Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Associé, Litiges, Calgary
Sociétaire, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Le 8 juillet 2024, les Premières Nations de la rivière Blueberry (Blueberry River First Nations [BRFN]) ont déposé un avis de poursuite civile[1] (la poursuite) contre la province de la Colombie-Britannique relativement au plan Gundy, premier plan de mise en œuvre adopté dans le cadre de l’Accord de mise en œuvre des Premières Nations de la rivière Blueberry (l’Accord) qui crée un précédent.
La poursuite allègue que le plan Gundy contrevient aux ententes, engagements et obligations des parties aux termes de l’Accord et que le chef des BRFN a accepté le plan Gundy au cours de réunions privées avec la Colombie-Britannique sans que le conseil élu des BRFN ou leur conseiller juridique puisse y participer ou en ait connaissance. Par conséquent, les BRFN demandent des injonctions et des mesures de redressement déclaratoire contre la Colombie-Britannique afin d’empêcher la mise en œuvre du plan Gundy, faisant valoir que la province n’a pas respecté ses obligations fiduciaires envers elles ni ses obligations contractuelles en vertu de l’Accord[2].
La poursuite soulève d’importantes questions sur la gouvernance des BRFN et les défis de mise en œuvre inhérents à l’Accord, qui continuent à faire planer l’incertitude sur l’exploitation des ressources dans le nord-est de la Colombie-Britannique.
Contexte
L’Accord est le fruit des intenses négociations entre les BRFN et la Colombie-Britannique menées après la décision phare rendue par la Cour suprême de la province dans l’affaire Yahey v British Columbia. Osler a déjà analysé la décision dans l’affaire Yahey.
En résumé, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que les effets cumulatifs du développement industriel ayant eu lieu sur le territoire traditionnel des BRFN avaient des répercussions importantes sur les terres, l’eau, les poissons et la faune ainsi que sur l’exercice des droits des BRFN aux termes du traité no 8. La juge Burke a notamment indiqué que les droits issus de traités des BRFN de pratiquer la chasse, la pêche et le piégeage de manière significative sur le territoire traditionnel des BRFN ont été considérablement et significativement diminués, de sorte que les droits des BRFN aux termes du traité no 8 ont été enfreints[3].
La Colombie-Britannique n’a pas interjeté appel de la décision rendue dans l’affaire Yahey. Elle a plutôt choisi de négocier avec les BRFN dans le but d’atténuer les effets cumulatifs du développement industriel. À l’issue de ces négociations, la province et les BRFN ont signé l’Accord le 18 janvier 2023. L’Accord vise à gérer les effets cumulatifs du développement industriel ayant eu lieu sur le territoire des BRFN et à protéger les droits issus de traités et le mode de vie des BRFN. En particulier, la province et les BRFN se sont entendus pour collaborer à l’aménagement du territoire afin de déterminer où et comment le développement devrait se faire.
L’Accord crée des zones en fonction de leur degré d’importance pour les BRFN. Les zones considérées de « grande valeur 1 » ou « HV1 » revêtent une importance particulière pour les BRFN puisqu’elles représentent des endroits essentiels pour l’exercice de leurs droits issus de traités[4]. Les nouvelles perturbations dans les zones HV1 sont limitées. Aucune nouvelle perturbation n’est permise dans les zones HV1A, à moins que les BRFN en conviennent autrement. Toutefois, dans les zones HV1B et HV1C, les exigences sont moins restrictives. Ainsi, 80 % des zones HV1B et 60 % des zones HV1C font l’objet de restrictions[5].
De plus, le territoire des BRFN sera divisé en zones où les nouvelles perturbations seront plafonnées. Par exemple, les nouvelles perturbations dans la zone 1 seront limitées à 200 hectares par année, tandis que celles dans la zone A seront limitées à 240 hectares par année la première année civile et à 200 hectares par année par la suite (les plafonds des nouvelles perturbations)[6].
