits civils à l’extérieur de la province. Les défendeurs ont en outre soutenu que la disposition portait atteinte aux droits civils substantiels d’autres gouvernements en déterminant effectivement les règles d’un recours collectif qui lierait les autres gouvernements, ce qui limite l’autonomie et la souveraineté de ceux-ci.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont rejeté les arguments des défendeurs, concluant que l’article 11 confère à la Colombie-Britannique le pouvoir de légiférer sur l’administration de la justice dans la province[3]. Bien que la Cour d’appel a reconnu que l’article 11 était une « mesure audacieuse, voire expérimentale », elle a néanmoins confirmé la décision du tribunal inférieur selon laquelle l’ORA était intra vires en vertu des pouvoirs de la Colombie-Britannique en matière d’administration de la justice[4].

Décision de la Cour suprême du Canada

Dans une décision de 6 contre 1, la juge Karakatsanis, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que l’article 11 de l’ORA est intra vires de la législature de la Colombie-Britannique. Elle a conclu que le caractère véritable de la disposition visait la création d’un mécanisme procédural pour l’application de l’ORA aux procédures en cours :

  • Objet de l’article 11 : La majorité des juges de la Cour ont rejeté l’argument des défendeurs selon lequel l’article 11 avait été adopté pour permettre à la Couronne de la Colombie-Britannique d’agir à titre de représentante des demandeurs. Elle a conclu qu’il ne pouvait s’agir de l’objectif, puisque la Couronne de la Colombie-Britannique était déjà une « personne » capable d’agir à titre de représentante des demandeurs, et les autres gouvernements pouvaient déjà aussi être membres d’un groupe. L’objectif réel de l’article 11, de l’avis de la Cour, était simplement de fournir le mécanisme par lequel l’ORA s’appliquerait aux actions collectives multiterritoriales déjà en cours.
  • Les effets de l’article 11 : Comme les gouvernements peuvent s’exclure en vertu de l’ORA, la Cour a en outre conclu que la disposition ne supprime pas l’autonomie de la Couronne ni ne modifie les droits substantiels de tout autre gouvernement. L’objectif réputé de loi était plutôt à créer des règles de procédure pour les tribunaux de la Colombie-Britannique, une fois la compétence en matière d’actions collectives établie.

Une majorité de juges de la Cour a confirmé les décisions des tribunaux inférieurs, concluant que l’article 11 relève effectivement du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, lequel confère le pouvoir de légiférer sur l’administration de la justice dans la province. La Cour a en outre conclu que l’article 11 satisfait au critère du « lien significatif » étant donné que les autres gouvernements peuvent s’exclure de l’instance. La Cour a confirmé l’existence d’un lien significatif entre la législature de la Colombie-Britannique, une disposition qui porte sur les procédures de ses tribunaux et les gouvernements qui choisissent de participer à une action collective.

Enfin, la majorité des juges de la Cour ont rejeté les arguments des défendeurs selon lesquels cette disposition porte atteinte à la souveraineté de la Couronne. Elle a conclu que les autres gouvernements se joignaient à l’instance en leur qualité de personnes physiques; par conséquent, elles pourraient être touchées par des conséquences juridiques qui ne relèvent pas de leur compétence législative. Étant donné que les autres gouvernements ont choisi d’exercer ces activités ailleurs, la Cour a conclu que le fait d’être liés par les lois de cette autre province ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’autre gouvernement. De plus, la Cour a conclu que l’application des règles de procédure d’un gouvernement ne modifierait pas les droits substantiels qui s’appliquent autrement aux autres gouvernements. À ce titre, l’article 11 respecte la souveraineté législative des autres gouvernements.

La juge Côté s’est dite d’accord avec les défendeurs dans une opinion dissidente. Elle a conclu que l’article 11 visait essentiellement à légiférer sur la propriété et les droits civils à l’extérieur de la province. Elle a en outre conclu que la loi lierait automatiquement les autres gouvernements au droit de la Colombie-Britannique, à moins qu’ils s’excluent, un effet qui, à son avis, est « diamétralement à l’opposé de ce qu’est l’autonomie dans la conduite du litige » pour les autres gouvernements.

Points à retenir

La décision majoritaire ouvrira vraisemblablement la porte à de futures actions collectives multiterritoriales. En particulier, les conclusions selon lesquelles les gouvernements peuvent agir à titre de représentants des demandeurs dans le cadre d’une action collective d’autres gouvernements et celles qui prévoient que la souveraineté de la Couronne n’est pas violée lorsqu’une entité gouvernementale prend part à une instance dans un autre territoire et est liée par celle-ci pourraient bien mener à une multiplication de ces demandes à l’avenir. Entre autres choses, la décision semble souscrire à ce type de collaboration intergouvernementale, ce qui pourrait aussi encourager les gouvernements à présenter des demandes d’actions collectives multiterritoriales dans d’autres contextes.


[1] Sanis Health Inc. c. Colombie-Britannique, 2024 CSC 40.

[2] Opioid Damages and Health Care Recovery Act, S.B.C. 2018, ch. 35, à l’al. 11(1)b).

[3] British Columbia v. Apotex Inc., 2022 BCSC 2147.

[4] Sandoz Canada Inc. v. British Columbia, 2023 BCCA 306, au par. 3.