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Plus de rigueur dans l’application de la loi

28 Juin 2024 23 MIN DE LECTURE
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Le régime d’examen des fusionnements prévu par la Loi sur la concurrence (la Loi) a subi d’importants changements d’ordre technique et procédural, de même que quant au fond. Nous abordons ci-dessous les principales modifications, à savoir l’introduction d’une présomption réfutable de préjudice fondée sur les parts du marché et les niveaux de concentration, une norme de redressement accrue pour les fusionnements anti-concurrentiels, l’abrogation du moyen de défense fondé sur les gains en efficience, l’ajout d’autres facteurs à considérer lors de l’examen d’un fusionnement, l’ajustement des seuils déclenchant les dispositions relatives aux préavis de fusionnement et certaines modifications d’ordre procédural visant à améliorer la capacité du commissaire de la concurrence (le commissaire) à examiner et à contester les fusionnements.

Les modifications rapprochent les dispositions de la Loi relatives à l’examen des fusionnements du droit américain sur les fusionnements (c’est-à-dire une norme de redressement plus stricte, sans « moyen de défense » fondé sur les gains en efficience) et reflètent certains aspects de l’approche plus agressive du Département de la justice (division antitrust) et de la Federal Trade Commission des États-Unis en matière d’application de la loi, telle qu’elle est exposée dans leurs Lignes directrices sur les fusionnements de 2023.

Même si seule l’expérience nous révèlera l’effet de ces changements sur l’examen des fusionnements au Canada, il se pourrait que les activités d’application de la loi touchant les fusionnements s’intensifient au Canada. Il est donc primordial que les parties à un fusionnement procèdent, avant la signature de leur convention, à une évaluation complète des effets de la transaction proposée sur la concurrence et qu’elles sachent la voie à suivre pour la mener à bien.

Nouvelles présomptions réfutables de préjudice

Le critère fondamental prévu par la Loi qu’un fusionnement doit satisfaire avant que le Tribunal de la concurrence (le Tribunal) puisse ordonner une mesure de redressement à son égard n’a pas changé. En vertu de l’article 92 de la Loi, le commissaire doit établir que le fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ou aura vraisemblablement cet effet (l’effet EDSC). Cependant, l’article 92, qui établit le cadre suivant lequel on peut déterminer que le critère relatif à l’effet EDSC a été satisfait ou non, a été modifié à certains égards importants. Notamment, le cadre en question comprend désormais une présomption réfutable de préjudice concurrentiel basée sur les parts du marché et les niveaux de concentration après le fusionnement.

Auparavant, l’article 92(2) de la Loi stipulait explicitement que le Tribunal ne pouvait pas conclure qu’un fusionnement aurait vraisemblablement un effet EDSC en raison seulement de la concentration ou de la part du marché. Bien que, en ce qui concerne les fusionnements, les Lignes directrices pour l’application de la loi du Bureau de la concurrence (le Bureau) indiquent depuis longtemps que le commissaire ne contestera généralement pas un fusionnement en se fondant sur des préoccupations en lien avec l’exercice unilatéral d’un pouvoir de marché lorsque la part de marché de l’entreprise fusionnée est inférieure à 35 % ou des préoccupations en lien avec l’exercice coordonné d’un pouvoir de marché lorsque la part de marché détenue par les quatre plus grandes entreprises sur le marché après le fusionnement est inférieure à 65 % ou que la part de marché de l’entreprise fusionnée est inférieure à 10 %, la Loi ne prévoyait auparavant aucun seuil prescrit en matière de parts de marché ou de concentration aux fins de l’analyse des effets qu’un fusionnement pourrait vraisemblablement avoir sur la concurrence.

