Perspectives juridiques Osler 2024

Les nouveaux pouvoirs se traduiront-ils par une application plus efficace de la réglementation des marchés financiers?

5 Déc 2024 12 MIN DE LECTURE

Les effets des récentes mesures visant à étendre les pouvoirs d’enquête et d’application des organismes de réglementation des valeurs mobilières ont commencé à se faire sentir en 2024.

Au cours de la dernière année, la British Columbia Securities Commission (Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, ou CVMCB) a mis en œuvre et utilisé pour la première fois le mécanisme des sanctions administratives imposées par avis (Administrative Penalties Imposed by Notice, ou APIN). L’APIN permet d’imposer des sanctions importantes sans audience pour les infractions moins graves aux lois sur les valeurs mobilières. Pendant ce temps, le gouvernement de l’Ontario a prévu de nouvelles propositions qui visent à faciliter la remise aux investisseurs lésés des sommes recouvrées et à assouplir les exigences relatives à la remise des assignations à comparaître aux fins d’enquête.

Nous avons également constaté une augmentation considérable du montant des sanctions pécuniaires imposées par les organismes de réglementation des valeurs mobilières au Canada. Fait rare, la Cour suprême du Canada s’est prononcée cette année sur deux questions essentielles pour les participants aux marchés financiers : la compétence réglementaire et le caractère exécutoire des sanctions en cas de faillite. La Cour devrait examiner la définition de « changement important » en 2025. Nous avons également vu que les tribunaux canadiens demeurent réticents à s’immiscer dans les décisions rendues par les tribunaux des organismes de réglementation.

Nous nous attendons à ce que l’année 2025 soit marquée par une augmentation continue des activités d’application et de la sévérité des sanctions imposées, les organismes de réglementation tirant parti de leurs nouveaux pouvoirs. En 2025, il est probable que les organismes de réglementation des valeurs mobilières des deux côtés de la frontière canado-américaine se voient attribuer de nouvelles priorités, en raison de ce qui devrait être une série de changements réglementaires et de direction politique.

Des pouvoirs élargis donnent lieu à des sanctions accrues

Au cours des trois dernières années, les activités d’application de la loi sur les marchés financiers se sont considérablement intensifiées, les organismes de réglementation des valeurs mobilières ayant adopté une approche plus dynamique pour contrer les violations et protéger les investisseurs. Pour l’exercice clos le 30 juin 2022, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont indiqué que les autorités membres avaient imposé des sanctions administratives de 16 millions de dollars. L’année suivante [PDF], les sanctions administratives ont augmenté légèrement pour s’établir à 18,4 millions de dollars. Toutefois, pour l’exercice clos le 30 juin 2024 [PDF], les sanctions ont fait un bond de près de 50 %, à 27,6 millions de dollars.

Une tendance semblable est observée lorsque l’on compare les statistiques concernant les ordonnances de restitution. Pour l’exercice clos le 30 juin 2022, les ordonnances de restitution rendues par les organismes de réglementation et les tribunaux se sont élevées à 14,8 millions de dollars. L’année suivante, ce montant est passé à 20,9 millions de dollars, ce qui représente une hausse de plus de 33 %. Ce chiffre a plus que triplé pour s’établir à 75,6 millions de dollars au cours de la période de 12 mois se terminant le 30 juin 2024.

La Cour suprême du Canada devrait clarifier la définition de « changement important », ce qui aura des répercussions importantes sur les acteurs des marchés financiers.

L’augmentation récente des activités d’application de la loi n’est pas surprenante, compte tenu des réformes et des propositions de modification des pouvoirs d’application des organismes de réglementation des valeurs mobilières au Canada. En 2023, le ministère des Finances de l’Ontario a proposé d’apporter des modifications aux pouvoirs d’application de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), parmi lesquelles une proposition controversée visait à remettre aux investisseurs lésés les sommes d’argent recueillies en application d’une ordonnance de remise. Comme nous l’avons déjà évoqué, la règle proposée risque de brouiller davantage les frontières entre les rôles des organismes de réglementation, des tribunaux et des médiateurs prévus par la loi, ce qui créerait des pressions concurrentielles entre eux et les amènerait à intensifier leurs mesures pour « faire ce qu’il faut » pour les investisseurs. La Colombie-Britannique dispose déjà de ces pouvoirs et remet régulièrement les sommes d’argent recueillies aux investisseurs.

Le ministère des Finances de l’Ontario a également annoncé son intention de faciliter la délivrance d’assignations à comparaître par courriel dans le but de rationaliser le processus d’application de la loi et de rendre les mesures réglementaires plus efficaces.