Selon la poursuite, le conseil élu des BRFN a adopté le 9 juin 2023 une politique d’évaluation des exemptions et des modifications demandées aux termes de l’Accord, notamment en ce qui concerne les plafonds des nouvelles perturbations dans les zones HV1. La Colombie-Britannique a amorcé des discussions avec certains membres du conseil qui ont été désignés comme porte-parole des BRFN par le conseil au sujet des questions relatives à l’Accord[7].
Le 1er septembre 2023, la Colombie-Britannique a informé le conseil des BRFN qu’elle entendait poursuivre les discussions au sein d’un comité de hauts responsables, qui serait constitué de membres du conseil, de représentants clés de la province ainsi que de conseillers et d’employés, selon les besoins[8]. Cependant, à cette époque, des dissensions sont apparues entre certains conseillers des BRFN et le chef élu. Au cours de la réunion du comité tenue le 29 septembre 2023, les représentants désignés du conseil ont informé la Colombie-Britannique que le chef des BRFN n’était pas le représentant légitime des BRFN ou du conseil pour ce qui concerne l’Accord. Dans une lettre adressée à la Colombie-Britannique le 3 octobre 2023, les conseillers des BRFN ont réitéré cette position et demandé à la province de se réunir uniquement avec les représentants désignés du conseil pour ce qui concerne l’Accord[9].
Le plan Gundy
Le plan Gundy n’avait pas encore été rendu public au moment de la rédaction du présent bulletin. Cependant, selon la poursuite, le plan Gundy, qui couvre quelque 53 000 hectares du territoire traditionnel des BRFN, viserait à faciliter de nouvelles activités d’exploitation pétrolière et gazière à certains endroits de ce territoire. Ces endroits comprendraient les zones HV1C ainsi que des parties de la zone 1 et de la zone A[10].
Le principal point en litige concerne les plafonds des nouvelles perturbations dans la zone 1 et la zone A définies dans le plan Gundy. La Colombie-Britannique souhaitait porter les plafonds dans ces zones à 680 hectares sur une période de cinq ans afin de faciliter les nouvelles activités de développement. Ce chiffre est nettement plus élevé que les plafonds des nouvelles perturbations convenus à l’origine dans l’accord de mise en œuvre. La poursuite allègue qu’une telle augmentation nécessiterait une modification de l’Accord, ce qui n’a pas été fait[11].
Le 22 mai 2024, la Colombie-Britannique a informé le conseil des BRFN que son chef et la ministre de l’Énergie, des Mines et de l’Innovation sobre en carbone s’étaient réunis le 15 mai 2024 et ont approuvé le plan Gundy, qui prévoit l’élimination des plafonds des nouvelles perturbations dans la zone 1 et la zone A[12].
Le 30 mai suivant, la Colombie-Britannique a annoncé par voie de communiqué qu’elle et les BRFN iraient de l’avant avec la mise en œuvre du plan Gundy conformément à l’Accord.
Réparation demandée par les BRFN
Les BRFN demandent :
- des déclarations selon lesquelles, en approuvant le plan Gundy, la Colombie-Britannique a i) manqué à ses obligations fiduciaires et constitutionnelles envers les BRFN, ii) entaché l’honneur de la Couronne et iii) enfreint les droits procéduraux et les dispositions de fond de l’Accord[13];
- une déclaration selon laquelle les plafonds des nouvelles perturbations ne peuvent être éliminés avant l’approbation du premier plan HV1C, et comme condition de cette approbation, sans modification de l’Accord[14];
- des injonctions provisoires ou permanentes afin d’empêcher la Colombie-Britannique et tout organisme gouvernemental, y compris la régie de l’énergie de la Colombie-Britannique, i) de prendre des mesures visant à donner un caractère obligatoire ou un appui au plan Gundy et ii) d’adopter un règlement, prendre un décret ou délivrer un permis, une approbation ou autre autorisation relativement à la zone en cause dans le plan Gundy, en s’appuyant sur le plan Gundy[15];
- une ordonnance d’exécution intégrale exigeant que la Colombie-Britannique s’acquitte de ses obligations aux termes de l’Accord en approuvant un plan HV1C dans la zone du plan Gundy[16].