À la suite des modifications apportées à la Loi, l’article 92(2) prévoit désormais que, lorsque le Tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’un fusionnement entraînera vraisemblablement une augmentation importante de la concentration ou de la part du marché, il conclut (c.-à-d. sans discrétion) également que le fusionnement aura vraisemblablement un effet EDSC, sauf preuve contraire, selon la prépondérance des probabilités, par les parties au fusionnement. Par conséquent, lorsque les seuils de concentration ou de part du marché sont établis, il incombe aux parties au fusionnement, non plus au commissaire, de démontrer pourquoi, malgré l’augmentation importante, la transaction n’aura vraisemblablement pas un effet EDSC. L’article 92(3) définit ce qui constitue une augmentation importante de la concentration ou de la part du marché. Désormais, un fusionnement entraînera vraisemblablement une augmentation importante de la concentration ou de la part du marché si, dans tout marché pertinent, en raison du fusionnement, à la fois :

  1. l’indice de concentration (qui correspond à la somme des carrés des parts du marché des fournisseurs ou des clients) augmente de plus de 100; et
  2. l’indice de concentration est supérieur à 1800, ou la part du marché des parties au fusionnement est supérieure à 30 %.

Non seulement la Loi prescrit maintenant les seuils de part du marché et de concentration qui entraîneront une présomption de préjudice anti-concurrentiel, mais elle le fait à des niveaux qui — du moins d’un point de vue unilatéral — sont inférieurs à ceux que le Bureau avait précédemment définis dans les Lignes directrices pour l’application de la loi comme étant susceptibles de soulever des préoccupations. Toutefois, les nouveaux seuils de part du marché et de concentration cadrent exactement avec l’approche adoptée dans les Lignes directrices sur les fusionnements des États-Unis récemment modifiées.

L’établissement d’une présomption réfutable de préjudice sur la base des parts du marché et des niveaux de concentration après le fusionnement s’inspire des mesures d’application de la loi mises en pratique aux États-Unis depuis un certain temps. Toutefois, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, la présomption au Canada est maintenant prescrite par la loi, ce qui fait craindre qu’il y ait moins de marge de manœuvre et de discrétion que lorsque la présomption est établie dans le cadre d’une approche ou d’une directive en matière d’application de la loi.[1] En effet, la jurisprudence américaine a indiqué que le cadre d’examen des fusionnements aux États-Unis est appliqué « avec souplesse » (flexibly), [traduction libre] « les éléments de preuve étant examinés en une seule fois et les fardeaux étant souvent analysés ensemble ».[2]

En pratique, nous nous attendons à ce que le processus d’examen des fusionnements se déroule à bien des égards comme par le passé, c.-à-d. que les parties au fusionnement et le Bureau engageront le dialogue sur la définition du marché, les parts du marché et les effets concurrentiels. Toutefois, on peut s’attendre à ce que l’on se concentre davantage sur la quantification des parts du marché et des niveaux de concentration et, de ce fait, sur l’évaluation de la définition du marché, des parts du marché et des niveaux de concentration lors de l’examen d’une transaction proposée. L’accent mis sur la quantification des parts du marché et des niveaux de concentration pourrait causer des difficultés aux parties à un fusionnement qui exercent leurs activités dans des secteurs où il n’existe que très peu ou pas de données sur les parts du marché (ou lorsque ces données ne correspondent pas aux marchés définis aux fins d’une analyse des effets concurrentiels). Dans de tels cas, en matière d’information, les parties au fusionnement pourraient se trouver dans une situation défavorable par rapport au Bureau, qui a accès à des outils de collecte d’information lui permettant de recueillir des données et des renseignements auprès de tiers participants au marché sur une base confidentielle. Il reste à voir comment, du point de vue de la procédure et du fond, la présomption réfutable (et le transfert du fardeau correspondant aux parties au fusionnement) se comportera dans le contexte d’actions en contestation d’un fusionnement devant le Tribunal.