Ainsi que nous l’avons déjà écrit, la CVMCB dispose d’un nouveau mécanisme, l’APIN (page en anglais seulement), qui lui permet d’imposer des sanctions administratives qui peuvent être importantes sans tenir d’audience pour certaines contraventions moins graves à la réglementation sur les valeurs mobilières. Les amendes imposées en vertu de l’APIN peuvent atteindre 100 000 $ par infraction pour les particuliers et 500 000 $ par infraction pour les entités.

La CVMCB a utilisé le mécanisme de l’APIN pour la première fois en 2024. Capstone Asset Management Inc. a reçu une amende [PDF] de 12 000 $ pour avoir omis de maintenir une couverture d’assurance appropriée et pour avoir omis de mettre en œuvre des politiques et des procédures adéquates au moment de cette violation. On s’attend à ce que la CVMCB recoure davantage à ce mécanisme au cours des prochaines années. Pas plus tard qu’en octobre 2024, la CVMCB a imposé une pénalité administrative de 40 000 $ au chef de la direction d’un émetteur coté en bourse pour avoir omis de déposer dans les délais des rapports sur les opérations sur titres.

Surveillance des valeurs mobilières par la Cour suprême du Canada

Le plus haut tribunal du Canada nous a récemment donné une rare occasion de fournir des orientations judiciaires concernant la surveillance réglementaire des valeurs mobilières dans le cadre de deux appels, un troisième étant en instance. En 2025, la Cour entendra un autre appel d’une décision concernant un recours collectif en valeurs mobilières dans lequel elle devra examiner la définition de « changement important », un concept fondamental qui définit les obligations d’information des sociétés ouvertes canadiennes.

À la fin de 2023, dans l’affaire Sharp c. Autorité des marchés financiers, la Cour suprême du Canada s’est prononcée directement sur la question de savoir si les tribunaux administratifs provinciaux, et surtout les organismes de réglementation des valeurs mobilières, ont le pouvoir de sanctionner une conduite hors de la province. Comme nous l’avons écrit (page en anglais seulement) précédemment, l’Autorité des marchés financiers, organisme québécois de réglementation des valeurs mobilières, a intenté une action devant le Tribunal administratif des marchés financiers, qui est le tribunal des valeurs mobilières du Québec, alléguant que certains résidents de la Colombie-Britannique ont participé à un stratagème transnational de « gonflage et largage » (pump-and-dump) afin de manipuler le marché des actions de Solo International, Inc., en contravention avec la législation québécoise sur les valeurs mobilières.

En appel, la Cour suprême a rejeté la contestation des appelants quant à la compétence du tribunal des valeurs mobilières provincial. La Cour a conclu qu’il existait un lien suffisant entre le Québec et les appelants. Par conséquent, l’application du régime québécois de réglementation des valeurs mobilières était équitable envers les appelants. La Cour suprême a notamment insisté sur la nécessité d’adopter une approche souple et téléologique à l’égard des questions de compétence dans le contexte de la réglementation des valeurs mobilières, étant donné que la manipulation de titres et la fraude contemporaines en valeurs mobilières sont souvent transnationales et dépassent les frontières provinciales et nationales.

En juillet 2024, la Cour suprême du Canada a publié sa décision dans l’affaire Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission). Comme nous l’avons évoqué (page en anglais seulement), cette affaire a des répercussions importantes sur les valeurs mobilières et les marchés financiers. La Cour suprême a conclu que la CVMCB ne pouvait appliquer de sanctions contre les particuliers qui avaient déclaré faillite. Cette décision a créé un fossé critique entre le droit des valeurs mobilières et le droit de la faillite. Elle a suscité des appels en faveur d’une réforme du droit de la faillite afin que les organismes de réglementation des valeurs mobilières puissent appliquer efficacement des sanctions à l’encontre des particuliers qui tentent d’utiliser la faillite comme moyen d’échapper à leurs obligations financières. La décision a confirmé plus particulièrement le caractère exécutoire des ordonnances de remise en cas de faillite.

