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Une conversation avec Catherine Roome

27 Nov 2024 24 MIN DE LECTURE
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Une conversation avec Catherine Roome

VOIX DE LA DIVERSITÉ

Dans cet épisode, Joanna Cameron, associée au sein du groupe de droit des sociétés d’Osler et coautrice du rapport Pratiques de divulgation en matière de diversité, reçoit Catherine Roome, une spécialiste de l’innovation technologique qui s’attache à servir l’intérêt public. Mme Roome siège au conseil d’administration de BC Hydro, préside celui de sa filiale chargée du commerce des ressources énergétiques, Powerex, et est membre du comité de surveillance du projet hydroélectrique Site C. Elle siège également aux conseils d’administration de Prospera Credit Union et de McElhanney Engineering, dont elle préside le comité d’exploitation. Elle a récemment occupé le poste de chef de la direction par intérim de l’Atira Women’s Resource Society, organisme qui se voue à soutenir le renouvellement opérationnel et la gouvernance de la plus grande organisation de logement supervisé de la Colombie-Britannique. Auparavant, elle a dirigé Technical Safety BC pendant 10 ans. Mme Roome se consacre à la promotion de la justice, de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, et encourage la prochaine génération de dirigeants.


Invitée

Catherine Roome

Administratrice de sociétés

Joanna Cameron : Je suis Joanna Cameron, associée au sein du groupe de droit des sociétés d’Osler et coautrice du rapport Pratiques de divulgation en matière de diversité. J’ai le plaisir d’accueillir Catherine Roome. Catherine est une spécialiste de l’innovation technologique qui s’attache à servir l’intérêt public. Elle siège au conseil d’administration de BC Hydro, préside celui de sa filiale chargée du commerce des ressources énergétiques, Powerex, et est membre du conseil de surveillance du projet hydroélectrique Site C. Elle siège également aux conseils d’administration de Prospera Credit Union et de McElhanney Engineering, dont elle préside le conseil d’exploitation. Catherine a récemment occupé le poste de chef de la direction par intérim de l’Atira Women’s Resource Society, organisme qui se voue à soutenir le renouvellement opérationnel et la gouvernance de la plus grande organisation de logement supervisé de la Colombie-Britannique. Auparavant, elle a dirigé Technical Safety BC pendant 10 ans. Elle se consacre à la promotion de la justice, de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, et encourage la prochaine génération de dirigeants. Catherine, merci beaucoup de vous joindre à moi aujourd’hui.

Catherine Roome : Tout le plaisir est pour moi.

Joanna Cameron : Ce balado tombe à point nommé, car nous venons de publier la dixième édition de notre rapport annuel sur les pratiques de divulgation en matière de diversité dans les sociétés ouvertes canadiennes. L’une des conclusions de ce rapport m’a particulièrement interpellée, compte tenu de vos antécédents et surtout du fait qu’à l’heure actuelle, je crois que quatre des conseils d’administration dont vous êtes membre sont présidés par des femmes. Il est intéressant de noter que les recherches que nous avons menées pour rédiger ce rapport suggèrent qu’il existe une corrélation positive entre la diversité des conseils d’administration et la proportion de postes de président du conseil d’administration ou de chef de la direction occupés par des femmes. Est-ce que cela correspond à votre expérience?

Catherine Roome : Cette corrélation est intéressante, et je pense qu’elle est logique parce que toutes les femmes qui président actuellement un conseil d’administration occupaient antérieurement un poste à la haute direction. Par exemple, Gina, qui est une cheffe des finances, est maintenant une fondatrice et une entrepreneuse. Lori, qui est aussi présidente d’un conseil d’administration, était sous-ministre, aujourd’hui à la retraite, et je suis une ancienne cheffe de la direction. La corrélation est peut-être que nous connaissons le travail, nous savons à quel point il est difficile d’être à la direction d’une entreprise. Mais nous savons aussi que, comme présidentes de conseils d’administration, les femmes sont des leaders extrêmement compétentes. Quand une femme préside un conseil d’administration, après avoir accumulé toute cette expérience et avoir fini par siéger au conseil d’administration, le conseil d’administration peut comprendre que les styles de direction, leur diversité et tout ce que cela implique sont à sa disposition lorsque vient le moment de choisir un nouveau chef de la direction. Et l’on sait que cela n’arrive pas très souvent. Il faut compter entre quatre et 15 ans. Lorsqu’il y a un changement… quand, récemment, le conseil d’administration d’une entreprise du secteur privé auquel je siège cherchait à remplacer le chef de la direction qui partait à la retraite, le cabinet de conseil en direction a proposé : « Élargissons notre angle de recherche. Incluons toutes les caractéristiques de la diversité sous tous ses aspects. » Et je pense qu’en partie, la réceptivité offerte par le fait que le poste de président du conseil d’administration était occupé par une femme a permis d’élargir la recherche de candidats compétents à tous les groupes de personnes; nous étions ouverts à cela, et ils le savaient. Il y a eu une sorte de rencontre, je pense, entre l’occasion qui s’est présentée et la prise de conscience que des personnes compétentes étaient déjà là. C’est peut-être une analogie parfaite qui explique pourquoi les femmes présidentes de conseils d’administration soutiennent fortement les femmes cheffes de la direction et créent la culture nécessaire pour créer l’occasion.