Toutefois, et surtout, il n’en demeure pas moins que les parts du marché et les niveaux de concentration ne constituent pas la fin de l’histoire. Une présomption n’est rien d’autre que cela : une présomption qui peut être réfutée par des éléments corroboratifs suffisants permettant de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, le fusionnement n’aura vraisemblablement pas un effet EDSC. Ces éléments peuvent inclure, par exemple, la probabilité d’entrée ou de participation accrue d’autres acteurs dans le marché, les efforts d’innovation en cours et les changements au sein d’un marché dynamique, le pouvoir compensateur des consommateurs et la probabilité d’échec de la cible en l’absence de fusionnement, pour n’en citer que quelques-uns.

Nouvelle norme de redressement : tous les effets anti-concurrentiels doivent être supprimés

Outre l’introduction d’une présomption réfutable de préjudice fondée sur les parts du marché et les niveaux de concentration, une mesure de redressement ordonnée relativement aux effets anti-concurrentiels d’un fusionnement doit désormais préserver ou rétablir le niveau de concurrence qui aurait prévalu sans le fusionnement.

Ce changement annule directement la décision de la Cour suprême du Canada rendue il y a des dizaines d’années dans l’affaire Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.,[3] qui stipule qu’une mesure de redressement doit seulement rétablir la concurrence de façon qu’il ne soit plus possible de dire qu’elle est sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnement. En d’autres termes, les mesures de redressement visant uniquement à supprimer le « S » de l’« effet EDSC » ne sont plus suffisantes; elles doivent aller plus loin pour rétablir (dans le cas d’un fusionnement réalisé) ou préserver (dans le cas d’un fusionnement proposé) la concurrence.

Bien qu’il soit contraire à la jurisprudence établie de longue date et à l’accent mis expressément par la Loi sur les effets « sensibles » sur la concurrence, ce changement n’est pas entièrement surprenant étant donné la préférence déclarée du Bureau pour une mesure de redressement qui supprime complètement l’effet anti-concurrentiel sur le marché concerné plutôt que pour une mesure qui ne porte que sur les effets anti-concurrentiels sensibles. Il reste à voir quel sera l’effet réel du changement apporté à la norme de redressement sur la détermination des mesures de redressement touchant les fusionnements, mesures qui pour la plupart, jusqu’à présent, ont fait l’objet de négociations consensuelles.

Le moyen de défense fondé sur les gains en efficience prévu par la Loi a été abrogé, mais les gains en efficience restent importants

Le moyen de défense fondé sur les gains en efficience, qui se trouvait auparavant à l’article 96 de la Loi et qui a été abrogé en décembre 2023, prévoyait que le Tribunal ne pouvait pas ordonner des mesures de redressement dans les cas où il concluait que le fusionnement allait vraisemblablement avoir pour effet d’entraîner des gains en efficience, que ces gains surpasseraient et neutraliseraient les effets anti-concurrentiels du fusionnement et que ces gains ne seraient vraisemblablement pas réalisés si l’ordonnance était rendue. L’un après l’autre, et ce pendant plus de dix ans, les commissaires ont demandé l’abrogation de ce moyen de défense, en faisant souvent remarquer que ce moyen de défense (qui était propre au Canada) était en décalage par rapport à l’approche des homologues du Bureau dans le monde entier en matière d’examen des fusionnements et d’application de la loi.

Introduit pour la première fois dans la Loi dans les années 1980, l’article 96 n’a été invoqué que dans le cadre d’un petit nombre de fusionnements qui, au bout du compte, ont été autorisés, que ce soit par le commissaire à l’égard de fusionnements qu’il refusait de contester, ou par les parties au fusionnement dans le cadre de leur défense devant le Tribunal. La décision la plus récente traitant de ce moyen de défense — qui a été confirmée en appel — est la décision du Tribunal dans l’affaire du fusionnement Secure/Tervita. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que le moyen de défense fondé sur les gains en efficience ne pouvait pas être invoqué et a ordonné de multiples dessaisissements pour remédier aux effets anti-concurrentiels.[4] Même si son application se limitait à l’examen des fusionnements, le moyen de défense fondé sur les gains en efficience avait un effet très vaste sur le processus et les délais d’examen des fusionnements au Canada.

