Auteurs(trice)
Associée, Fiscalité, Calgary
Associé, Technologie, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Montréal
Associé, Droit commercial, Toronto
Rendre obligatoire la vente de véhicules électriques (VE) était la première étape facile de l’électrification de l’économie des transports au Canada, un élément clé de sa transition vers l’énergie propre. Mais là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit de créer les conditions dont les consommateurs et l’industrie canadienne ont besoin pour accélérer et soutenir le rythme d’adoption des VE.
L’un des principaux obstacles à l’adoption des VE est l’absence d’une infrastructure de recharge publique adéquate au Canada. En février 2024, le gouvernement du Canada estimait qu’il n’y avait que 30 000 bornes de recharge publiques en place, alors que les prévisions font état d’un besoin de 679 000 bornes d’ici 2040. En raison de cette grave pénurie, le réseau de recharge du Canada n’a pas actuellement l’empreinte nécessaire à la transition vers l’électromobilité.
Les décideurs politiques ne perdent pas de vue qu’il est essentiel de combler ce manque de bornes de recharge. On reconnaît de plus en plus qu’il faudra accroître l’infrastructure de recharge dans tout le Canada, y compris les régions éloignées et à faible revenu, les tours de bureaux et les immeubles résidentiels à logements multiples, ainsi que les principales infrastructures publiques, comme les aéroports, les autoroutes et les routes. Des stations de recharge ultrarapides à haute disponibilité seront nécessaires pour les expéditeurs, les services de covoiturage, les sociétés de location de voitures, les exploitants de transports en commun et d’autres entreprises qui ont besoin d’utiliser des véhicules de façon continue ou quasi continue.
Pour tenter de combler le manque de bornes de recharge, les pouvoirs publics fédéral, provinciaux et municipaux sont en train de mettre en œuvre un ensemble de règlements et de mesures d’encouragement. Les parties prenantes des secteurs de l’immobilier, du stationnement, de la technologie, des paiements, des VE et des services d’infrastructure électrique (entre autres) se mobilisent pour saisir ces occasions afin d’établir des modèles d’entreprise rentables pour la recharge des VE. Il reste à savoir quelle sera l’efficacité de ces efforts, et quels autres mécanismes politiques seront nécessaires pour apporter les changements dont le Canada a besoin pour réaliser ses ambitions en matière de VE.
L’impératif de l’infrastructure
La décarbonation du secteur des transports est un élément central de la stratégie du Canada aux fins du respect de son engagement de parvenir à la carboneutralité d’ici 2050. Cet engagement est inscrit dans la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, adoptée en 2021. Plus récemment, le 20 décembre 2023, le gouvernement du Canada a adopté un nouveau règlement qui exigera que les parcs de véhicules légers neufs des fabricants et des importateurs mis en vente au Canada comprennent un nombre minimum de véhicules zéro émission (VZE). Plus précisément, 100 % des ventes d’automobiles à passagers et de camions légers devront être des VZE d’ici 2035. Le règlement impose également un nombre provisoire d’au moins 20 % de VZE d’ici 2026 et d’au moins 60 % de VZE d’ici 2030.
En 2019, la Colombie-Britannique est devenue le premier territoire au monde à exiger que 100 % des véhicules vendus sur son territoire soient des VZE en adoptant sa loi intitulée Zero-Emission Vehicle Act, qui, en date de novembre 2023, exige que de telles ventes représentent 100 % des ventes d’ici 2035. Le Québec a récemment publié un projet de règlement qui imposerait des exigences similaires en 2035 dans la province.
Pour tenter de combler le manque de bornes de recharge, les pouvoirs publics fédéral, provinciaux et municipaux sont en train de mettre en œuvre un ensemble de règlements et de mesures d’encouragement.
Il ne fait aucun doute que des investissements massifs dans l’infrastructure de recharge seront nécessaires pour que soient satisfaits les besoins engendrés par l’augmentation significative du nombre de VE sur les routes du Canada. À cet effet, Ressources naturelles Canada a estimé que le coût d’immobilisation cumulatif de la construction d’une nouvelle infrastructure de recharge publique serait d’au moins 18 milliards de dollars jusqu’en 2040 pour les bornes de recharge utilisées par les automobiles à passagers et les autres véhicules légers. Cela ne comprend pas le coût des installations de recharge pour les véhicules moyens et lourds, qui est estimé à 47 milliards de dollars.
L’économie des réseaux de recharge publics diffère de celle des stations-service classiques. Alors que presque tous les véhicules à combustion interne doivent être ravitaillés dans une station-service, la plupart des VE, qu’ils appartiennent à des particuliers ou à des exploitants de parcs de véhicules, peuvent être branchés au domicile ou sur le lieu de travail, sauf lors des trajets sur de longues distances. Pour les consommateurs, le fait de pouvoir recharger leur véhicule à domicile présente un avantage majeur : les coûts de l’électricité peu élevés pendant les heures creuses. Les consommateurs ne sont donc pas encouragés à utiliser les stations de recharge publiques où ils paient l’électricité plus cher. Ces deux facteurs exercent une pression importante sur les marges bénéficiaires des services de recharge des VE. Ils rendent également les flux de revenus auxiliaires essentiels à la viabilité économique de l’infrastructure publique. Les flux de revenus auxiliaires peuvent inclure la vente de crédits de conformité carbone offerts aux fournisseurs de services de recharge de VE dans le cadre du Règlement sur les combustibles propres du Canada ou de la norme sur la disponibilité des véhicules électriques du Canada.