Joanna Cameron : Quel est le plus grand changement que vous avez remarqué dans la dynamique du conseil d’administration par suite de l’augmentation de la diversité au sein du conseil?

Catherine Roome : La semaine dernière, pendant une réunion du conseil d’administration d’une institution financière, nous avons eu une discussion où tout le monde était tendu, et c’était difficile. Ce qui, selon moi, a été intéressant, c’est que ce sont les femmes au sein du conseil qui ont vraiment insisté pour savoir si l’équipe de haute direction nous avait communiqué toute l’information dont le conseil avait besoin, si l’information était entachée d’un certain biais optimiste ou si l’équipe voulait contrôler l’information et nous la communiquer au compte-gouttes parce ses membres traversaient eux-mêmes une situation inédite. La discussion a provoqué des tensions entre certains membres du conseil, ce qui, à mon avis, est une bonne chose, car cela veut dire que, lorsque les gens deviennent embarrassés, il est possible d’avoir une discussion franche et de parler des vraies affaires. Et c’est ce qui s’est produit. La réunion s’est poursuivie. Il y a eu un huis clos à la fin, et tout le monde a admis que c’était très embarrassant. Il a fallu qu’une autre femme du conseil dise : « Ce qui se passe ici, c’est une caractéristique très culturelle, le muscle auquel nous devons faire appel pour arriver à nos fins, c’est que nous devons être prêts à nous dire les vraies affaires, à nous remettre en question les uns les autres et à bousculer la direction. » Nous n’avons pas eu à faire appel à ce muscle dans une large mesure par le passé, mais c’est précisément ce changement dans notre propre comportement qui va nous permettre de parvenir à nos fins. Le fait que cette discussion a permis de résoudre les tensions et les difficultés et que tout le monde s’est aperçu que c’était bien vrai montre la valeur des femmes dans les conseils d’administration; une femme présidente a permis à cette discussion d’avoir lieu et, en fait, a permis de la clore, et de la clore sur le plan émotionnel, parce qu’elle accorde de l’importance à la sécurité psychologique. Nous sommes donc devenus une équipe encore plus soudée, en tant que conseil d’administration, parce que nous avons été capables d’exprimer ces grandes différences de valeurs. Mais on l’a fait. On ne l’a pas fait en cachette; on l’a fait au grand jour. Donc, oui, je pense qu’on voit que les choses se passent différemment lorsque des femmes siègent à des conseils d’administration, et cette présence est extrêmement constructive. Et c’est un fait que toute diversité au sein d’un conseil d’administration, sur le plan tant de l’âge que de l’appartenance ethnique ou raciale, peu importe la caractéristique, nous amène à considérer un problème sous un angle différent, ce qui ne peut être qu’une bonne chose. Alors oui, je suis enthousiaste. Je suis ravie du changement que nous observons dans le processus décisionnel.