Si les gains en efficience ne constituent plus un moyen de défense complet contre un fusionnement qui, par ailleurs, aurait vraisemblablement un effet EDSC, ils restent pertinents dans l’évaluation des effets sur la concurrence, tout comme aux États-Unis, où le moyen de défense fondé sur les gains en efficience n’a jamais existé. Comme le stipule l’article 1, la Loi a toujours pour objet principal, notamment, de stimuler l’efficience de l’économie, et l’alinéa 93(h) prévoit que, lors de l’évaluation des effets d’un fusionnement sur la concurrence, le Tribunal peut tenir compte, entre autres, de tout autre facteur pertinent à la concurrence dans un marché qui est ou serait touché par le fusionnement réalisé ou proposé. Par conséquent, le Tribunal est toujours en mesure d’examiner les arguments relatifs aux gains en efficience (en particulier ceux qui seraient répercutés sur les consommateurs sous la forme d’une baisse des prix, d’une amélioration de la qualité ou d’une innovation). En outre, le commissaire a clairement indiqué que « les gains en efficience favorables à la concurrence découlant d’une fusion pourraient absolument être pris en compte quand nous évaluons si une fusion réduirait ou empêcherait substantiellement la concurrence ».[5]

Autres facteurs à considérer dans le cadre de l’examen d’un fusionnement

La liste des facteurs dont le Tribunal doit tenir compte pour déterminer si un fusionnement aura vraisemblablement un effet EDSC, qui sont énoncés à l’article 93, a été allongée pour la première fois en juin 2022, puis à nouveau par le biais de modifications supplémentaires en juin 2024. La liste des facteurs figurant à l’article 93 est depuis longtemps non exhaustive, mais les facteurs ajoutés dernièrement mettent en évidence les domaines d’intérêt vers lesquels le Bureau s’est tourné au cours des dernières années :

  • Innovation : Le Tribunal doit examiner la nature et la portée des changements et des innovations dans le marché pertinent.
  • Effets de réseau : Le Tribunal doit tenir compte des effets de réseau dans le marché.
  • Renforcement de la position des entreprises en place : Le Tribunal doit examiner si le fusionnement contribuerait au renforcement de la position sur le marché des principales entreprises en place.
  • Effets sur la concurrence hors prix : Le Tribunal doit examiner tout effet du fusionnement sur la concurrence hors prix ou par les prix, notamment la qualité, le choix ou la vie privée des consommateurs.
  • Coordination entre concurrents : Le Tribunal doit examiner la possibilité que le fusionnement puisse entraîner une coordination expresse ou tacite entre les concurrents.
  • Variation de la part du marché ou de la concentration : Le Tribunal doit tenir compte de tout effet résultant de la variation de la concentration ou des parts de marché entraînée ou vraisemblablement entraînée par le fusionnement. Cet ajout harmonise les facteurs figurant à l’article 93 avec les nouvelles présomptions réfutables de préjudice discutées ci-dessus.

Enfin, il convient de noter que l’on a modifié l’article 92 lui-même afin que le personnel soit considéré comme un « marché » à l’égard duquel le Tribunal peut conclure qu’un fusionnement aura vraisemblablement un effet EDSC. Les marchés du travail font l’objet d’une attention accrue de la part des organismes chargés de l’application du droit de la concurrence, en particulier aux États-Unis, notamment dans le cadre de l’examen des fusionnements. Les Lignes directrices sur les fusionnements de 2023 des États-Unis, récemment modifiées, stipulent que, lors de l’évaluation d’un fusionnement, les organismes chargés de l’application de la loi examineront si les travailleurs [traduction libre] « courent le risque que le fusionnement diminue sensiblement la concurrence pour leur travail » et si [traduction libre] « lorsqu’un fusionnement entre employeurs risque de diminuer sensiblement la concurrence pour les travailleurs, cette diminution de la concurrence sur le marché du travail peut réduire les salaires ou ralentir leur croissance, détériorer les avantages sociaux ou les conditions de travail, ou entraîner d’autres dégradations de la qualité du lieu de travail ».[6]

Nous prévoyons que, dans les lignes directrices qu’il devrait fournir prochainement, le Bureau aborde les facteurs relatifs aux marchés du travail, en s’inspirant éventuellement des questions traitées dans les lignes directrices sur les fusionnements des États-Unis.