Conséquences de la poursuite des BRFN
Contrairement à d’autres régimes de cogestion établis précédemment entre les gouvernements et les Premières Nations signataires d’un traité, l’Accord confère aux BRFN d’importants pouvoirs décisionnels qui, de fait, leur donnent un contrôle considérable sur l’exploitation des ressources naturelles dans le nord-est de la Colombie-Britannique. À première vue, les pouvoirs accordés aux BRFN dans l’Accord et les restrictions associées à l’exploitation des ressources sur le territoire traditionnel des BRFN (qui comprend d’importantes zones riches en ressources, notamment le gisement de gaz naturel de Montney) ont entraîné une incertitude réglementaire pour les exploitants de ressources dans cette zone. Au cours des derniers mois, cette incertitude s’est amplifiée.
Les pouvoirs décisionnels inégaux que les BRFN détiennent dans le cadre de l’Accord par rapport à d’autres Premières Nations signataires du traité no 8 (dont plusieurs ont des territoires traditionnels qui chevauchent celui des BRFN) ont donné lieu à des litiges entre la Colombie-Britannique et d’autres Premières Nations signataires du traité no 8 dans le nord-est de la province[17]. Ce litige risque de remettre en cause l’Accord ou d’entraîner la ratification d’accords complémentaires similaires avec d’autres Premières Nations signataires du traité no 8, ce qui pourrait créer une mosaïque de règles et de restrictions qui se chevauchent. Par ailleurs, la mise en œuvre de l’Accord prévoit que la Colombie-Britannique et les BRFN élaborent ensemble divers plans d’aménagement du territoire et de gestion de bassins hydrographiques. Pour une communauté de quelque 550 personnes (en date de juin 2024[18]), les attentes envers les BRFN aux termes de l’Accord risquent sérieusement de dépasser les ressources et la capacité de la communauté. Toutefois, la poursuite met également en évidence la complexité de la communauté des BRFN et les divisions au sein de celle-ci. En l’absence d’une entente entre le chef et le conseil des BRFN, il est peu probable que les BRFN et la Colombie-Britannique puissent réaliser les travaux de mise en œuvre prévus dans l’Accord. À notre avis, une telle issue exacerberait l’incertitude réglementaire créée par l’existence de l’Accord et ferait probablement augmenter le nombre de litiges devant les tribunaux.
[1] Blueberry River First Nations v. His Majesty the King in Right of the Province of British Columbia (9 juillet 2024), Vancouver 244500 (BCSC) [la poursuite des BRFN].
[2] Poursuite des BRFN, par. 7 et 9.
[3] Yahey v. British Columbia, 2021 BCSC 1287, par. 1116 et 1132.
[4] Blueberry River First Nations Implementation Agreement, clauses 5.2, 7.2-7.5 [l’Accord].
[6] Accord, clause 14.1.
[7] Poursuite des BRFN, par. 42.
[8] Poursuite des BRFN, par. 48.
[9] Poursuite des BRFN, par. 54 et 55.
[10] Poursuite des BRFN, par. 6, 37 et 38.
[11] Poursuite des BRFN, par. 62 à 64.
[12] Poursuite des BRFN, par. 72 à 78.
[13] Poursuite des BRFN, partie 2, réparations demandées, par. 1 à 3. Les BRFN affirment que la Colombie-Britannique a contrevenu aux articles 7.11, 7.1, 14.1, 7.16, 7.6, 3.1, 23.8 et 23.11 de l’accord de mise en œuvre.
[14] Poursuite des BRFN, partie 2 : réparations demandées, par. 4.
[15] Poursuite des BRFN, partie 2 : réparations demandées, par. 5 et 6.
[16] Poursuite des BRFN, partie 2 : réparations demandées, par. 7.
[17] Halfway River First Nation v Attorney General of British Columbia (22 septembre 2023), Victoria 233163(BCSC) [la « poursuite de la HRFN »]. Doig River First Nation v Attorney General of British Columbia (5 octobre 2023), Vancouver 236814 (BCSC) [la « poursuite de la DRFN »].