Perspectives juridiques Osler 2024

L’augmentation des investissements individuels, une porte d’entrée vers les marchés privés

5 Déc 2024 12 MIN DE LECTURE

Ces dix dernières années, nous avons observé une transformation notable sur les marchés financiers au Canada, marquée par la volonté croissante des entreprises de demeurer privées plus longtemps et par l’augmentation du nombre d’opérations de fermeture du capital avec une participation d’investisseurs de capital-investissement. Ces tendances démontrent l’intérêt croissant pour les opérations de financement privées, qui permettent aux entreprises d’avoir un meilleur contrôle tout en évitant les mesures de surveillance et les coûts associés aux exigences des marchés financiers. Toutefois, le nombre d’opérations de financement tant du côté des placements privés que des appels publics à l’épargne a subi un recul important en 2023 et 2024. Jusqu’à présent, les signes de reprise sont peu perceptibles.

Au cours du premier semestre de 2024, les capitaux réunis par placements privés (en anglais uniquement) se sont élevés à 365,75 milliards $ dans 704 fonds à l’échelle mondiale, soit une baisse de 20 % par rapport à la même période en 2023. Dans ce contexte d’opérations de financement complexes, les promoteurs d’investissements dans des actifs privés cherchent toujours à diversifier leurs sources d’investissement. Par le passé, le paysage des investissements dans des actifs privés, qui comprend les investissements dans le secteur du capital-investissement, dans le crédit privé, dans les projets d’infrastructure et dans le développement immobilier, était dominé par des investisseurs institutionnels. Cette situation est attribuable en grande partie aux obstacles majeurs pour faire son entrée sur les marchés, notamment le montant élevé du placement minimal et l’illiquidité des placements.

Au cours des dernières années, les personnes aisées et d’autres investisseurs individuels au Canada ont eu la possibilité d’investir plus aisément dans des actifs privés. Cette « démocratisation » a transformé l’écosystème des investisseurs et a fait en sorte que des occasions autrefois exclusives sont maintenant accessibles à un plus grand nombre de personnes. Cette tendance croissante au Canada ouvre la voie à une plus grande accessibilité aux placements dans des actifs privés, une mesure qui est en phase avec la tendance mondiale visant à rendre ces marchés accessibles à un plus large public.

L’ajout d’actifs privés dans les portefeuilles s’impose pour les investisseurs qui souhaitent obtenir des rendements équilibrés rajustés en fonction du risque, ce qui met en lumière l’importance de l’intégration d’autres options de placement dans les stratégies de planification financière modernes.

Accès grâce à l’intermédiation financière

Compte tenu des difficultés rencontrées par les promoteurs de fonds et des autres facteurs du marché mentionnés concernant les opérations de financement, les promoteurs de fonds travaillent à la mise en place de moyens visant à élargir l’accès à d’autres options de placement pour les investisseurs individuels. En 2024, nous avons observé une augmentation notable du nombre d’offres de cette nature proposées par les gestionnaires de fonds. L’intermédiation financière demeure un mécanisme utile pour permettre aux investisseurs individuels d’avoir accès aux actifs privés.

En général, toute offre de vente de titres au Canada se fait au moyen d’un prospectus ou sur le marché dispensé sous le régime d’une dispense de prospectus. La dispense de prospectus la plus couramment invoquée est celle relative aux « investisseurs qualifiés ». En effet, au Canada, les « investisseurs qualifiés » sont autorisés à investir dans des actifs privés, parce qu’ils répondent à des critères financiers précis qui attestent leur capacité à gérer les risques les plus élevés associés à ces types de placements, ou parce qu’ils possèdent les qualifications nécessaires pour procéder à un tel placement. Les investisseurs qualifiés comprennent les particuliers qui, avec leur conjoint/conjointe, disposent de 1 million $ d’actifs financiers ou de 5 millions $ d’actifs nets, ou dont le revenu pour chacune des deux dernières années a été supérieur à 200 000 $ (individuellement) ou à 300 000 $ (conjointement). Ces seuils financiers sous-entendent que les investisseurs qualifiés disposent des connaissances financières et de la résilience nécessaires pour absorber les pertes potentielles associées aux investissements sur les marchés privés. De nombreux investisseurs individuels n’atteignent pas ces seuils; ils ne peuvent donc pas être considérés comme des investisseurs qualifiés. Toutefois, il existe d’autres mécanismes pour permettre aux investisseurs individuels de se qualifier pour avoir accès à des investissements privés.

