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Dans quels cas les rapports d’enquête sur le lieu de travail sont-ils protégés par le secret professionnel de l’avocat? Dans quels cas les rapports d’enquête sur le lieu de travail sont-ils protégés par le secret professionnel de l’avocat?

10 mars 2025 6 MIN DE LECTURE

Résumé de l’affaire

Dans l’affaire Starrs v. Troczynski, 2024 BCSC 2267 (l’affaire Starrs), le demandeur a déposé une requête en ordonnance de production à l’encontre de son ancien employeur, Heidelberg Materials Canada Limited (HMC), en vue d’obtenir un rapport d’enquête sur le lieu de travail (le rapport). L’enquête avait été ouverte à la suite d’allégations selon lesquelles le demandeur aurait enfreint la politique de HMC en matière de consommation de drogues et d’alcool. Le conseiller juridique interne de HMC avait demandé à un tiers, Integrated Risk Investigations Security Solutions Corp. (l’enquêteur), de mener l’enquête et de préparer le rapport. Le conseiller juridique interne de HMC a ensuite remis une copie du rapport à son conseiller juridique externe spécialisé en droit de l’emploi afin d’obtenir un conseil juridique sur la possibilité de mettre fin à l’emploi du demandeur.

HMC s’est opposée à l’ordonnance de production au motif que le rapport était protégé par le secret professionnel de l’avocat. HMC a souligné ce qui suit :

  • le rapport a été commandé par son conseiller juridique interne;
  • le rapport portait la mention « Protégé par le secret professionnel de l’avocat » (Solicitor-Client Privileged);
  • HMC a remis une copie du rapport à son conseiller juridique externe spécialisé en droit de l’emploi dans le but d’obtenir un conseil juridique;
  • HMC a reçu de son conseiller juridique externe spécialisé en droit de l’emploi un conseil juridique basé, en partie, sur le contenu du rapport;
  • HMC s’est fondé sur le conseil juridique de son conseiller juridique externe spécialisé en droit de l’emploi pour mettre fin à l’emploi du demandeur.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique (la Cour) a noté que toutes les communications entre un tiers et un avocat qui aident à donner ou à recevoir un conseil juridique ne sont pas protégées par le secret professionnel de l’avocat. Elle a expliqué que ces communications ne seront protégées par le secret professionnel de l’avocat que si la fonction du tiers est essentielle au maintien ou au fonctionnement de la relation avocat-client, par exemple lorsque le tiers sert de canal ou de conduit d’information entre l’avocat et son client. En conséquence, la Cour a jugé que la question pertinente dans l’affaire Starrs était de savoir si l’enquêteur, en tant que tiers, avait préparé le rapport « [traduction libre] dans le but d’obtenir ou de fournir un conseil, un avis ou une analyse juridique » (par. 22).

La Cour a conclu qu’étant donné qu’il avait seulement recueilli de l’information, compilé cette information dans le rapport, puis remis le rapport au conseiller juridique interne de HMC, l’enquêteur n’avait pas agi en tant que canal ou conduit d’information entre HMC et son conseiller juridique externe, et sa fonction n’avait pas été essentielle au maintien ou au fonctionnement de la relation avocat-client entre HMC et son conseiller juridique externe. En conséquence, la Cour a estimé que le rapport n’était pas protégé par le secret professionnel de l’avocat.

Points à retenir

L’affaire Starrs confirme qu’un rapport d’enquête sur le lieu de travail ne sera pas automatiquement protégé par le secret professionnel de l’avocat simplement parce qu’il a été préparé sous la direction d’un conseiller juridique ou qu’il porte la mention « protégé par le secret professionnel de l’avocat », ni même parce qu’il a été préparé et utilisé dans le but d’étayer le conseil juridique sur lequel l’employeur finira par s’appuyer. En effet, même lorsque la preuve démontre, comme dans l’affaire Starrs, que l’employeur a commandé le rapport expressément pour que son conseiller juridique s’en serve pour lui prodiguer un conseil juridique, et lorsque l’employeur a pris des mesures actives pour s’assurer que le rapport soit protégé par le secret professionnel de l’avocat, cela n’est pas déterminant. La décision dans l’affaire Starrs constitue donc une mise en garde pour les employeurs : les rapports d’enquête sur le lieu de travail peuvent, malgré les intentions et les attentes claires de l’employeur, finir par être mis au jour et, par conséquent, les employeurs doivent toujours veiller à ce que ces rapports soient préparés avec le plus grand soin.

Un autre point important à retenir est que la question de savoir si un rapport d’enquête sur le lieu de travail est protégé par le secret professionnel de l’avocat dépendra du contexte et du but exprès dans lequel le rapport a été préparé. En outre, si le rapport est préparé par un tiers (qu’il s’agisse ou non d’un avocat), il sera crucial de savoir si l’employeur a retenu ses services dans le but de mener une enquête visant à recueillir de l’information et à établir des faits, ou dans le but d’obtenir ou de fournir un conseil, un avis ou une analyse juridique.

Enfin, l’affaire Starrs illustre la tension entre le désir d’un employeur de protéger une enquête sur le lieu de travail au moyen du secret professionnel de l’avocat et son désir de préserver le caractère équitable et impartial de l’enquête (par exemple, pour remplir les obligations qui lui incombent en vertu des lois applicables en matière de droits de la personne ou de santé et de sécurité au travail). En effet, une récente sentence arbitrale en Ontario, Toronto Metropolitan Faculty Association v. Toronto Metropolitan University, 2024 CanLII 109523, et les principaux précédents qui y sont cités indiquent clairement que, si le conseiller juridique d’un employeur mène en son nom une enquête sur le lieu de travail, alors, bien que cela puisse suffire pour que l’enquête et tout rapport d’enquête qui en résulte soient protégés par le secret professionnel de l’avocat, cela créera également une crainte raisonnable de partialité et remettra en question le caractère équitable et impartial de l’ensemble de l’enquête. Ce dilemme se pose parce que le conseiller juridique de l’employeur, qui a, par définition, un devoir de loyauté et de franchise envers lui en tant que client, a des obligations envers son client en tant qu’avocat qui sont contraires à l’accomplissement du rôle d’un enquêteur équitable et impartial.

Les enquêtes sur le lieu de travail sont de plus en plus importantes, mais difficiles à gérer, et elles présentent pour les employeurs un certain nombre de questions nuancées. Le groupe Droit du travail et de l’emploi d’Osler possède une vaste expérience comme conseiller auprès de clients sur des questions complexes et délicates liées aux enquêtes sur le lieu de travail. Pour obtenir des conseils personnalisés sur la meilleure façon de structurer une enquête sur le lieu de travail à la lumière des obligations qui vous incombent en vertu de lois particulières, de vos objectifs commerciaux et d’autres priorités, veuillez communiquer avec un membre de notre groupe Droit du travail et de l’emploi.