Certains observateurs considèrent Tesla Motors comme un phénomène permettant d’étudier la manière dont l’expansion de l’infrastructure de recharge guidée par le marché peut fonctionner. Avec plus de 17 800 superchargeurs, Tesla possède sans conteste le réseau de stations de recharge rapide le plus vaste et le plus étendu d’Amérique du Nord. Au Canada, ce nombre approche désormais les 1 500 superchargeurs. En outre, depuis que Tesla a annoncé en 2022 qu’elle ouvrait son réseau de recharge aux propriétaires de VE fabriqués par d’autres constructeurs automobiles, plusieurs d’entre eux, dont Ford, GM et BMW, ont conclu avec Tesla des conventions commerciales qui permettront à leurs véhicules d’accéder au réseau de recharge et au système de paiement de Tesla.
Financement de l’expansion du réseau de recharge
Le rythme accru d’adoption des VE permet d’entrevoir une augmentation de la demande d’investissements dans de nouvelles bornes de recharge. Néanmoins, il reste à voir si Tesla et d’autres propriétaires de réseaux de recharge au Canada, comme FLO, seront d’avis que la demande de recharge de VE est suffisante au point de justifier les importantes dépenses en immobilisations requises pour aménager des stations de recharge supplémentaires. Cela déterminera à son tour dans quelle mesure le soutien des pouvoirs publics sera nécessaire.
Les pouvoirs publics ont déjà mis en place un certain nombre de mesures d’encouragement. Dans le cadre du Programme d’infrastructure pour les véhicules à émission zéro, le Canada a affecté 1,18 milliard de dollars à l’appui du déploiement d’environ 84 500 bornes de recharge d’ici 2029. Ces investissements sont axés sur l’installation de bornes de recharge dans les lieux publics, sur la rue, dans les immeubles résidentiels à logements multiples et sur les lieux de travail. Le programme subventionne 50 % du coût total des projets d’installation de bornes de recharge pour VE, jusqu’à concurrence de 5 millions de dollars par projet. Malheureusement, ce programme n’a pas été très populaire dans le segment des véhicules moyens et lourds, car jusqu’ici, moins de 0,2 % des demandes de financement dans le cadre du programme ont été faites pour des bornes de recharge de ce type de véhicules.
En outre, dans le cadre de l’initiative d’infrastructures de recharge et de ravitaillement en hydrogène (IRRH) de la Banque canadienne d’infrastructure, le Canada a provisionné au moins 800 millions de dollars en capital concessionnel pour des structures de prêt à l’appui des infrastructures publiques de recharge rapide ou de ravitaillement en hydrogène. Ce programme est destiné à fonctionner en tandem avec le Programme d’infrastructure pour les véhicules à émission zéro et d’autres programmes de financement public, en fournissant un financement public pouvant atteindre un plafond global des coûts admissibles du projet, généralement fixé à environ 75 %.
Même s’il s’est principalement servi des crédits d’impôt à l’investissement (CII) pour soutenir la transition vers l’énergie propre, le gouvernement fédéral n’a introduit aucun CII expressément axé sur l’infrastructure de recharge des VE. La seule forme d’encouragement fiscal qu’il a offert pour l’aménagement et l’installation de l’infrastructure de recharge des VE consiste en une réduction temporaire de 50 % de son taux général d’imposition des bénéfices des sociétés pour les entreprises qui fabriquent des technologies à zéro émission, y compris les systèmes de recharge des VE. Cette réduction n’est offerte que de 2022 à 2031 et sera entièrement éliminée en 2035.
Incertitudes politiques
De nombreuses incertitudes politiques à long terme planent sur le secteur des VE au Canada. Par exemple, l’incertitude est grande quant au niveau de soutien gouvernemental qui existera au niveau fédéral, ainsi qu’en ce qui concerne la norme de disponibilité des véhicules électriques du Canada de manière plus générale. Même si plusieurs provinces, territoires et municipalités ont mis en place des programmes destinés à combler le manque de bornes de recharge, la plupart de ces programmes se limitent à offrir de petits remboursements aux personnes qui installent des bornes de recharge à domicile. La plupart d’entre eux doivent également expirer au cours des prochaines années. À l’heure actuelle, il reste à mettre sur pied des programmes provinciaux de grande envergure qui financent de grands projets ou des projets commerciaux de nature similaire à ceux de l’IRRH. La Stratégie québécoise sur la recharge de véhicules électriques a prévu la somme relativement modeste de 265 millions de dollars pour des bornes publiques de recharge rapide et de niveau 2 installées par des entreprises privées.
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En savoir plusEn ce qui concerne l’infrastructure de recharge des VE, les pouvoirs publics devront non seulement porter attention à son aménagement, mais aussi à son intégration dans les codes du bâtiment du pays. À l’heure actuelle, il n’existe à l’échelle nationale aucun code du bâtiment uniforme qui exigerait des immeubles à logements multiples ou des bâtiments publics, nouveaux ou existants, qu’ils soient dotés de bornes de recharge pour VE. En Ontario, une telle exigence a déjà figuré dans son code du bâtiment, mais elle a été révoquée à la suite des élections de 2018. Depuis, le gouvernement de l’Ontario a rejeté toute tentative de rétablir une telle exigence. Sa réticence à modifier son code du bâtiment semble surprenante, puisque la province a engagé plus de 28 milliards de dollars pour attirer des installations de fabrication faisant partie de la chaîne d’approvisionnement des VE en Ontario.
Perspectives d’avenir
Compte tenu de la nécessité d’accroître l’accès aux capitaux, de créer des occasions de générer des revenus, d’harmoniser les codes du bâtiment et d’améliorer l’approvisionnement en électricité, les pouvoirs publics auront un rôle crucial à jouer si le Canada souhaite combler à temps le manque de bornes de recharge et ainsi atteindre son objectif extrêmement ambitieux, à savoir que les ventes de VE représentent 100 % des ventes de véhicules d’ici 2035.