Les investisseurs qualifiés comprennent également les conseillers et courtiers internationaux inscrits ou les conseillers et courtiers internationaux sur le marché dispensé inscrits agissant au nom d’un compte géré sous mandat discrétionnaire pour le compte d’un client. L’expression « géré sous mandat discrétionnaire » signifie que le conseiller ou le courtier a le pouvoir discrétionnaire d’effectuer des opérations sur des titres pour le compte d’un client sans avoir l’obligation d’obtenir son consentement exprès pour chaque opération. Le conseiller ou le courtier est réputé effectuer des achats de titres pour son propre compte et est présumé posséder les connaissances suffisantes en matière financière pour lui permettre d’évaluer si le placement convient à ses clients. Même si un investisseur individuel ne répond pas aux critères financiers pour être un investisseur qualifié habilité à agir de son propre chef, la participation d’un décideur professionnel habilité en matière de placement constitue une autre voie pour atténuer les préoccupations réglementaires associées à ces placements. Il est entendu et exigé que l’intermédiaire tienne compte, dans son ensemble, de la situation personnelle et financière de l’investisseur individuel pour évaluer la convenance du placement privé.

L’ajout d’actifs privés dans les portefeuilles s’impose pour les investisseurs qui souhaitent obtenir des rendements équilibrés rajustés en fonction du risque, ce qui met en lumière l’importance de l’intégration d’autres options de placement dans les stratégies de planification financière modernes.

La distribution dans les fonds d’actifs privés a connu une croissance importante au cours des deux dernières années. Les promoteurs de fonds d’investissement privé continuent de travailler avec les courtiers indépendants ou appartenant à des banques ainsi qu’avec les réseaux de gestionnaires de patrimoine pour que ces plateformes aient accès à leurs produits d’actifs privés et que ces options de placement soient offertes aux représentants inscrits chargés de la gestion d’actifs pour le compte de leurs clients.

De la même manière, les fonds d’investissement accessibles au public canadien placés au moyen d’un prospectus, ce qui comprend les fonds négociés en bourse, constituent une voie indirecte permettant aux investisseurs individuels d’effectuer des placements dans des actifs privés. Ces fonds sont confrontés à des défis de taille sur le plan des placements privés, notamment à une limite de 10 % de placements dans des actifs illiquides par les organismes de placement collectif, ou de 15 % dans des fonds d’investissement à capital fixe. De plus, il est interdit aux fonds d’investissement public d’investir dans des fonds privés qui répondent à la définition de « fonds d’investissement » prévue dans la législation en valeurs mobilières. Cette interdiction vise les fonds d’investissement dont les titres sont rachetables sur demande à leur valeur liquidative ou qui n’investissent pas dans le but d’exercer ou de chercher à exercer un contrôle, ou dans le but de participer activement à la gestion des émetteurs dans lesquels ils investissent.

La législation en valeurs mobilières interdit également aux fonds d’acheter des titres qui pourraient, suivant leurs modalités, exiger du fonds qu’il fasse un apport en excédent du paiement du prix d’achat. Ce type de structure exige une organisation particulière pour répondre aux appels de capital.

Nous avons constaté que les fonds d’investissement accessibles au public canadien, et qui ont une gestion active, sont toujours à la recherche d’investissements dans des actifs privés, mais ils doivent composer avec des contraintes importantes.

Structure des fonds et augmentation des fonds d’actifs privés à capital variable

La manière de structurer les fonds d’actifs privés continue d’évoluer. Pour permettre aux investisseurs individuels d’accéder aux fonds sous-jacents, les promoteurs de fonds peuvent par exemple opter pour la création de fonds nourriciers. Ces fonds regroupent les engagements de petits investisseurs qui, à leur tour, investissent dans des fonds privés traditionnels à capital fixe et « à durée déterminée ». Ces fonds nourriciers sont gérés par les promoteurs de fonds et les membres de leur groupe dans le cadre d’un programme d’ensemble, ou par un tiers fournisseur de services. Les placements respectent généralement les critères habituels associés aux placements dans un fonds à capital fixe. Dans cette structure, les investisseurs s’engagent à investir des capitaux obtenus par le promoteur du fonds au fil du temps, le capital est investi et géré, et le portefeuille de titres est finalement liquidé pour rendre les capitaux aux investisseurs. Le cycle de vie d’une telle structure est généralement de 10 à 14 ans.

Au cours des dernières années, les promoteurs de fonds ont cherché des façons d’accéder aux investisseurs individuels et de traiter la question de l’immobilisation des capitaux pendant une aussi longue période. Le modèle traditionnel de fonds privés axés sur des engagements et à durée déterminée a donc été abandonné au profit de structures de fonds dites « à injection constamment renouvelée de capitaux » ou « à capital variable ». Depuis de nombreuses années, des fonds sont établis pour investir dans des fonds d’actifs non traditionnels structurés sous forme de fonds à injection constamment renouvelée de capitaux. Ces fonds sont axés principalement sur des investissements dans les secteurs de l’immobilier et des infrastructures. Toutefois, ces dernières années, de nombreux promoteurs de fonds sont parvenus à lancer des fonds à capital variable destinés aux investisseurs individuels au Canada. Ils sont également parvenus à élargir leur utilisation afin d’y inclure les investissements en capital-investissement et en crédit privé, ainsi que d’autres types d’actifs non traditionnels.