L’année prochaine, la Cour suprême du Canada se prononcera sur l’interprétation du terme « changement important » aux fins de la législation canadienne sur les valeurs mobilières. Au début de 2024, elle a accordé l’autorisation d’interjeter appel dans le cadre d’un recours collectif concernant le défaut de Lundin Mining de divulguer certains problèmes opérationnels qui auraient constitué un changement important. La Cour d’appel de l’Ontario a approuvé une analyse en deux étapes pour déterminer si un changement important s’est produit. Dans un premier temps, le tribunal doit déterminer si l’émetteur a connu un « changement », ce qui inclut un changement dans le risque auquel les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de l’organisation sont exposés. À cette étape, un tribunal ne tient pas compte de l’ampleur du changement. Dans un deuxième temps, comme le prévoit la législation sur les valeurs mobilières, un tribunal doit déterminer si le changement est raisonnablement susceptible d’avoir un effet appréciable sur le cours des valeurs mobilières de l’émetteur. La Cour d’appel a précisé que ce n’est qu’à cette deuxième étape de l’analyse que le tribunal examine l’ampleur ou l’importance du changement.

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La décision de la Cour suprême du Canada devrait clarifier la définition de « changement important ». Compte tenu de l’importance de ce concept, cette décision aura vraisemblablement des répercussions majeures sur les acteurs des marchés financiers, surtout en ce qui concerne leurs obligations de déclaration dans les délais impartis. L’instruction de l’appel est provisoirement prévue pour le début de 2025.

Reconnaissance de la compétence des organismes de réglementation des valeurs mobilières

En 2024, les tribunaux canadiens ont été réticents à intervenir dans les décisions rendues par les tribunaux réglementaires. Par le passé, les tribunaux ont fait preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions des organismes de réglementation des valeurs mobilières au sujet de l’étendue de leurs pouvoirs d’application et de la façon dont ces pouvoirs devraient être exercés. Il est clair que cette tendance devrait se poursuivre.

Dans l’affaire Brar v. British Columbia (Securities Commission), deux appelants ont contesté la constitutionnalité de la disposition autorisant la CVMCB à contraindre des témoins à témoigner et, en cas de non-respect, à engager une procédure d’outrage au tribunal. Dans une décision unanime, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté l’appel. Comme nous l’avons écrit, la Cour a confirmé la constitutionnalité de la disposition en s’appuyant sur la décision rendue en 1995 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire British Columbia Securities Commission c. Branch, sans tenir compte de l’incidence des modifications récentes à l’étendue des pouvoirs d’application des organismes de réglementation. La Cour hésitait manifestement à s’immiscer dans les affaires dans lesquelles une enquête avait été menée par les autorités de réglementation.

Entre-temps, la CVMO a défendu avec succès ses efforts d’enquête contre Binance Holdings Limited. Comme nous l’avons mentionné l’année dernière, Binance a intenté une série de contestations judiciaires après que le personnel de la CVMO a commencé à enquêter sur ses activités et sur les violations présumées d’un engagement qu’avait pris l’entreprise. En 2023, le Tribunal des marchés financiers de l’Ontario a déterminé qu’il n’a pas la compétence pour superviser le processus d’enquête du personnel. La Cour divisionnaire a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Binance, renvoyant l’entreprise devant la CVMO. En 2024, la CVMO a conclu qu’elle n’a pas non plus la compétence pour examiner la demande de Binance. Cela soulève une question importante, à savoir si les entreprises ontariennes disposent de moyens pratiques pour contester une assignation à comparaître aux fins d’enquête.

Perspectives à l’égard de la surveillance des marchés financiers

À l’approche de 2025, le paysage des marchés financiers canadiens est appelé à évoluer. Nous nous attendons à ce que les organismes de réglementation des valeurs mobilières continuent à prendre des mesures d’application de la loi dynamiques, en particulier dans les nouveaux secteurs et les secteurs en développement. Les organismes de réglementation seront probablement encouragés par le maintien constant du pouvoir judiciaire qui leur est conféré, par l’approche souple à l’égard des questions de compétence en matière de réglementation des valeurs mobilières et par les réformes en cours qui étendent leurs pouvoirs d’application de la loi. Il est à espérer qu’ils veilleront à faire appliquer la loi d’une manière qui ne limite pas indûment la croissance et l’innovation des marchés financiers. Les priorités en matière d’application de la loi pourraient également évoluer dans les années à venir, en raison des changements dans la réglementation et la direction politique. Après une longue recherche, la CVMO, le plus important organisme de réglementation des marchés financiers du Canada, a récemment nommé une nouvelle directrice, Application de la loi ainsi qu’une nouvelle directrice de l’exploitation. Il reste à voir quelle sera l’incidence de ce changement. Aux États-Unis, nous nous attendons également à des changements d’orientation lorsque la nouvelle administration présidentielle définira ses priorités pour la Securities and Exchange Commission et d’autres organismes de réglementation. Les participants au marché doivent se tenir informés et se préparer à ces changements, car ils auront sans aucun doute un impact sur les pratiques de conformité et d’application de la loi dans les marchés financiers.