Joanna Cameron : Je suis tout à fait d’accord. Je pense que, lorsqu’on parle de diversité, on dit que c’est bon pour les affaires, et l’on a tendance à se concentrer sur cet aspect, et c’est peut-être une fonction de « si c’est mesuré, c’est géré ». On essaie d’établir un lien entre les indicateurs financiers et les caractéristiques de la diversité au sein des entreprises, que ce soit au niveau de la haute direction ou du conseil d’administration. Je pense que, pour reprendre votre idée, l’essentiel est que les conseils d’administration et les équipes de haute direction diversifiés prennent de meilleures décisions, ce qui se traduit par de meilleurs résultats financiers. À mon avis, c’est plus difficile à quantifier. Cependant, ce qui est important, c’est de prendre du recul par rapport aux chiffres et c’est ce qui vous permet d’atteindre ces résultats. Ce sont vraiment les conseils d’administration et les équipes, y compris les équipes de haute direction, qui peuvent s’engager avec cette franchise et cet environnement permettant de créer ce que j’appellerais la dissidence constructive. C’est ce qui nous éloigne de la pensée de groupe classique et de la prise de décision homogène qui a plombé le monde des affaires au Canada, à vrai dire, pendant des années. Et je suis d’accord avec vous, je pense qu’on peut être optimiste.

Catherine Roome : Oui. On en a parlé tout à l’heure. C’est que les conseils d’administration finissent par se lover dans un certain confort. Les membres se connaissent tous, partagent à peu près les mêmes valeurs et, dans ce confort, ont tendance à prendre des décisions qui se ressemblent parce qu’ils regardent les données du même œil. Et cela ouvre la question de savoir – pour les plus grands fonds de pension du Canada, c’est peut-être évident que des conseils diversifiés prennent de meilleures décisions, d’où leur exigence à avoir cette diversité – pourquoi n’est-ce pas le cas au sein des conseils des sociétés ouvertes plus petites, des entreprises familiales ou des entreprises du secteur privé? A-t-on enfin compris? Ou peut-être, c’est que le changement dérange : mais cela va être difficile et il va falloir que je sorte de mon réseau et fasse appel à une équipe de conseil en direction ou une agence de recrutement pour intégrer des personnes que je ne connais pas. Encore une fois, les personnes qu’on recrute doivent cadrer avec la culture d’entreprise, mais il va falloir sortir de sa zone de confort pour devenir plus fort. Cette façon de penser à propos de la croissance au sein des conseils d’administration est vraiment le sujet dont il faut parler. En tant que leaders, nous n’avons pas cessé de nous perfectionner lorsque nous avons quitté notre poste à la haute direction pour venir au conseil. Comme administrateurs, nous continuons de nous perfectionner, et on ne peut se perfectionner que si on essaie de nouvelles choses. Qu’il s’agisse de l’activité de l’entreprise, d’un changement de stratégie, du remplacement du chef de la direction, de fusions et d’acquisitions, mais surtout d’un changement dans la façon dont on perçoit un problème, on ne peut y parvenir que si d’autres personnes posent des questions auxquelles on n’avait pas pensé.

Joanna Cameron : Je suis d’accord, et vous avez souligné l’une des autres conclusions de notre rapport, à savoir que les progrès ont été en grande partie propulsés par des émetteurs plus grands, plus matures et plus avertis; dans une certaine mesure, les chiffres ont tendance à être tirés vers le bas par les petits émetteurs, et certains secteurs sont à la traîne par rapport à la moyenne. Il existe certainement d’autres leviers. Comme vous l’avez dit, les fonds de pension et les groupes d’actionnaires institutionnels activistes exercent une pression très forte sur les grands émetteurs. Mais il va falloir que les petits émetteurs en voient les avantages par eux-mêmes. Espérons que c’est à ce niveau-là que les choses vont débloquer et progresser; cela va venir de la base en termes de taille des émetteurs. Nous verrons l’année prochaine.

Catherine Roome : Oui. Espérons que les données que vous publierez l’année prochaine montreront effectivement une augmentation. Je pense qu’on espérait, bien entendu, que des cibles provoqueraient le changement, et cela a marché dans certaines cultures. Ça a très bien fonctionné en Europe. Je pense que ce qui fonctionnera davantage en Amérique du Nord, c’est que les clients l’exigeront. Cela fait partie de leur mode de gestion de la qualité, quand vient le temps de choisir les partenaires avec qui ils font affaire.

Joanna Cameron : Je suis d’accord, le changement viendra en grande partie de décisions d’achat réfléchies, délibérées et tournées vers l’avenir. Sur ce, je voulais vous remercier de vous être jointe à moi aujourd’hui pour cette très intéressante conversation, qui rejoint beaucoup des conclusions de notre rapport. Je suis également optimiste; on a peut-être ralenti, mais je ne pense pas que cela soit la fin.

Catherine Roome : Félicitations pour votre rapport. Il est excellent.