Dans le modèle de fonds à injection constamment renouvelée, le fonds n’a pas de durée déterminée. Du point de vue du promoteur du fonds, ce critère est attrayant, car il élimine la nécessité d’obtenir des engagements d’investissement de capitaux importants tous les deux ou trois ans. Un fonds à injection constamment renouvelée dispose de capitaux propres bloqués à investir et aucune date limite n’est fixée pour rendre les capitaux aux investisseurs, ce qui permet de limiter les contraintes quant au moment d’effectuer les placements et de procéder à leur disposition. Les investisseurs achètent des titres dans le fonds à leur valeur liquidative à la date de l’achat, et le mode de fonctionnement du fonds est, à certains égards, semblable à celui d’un fonds commun de placement, mais les possibilités de rachat de titres sont plus restreintes pour les investisseurs.

Étant donné que les titres sous-jacents du portefeuille de placements en capitaux privés sont composés d’actifs non traditionnels, la liquidité est l’un des principaux défis des fonds à injection constamment renouvelée. Parmi les autres défis figurent l’illiquidité fréquente des actifs sous-jacents et la difficulté de les évaluer avec précision pour déterminer leur valeur liquidative. De plus, il est fréquent que les actifs ne produisent pas de revenu suffisant pour financer les rachats. Le recours à la vente précipitée d’actifs pour répondre aux besoins de liquidité est souvent contraire à la philosophie d’investissement du fonds, qui est centrée sur l’augmentation de la valeur à long terme.

En dépit de ces obstacles, les promoteurs de fonds ont mis sur pied plusieurs nouvelles structures pour faciliter les placements des investisseurs individuels. Ces produits sont généralement présentés avec une liquidité limitée, étant entendu qu’un portefeuille d’investissement soigneusement équilibré peut contenir une partie de placements à long terme et moins liquides.

En ce qui concerne les fonds admissibles à titre de fiducies de fonds communs de placement, ces produits peuvent également être détenus dans des comptes enregistrés, notamment dans des comptes d’épargne libre d’impôt (CELI) ou des régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), ce qui offre à un nombre encore plus grand d’investisseurs individuels la possibilité d’avoir accès à ces produits.

L’avenir des fonds de capitaux privés

Les autorités de réglementation reconnaissent les avantages potentiels que représente, pour les investisseurs comme pour les gestionnaires de fonds, un accès facilité aux occasions de placement dans des actifs privés, comme en témoigne le document de consultation 81-737 de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario intitulé Opportunity to Improve Retail Investor Access to Long-Term Assets through Investment Fund Product Structures [PDF en anglais uniquement], publié en octobre 2024. Dans ce document, les autorités proposent de créer une nouvelle catégorie de fonds d’investissement accessibles au public canadien conçus pour les investissements dans des actifs illiquides à long terme. Il est difficile de prédire si cette initiative réglementaire entraînera la proposition de nouveaux produits, puisque cette initiative demeure limitée à l’Ontario et du fait que ces fonds ne seront ni inscrits ni négociés à la cote d’une bourse de valeurs au Canada. Toutefois, si elle gagne en popularité, cette initiative pourrait élargir la panoplie d’options que les investisseurs individuels du Canada peuvent choisir pour leurs placements.

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Par ailleurs, dans le budget fédéral de 2024, le ministère des Finances du Canada a lancé une consultation sur la modernisation des règles sur les placements admissibles dans les régimes enregistrés (REER et CELI) et sur la manière de procéder. De plus, le gouvernement a exprimé sa disposition favorable à l’idée d’élargir la gamme des produits communs de placement qui sont admissibles à titre de placements admissibles en dehors des fiducies de fonds communs de placement.

La Canadian Venture Capital & Private Equity Association a été l’une des voix [PDF en anglais uniquement] à faire valoir que les fonds de capital-investissement et les fonds de capital de risque devraient être admissibles dans les régimes enregistrés. Cette proposition est fondée sur le fait qu’un tel élargissement de l’offre [TRADUCTION] « augmenterait de façon marquée les options de placement pour les investisseurs aguerris, en favorisant l’accès à des actifs en adéquation avec leurs stratégies d’épargne-retraite à long terme. De plus, cela contribuerait à renforcer les flux de capitaux disponibles pour propulser la croissance des entreprises au Canada ». Une telle évolution du régime fiscal au Canada aurait le potentiel de libérer davantage de capitaux provenant des investisseurs individuels. Les tendances observées au Canada suivent une trajectoire comparable à celle en cours aux États-Unis et ailleurs dans le monde. L’ouverture des investissements dans des actifs privés à un public plus large est une tendance mondiale, et nous nous attendons à ce que cette tendance continue de s’accélérer et de se transformer en 2025.