Plus de fusionnements devront faire l’objet d’un avis avant leur clôture

En règle générale, le Bureau doit être avisé des transactions proposées dans le cas desquelles les seuils relatifs à la taille de la transaction et à la taille des parties sont atteints. Deux changements importants ont été apportés au calcul du seuil relatif à la taille de la transaction prévu à la partie IX de la Loi. Par suite de ces changements, de façon générale, l’approche du Canada cadre avec celle d’autres territoires où le chiffre d’affaires national est au centre des préoccupations, et l’on peut s’attendre à ce que plus de transactions soient visées par les dispositions relatives aux préavis de fusionnement.

Bien que le Bureau puisse, à sa discrétion, contester tout « fusionnement » en vertu de l’article 92 de la Loi, seuls certains types de transactions prévus par règlement qui dépassent les seuils financiers prescrits sont soumis aux dispositions relatives aux préavis de fusionnement. En outre, pour devoir faire l’objet d’un avis, la transaction qui correspond au type de transaction prévu par règlement doit dépasser à la fois le seuil relatif à la taille des parties et le seuil relatif à la taille de la transaction. Le seuil relatif à la taille des parties est atteint lorsque les parties à la transaction, ainsi que leurs affiliés, ont au total soit des actifs au Canada, soit des revenus au Canada, en direction du Canada ou en provenance du Canada, supérieurs à 400 millions de dollars. Auparavant, le seuil relatif à la taille de la transaction était atteint lorsque la cible de la transaction avait soit des actifs au Canada, soit des revenus au Canada ou en provenance du Canada réalisés à partir de ces actifs, dépassant 93 millions de dollars (sous réserve d’ajustement annuel). Pour calculer le seuil relatif à la taille de la transaction, les parties n’étaient pas tenues auparavant d’inclure les ventes de la cible en direction du Canada (c’est-à-dire les importations), mais maintenant elles le sont. Il convient de noter que le critère relatif au « type de transaction » exige toujours (entre autres) qu’il y ait une entreprise en exploitation, qui s’entend d’une « entreprise au Canada à laquelle des employés affectés à son exploitation se rendent ordinairement pour les fins de leur travail ». En conséquence, bien que les ventes canadiennes réalisées à l’étranger soient désormais clairement prises en compte dans le calcul des seuils, il n’en reste pas moins que les transactions visant des cibles qui ne réalisent que des ventes en direction du Canada et qui n’ont aucune présence au Canada continueront de ne pas être soumises aux dispositions de la Loi relatives aux préavis de fusionnement.

Auparavant, les dispositions relatives aux préavis de fusionnement ne traitaient pas une transaction mise en œuvre par le biais d’une acquisition d’actions et d’une acquisition d’actifs comme une seule et même transaction devant faire l’objet d’un avis. En conséquence, le seuil relatif à la taille de la transaction était calculé séparément pour l’acquisition d’actions et l’acquisition d’actifs, bien qu’elles fassent partie d’une seule et même transaction. Si le seuil relatif à la taille de la transaction n’était pas dépassé pour l’acquisition d’actions ou pour l’acquisition d’actifs, la transaction n’était pas soumise aux dispositions relatives aux préavis de fusionnement, car il n’était pas nécessaire de regrouper les actifs ou les revenus. Désormais, lorsqu’une transaction est mise en œuvre par le biais d’une acquisition d’actions et d’une acquisition d’actifs, la valeur des actifs acquis doit être agrégée — et la valeur des revenus au Canada, en direction du Canada ou en provenance du Canada doit être agrégée — aux fins de l’évaluation du seuil relatif à la taille de la transaction.

Enfin, il convient de noter qu’en juin 2022, une disposition anti-évitement a été introduite dans les dispositions de la Loi relatives aux préavis de fusionnement afin d’empêcher les parties à un fusionnement de structurer délibérément les transactions de manière à éviter l’avis. En vertu de l’article 113.1, lorsqu’une transaction est expressément conçue dans le but d’éviter l’application des dispositions de la Loi relatives aux transactions devant faire l’objet d’un avis, les dispositions en question s’appliqueront néanmoins à l’objet de la transaction. Cet ajout a provoqué une certaine surprise, étant donné que le commissaire a le pouvoir d’examiner tous les « fusionnements », y compris ceux qui ne sont pas soumis aux dispositions relatives aux préavis de fusionnement. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition il y a deux ans, nous n’avons pas connaissance d’une transaction relativement à laquelle le Bureau a affirmé que l’article 113.1 s’appliquait.

Capacité accrue à obtenir des ordonnances provisoires

Pour rappel, le régime d’examen des fusionnements prévoit qu’une fois que les délais prévus par la Loi et applicable à l’examen ont expiré, les parties sont légalement en mesure de réaliser leur fusionnement, à moins que le commissaire n’ait demandé et obtenu du Tribunal une ordonnance empêchant ou retardant la réalisation du fusionnement. Plus précisément :

  • En vertu de l’article 100 de la Loi, le commissaire peut faire une demande d’ordonnance provisoire en vue de retarder la clôture d’un fusionnement lorsqu’il a besoin d’un délai supplémentaire pour achever son examen.
  • En vertu de l’article 104 de la Loi, le commissaire peut faire une demande d’ordonnance provisoire en vue d’empêcher ou de retarder la clôture d’un fusionnement lorsqu’une personne a présenté auprès du Tribunal une demande contestant le fusionnement proposé.

Par le passé, il y a eu très peu d’actions en contestation d’un fusionnement au Canada, en particulier avant sa clôture. En outre, il n’y a eu que deux procédures pleinement contestées concernant un fusionnement en vertu de l’article 104.[7] En 2021, le commissaire a conclu avec Secure et Tervita un accord qui prévoyait qu’après l’expiration du délai prévu par la loi, les parties devaient lui remettre un préavis de 72 heures de leur intention de conclure le fusionnement. Conformément à cette disposition, les parties au fusionnement ont remis leur avis à 23 h 15 le 28 juin 2021 et étaient donc libres de conclure leur transaction après 23 h 15 le 1er juillet 2021, en l’absence d’une ordonnance du Tribunal. Le 29 juin, le commissaire a présenté une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 104 et une demande en contestation du fusionnement en vertu de l’article 92. Le commissaire a ensuite demandé une conférence d’instance d’urgence dans le but d’obtenir une ordonnance « provisoire provisoire » empêchant la réalisation du fusionnement avant l’audition de la demande en vertu de l’article 104. La demande d’ordonnance « provisoire provisoire » du commissaire a été rejetée par le Tribunal le 30 juin et par la Cour d’appel fédérale le 1er juillet, et la transaction a été conclue peu après, soit le 2 juillet. Il convient de noter que le commissaire a contesté avec succès la transaction après la clôture, le Tribunal ayant ordonné de multiples dessaisissements.

Par suite des modifications apportées à la Loi, le « manque de temps » pour entendre une demande d’ordonnance ne constituera plus un facteur déterminatif de la capacité du commissaire à obtenir une ordonnance. Désormais, dès que le commissaire demandera, que ce soit en vertu de l’article 100 ou de l’article 104 de la Loi, une ordonnance provisoire empêchant ou retardant la clôture d’un fusionnement, il sera automatiquement interdit aux parties au fusionnement de le conclure jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur la demande du commissaire. Par conséquent, le commissaire dispose désormais d’une plus grande marge de manœuvre pour empêcher la clôture d’un fusionnement — ne serait-ce que temporairement —, pendant que le Bureau achève son examen ou se prépare à un litige. Bien qu’il s’agisse d’un changement notable, il reste à voir comment le pouvoir du commissaire d’empêcher la clôture d’un fusionnement par la simple présentation d’une demande d’ordonnance provisoire se répercutera dans la pratique sur la dynamique du régime d’examen des fusionnements, compte tenu du fait que, dans la vaste majorité des cas, les fusionnements sont menés à bien sans litige.

Trois ans pour revoir les transactions n’ayant pas fait l’objet d’un avis

Auparavant, en ce qui concerne un fusionnement, sauf s’il avait préalablement délivré un certificat de décision préalable (CDP) à son égard, le commissaire disposait d’un an après sa clôture pour le contester devant le Tribunal. Désormais, il pourra contester, pendant les trois années suivant leur clôture, les fusionnements qui n’ont pas fait l’objet d’un avis ou pour lesquels les parties au fusionnement n’ont pas présenté une demande de CDP. En ce qui concerne les fusionnements qui ont fait l’objet d’un avis ou pour lesquels les parties au fusionnement ont présenté une demande de CDP, le commissaire continuera de disposer d’un an après la clôture du fusionnement pour le contester (à moins qu’il n’ait délivré un CDP à son égard). Par suite d’un tel changement, pour la première fois, les parties à un fusionnement qui n’est pas soumis aux dispositions relatives aux préavis de fusionnement seront incitées à présenter une demande de CDP avant la clôture de leur fusionnement. La direction du renseignement économique du Bureau continue de surveiller activement le marché, à l’affût des fusionnements qui n’atteignent pas les seuils déclenchant les dispositions relatives aux préavis de fusionnement.


[1] Si, en vertu de l’article 92(5), le Cabinet fédéral peut, par règlement, établir des valeurs différentes de celles énoncées à l’article 92(3), cela exige néanmoins la rédaction d’un règlement, ce qui est moins souple que l’approche des lignes directrices adoptée aux États-Unis.

[2] Illumina, Inc. v. Federal Trade Commission, 23-60167 1, au par. 9 (5th Cir, 15 décembre 2023).

[3] [1997] 1 RCS 748, par. 85, 144 DLR (4th) 1 (CSC).

[4] Canada (Commissaire de la concurrence) c. Secure Energy Services Inc., 2023 Comp Trib 2, conf. par 2023 CAF 172.

[5] Sénat du Canada, Comité permanent des finances nationales, Témoignages, 44-1, n° 88 (13 décembre 2023) à la page 34 (Matthew Boswell), en ligne : <sencanada.ca/content/sen/committee/441/nffn/88fv-56553.pdf>.

[6] Département de la justice et Federal Trade Commission des États-Unis, « 2023 Merger Guidelines » [PDF; en anglais seulement] (28 décembre 2023).

[7] Les deux procédures contestées en vertu de l’article 104 sont Le commissaire de la concurrence c. Parkland Industries Ltd, 2015 Comp Trib 4, et Canada (Commissaire de la concurrence) c. Secure Energy Services Inc., 2021 Comp Trib 7. Dans le cadre d’un autre fusionnement contesté récemment, soit celui de Rogers et de Shaw, le commissaire a présenté une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 104, à la suite de laquelle Rogers et Shaw ont fait enregistrer auprès du Tribunal un consentement en vertu duquel elles ont accepté de ne pas conclure leur transaction jusqu’à ce que celui-ci statue à l’égard de la demande présentée en vertu de l’article 92. Voir Le commissaire de la concurrence c. Rogers Communications Inc. et Shaw Communications Inc., 2022 Comp Trib 2.


Auteurs(trice)Shuli RodalMichelle LallyKaeleigh Kuzma, Christopher NaudieAdam HirshAlysha PannuDanielle ChuChelsea RubinReba NauthZach RudgeGraeme Rotrand

La nouvelle Loi sur la concurrence du Canada : ce que les entreprises doivent savoir

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