Tirer parti de l’IA dans le franchisage : possibilités et considérations juridiques

5 Juil 2024 14 MIN DE LECTURE

L’intelligence artificielle (IA) joue un rôle moteur dans la refonte et la transformation des opérations commerciales dans divers secteurs. Dans le contexte du franchisage, les technologies d’IA peuvent être mises à profit pour simplifier les opérations commerciales, améliorer les processus décisionnels et améliorer l’expérience des consommateurs dans un marché concurrentiel. Bien que l’IA offre aux franchiseurs des possibilités inédites, l’intégration de l’IA présente plusieurs risques d’ordre juridique et éthique que les franchiseurs doivent envisager et atténuer de façon proactive. Ce bulletin d’actualités aborde les possibilités, les défis et les considérations juridiques des franchiseurs lorsqu’ils adoptent et intègrent l’IA dans un système de franchise.

Qu’est-ce que l’IA?

L’IA désigne les systèmes informatiques capables d’exécuter des fonctions cognitives associées au comportement humain, telles que l’apprentissage, le raisonnement, la reconnaissance de modèles, la prise de décisions et la résolution de problèmes. Il s’agit d’un terme générique qui englobe différentes technologies, notamment l’apprentissage machine et l’apprentissage profond. Au cours des dernières années, l’IA générative occupe le devant de la scène. L’IA générative s’appuie sur une technologie d’IA qui apprend des modèles à partir des données existantes et utilise ces connaissances pour créer du contenu nouveau et complexe. Ce contenu reproduit la créativité humaine et peut comprendre des images, des vidéos, du son, du texte et des modèles 3D. Parmi les exemples bien connus de la technologie d’IA générative, citons ChatGPT d’OpenAI, Command R de Cohere et Bard ou Stable Diffusion de Google.

Contexte réglementaire actuel

En juin 2022, le gouvernement fédéral du Canada a déposé le projet de loi C-27, qui introduisait des mises à jour du régime fédéral relatif au respect de la vie privée applicable au secteur privé et la nouvelle Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD). La LIAD a passé l’étape de la deuxième lecture le 24 avril 2023 et est actuellement à l’étude par le Comité permanent de l’industrie et de la technologie. La LIAD s’applique aux personnes qui conçoivent, développent ou mettent à disposition des systèmes d’IA dans le cadre du commerce international ou interprovincial, un domaine de réglementation qui relève de la compétence législative du gouvernement fédéral.

Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) a annoncé le Code de conduite volontaire sur l’IA (ci-après dénommé « le Code ») en septembre 2023, que le gouvernement fédéral entend utiliser comme « encadrement » jusqu’à l’entrée en vigueur de la LIAD. Le Code s’applique aux systèmes d’IA générative avancés et prévoit des mesures qui s’inscrivent dans les six domaines clés suivants : la responsabilisation, la sécurité, la justice et l’équité, la transparence, la surveillance humaine, ainsi que la validité et la fiabilité.

En novembre 2023, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a proposé au Comité permanent de l’industrie et de la technologie d’importantes modifications, qui représentaient une refonte en profondeur du cadre législatif initial et répondaient à certaines préoccupations soulevées par la première version de la LIAD.

Comme la LIAD fait actuellement l’objet d’un examen parlementaire et qu’elle n’a pas encore été adoptée officiellement, son avenir est incertain. À l’heure actuelle, la date d’adoption de la LIAD n’est pas encore fixée, bien qu’il ne soit pas prévu qu’elle entre en vigueur avant 2025 au plus tôt. En outre, diverses provinces travaillent également à l’élaboration de lois liées à l’IA pour compléter la LIAD, ce qui ajoute à la complexité du contexte réglementaire.

Utilisation actuelle et prévue de l’IA dans le franchisage

Dans le contexte du franchisage, l’IA offre des possibilités de simplifier les opérations, d’automatiser les tâches et de promouvoir la prise de décisions axées sur les données. Voici quelques exemples d’utilisation actuelle et potentielle de l’IA dans le franchisage :

  • Automatisation – Les systèmes de franchise peuvent intégrer l’IA pour automatiser les tâches répétitives comme la gestion des stocks, la planification et la production de rapports financiers afin d’atténuer le risque d’erreur humaine et de réduire les tâches chronophages. L’IA est également l’occasion pour les systèmes de franchise d’automatiser leur base de connaissances des utilisateurs et leur processus de soutien aux clients en tirant parti des données issues des commentaires et des comportements des clients pour fournir des réponses personnalisées aux commentaires et aux demandes de renseignements.
  • Chaîne d’approvisionnement – Grâce aux capacités avancées d’analyse de données et de modélisation prédictive de l’IA, les franchiseurs peuvent identifier les modèles, prévoir les tendances et obtenir des renseignements précieux susceptibles d’influencer les décisions des systèmes de franchise en matière de commande, de prix, de marketing et de gestion des stocks. Les solutions de maintenance prédictive alimentées par l’IA offrent aux systèmes de franchise la possibilité de surveiller le rendement de l’équipement afin de prévoir et de prévenir les défaillances potentielles, ce qui permet d’éviter les coûts d’immobilisation et de garantir l’exploitation continue des systèmes.
  • Soutien aux clients – L’utilisation de robots conversationnels et d’assistants virtuels alimentés par l’IA et dotés de capacités de traitement du langage naturel permet d’offrir un service aux clients instantané, uniforme et personnalisé dans le franchisage. Parmi les cas d’utilisation courants de robots conversationnels et d’assistants virtuels alimentés par l’IA, citons l’aide à la réservation de salles et la production de recommandations personnalisées, comme des recommandations dans l’application.
  • Marketing personnalisé – Les franchisés tirent de plus en plus parti de l’IA pour adapter leurs stratégies de marketing, optimiser l’assortiment de produits et créer des promotions ciblées qui amélioreraient les taux de conversion des consommateurs et renforceraient la rentabilité du système de franchise. La mise à profit de l’IA génératrice dans le franchisage permet aux systèmes de franchise de fournir des recommandations personnalisées en fonction des tendances identifiées dans les préférences, les habitudes d’achat et les habitudes de navigation des consommateurs. L’IA est également mise à profit pour automatiser le processus d’élaboration de campagnes de courriel personnalisées adaptées aux préférences et aux comportements individuels des clients afin d’améliorer l’engagement des clients et leur fidélité envers la marque.

Considérations juridiques pour les systèmes de franchise

Les franchiseurs doivent examiner les contrats de franchise existants et les lois applicables pour s’assurer qu’ils ont le droit, au niveau contractuel et légal, d’intégrer l’IA dans leurs systèmes de franchise. Le droit d’introduire de nouvelles technologies dans un système de franchise est souvent énoncé dans la disposition « modification des systèmes » ou « changement de système » contenue dans le contrat de franchise.

En plus de déterminer s’il a le droit contractuel d’introduire une nouvelle technologie dans le système de franchise, le franchiseur devra s’assurer qu’il respecte le devoir d’agir de bonne foi et équitablement. Au Canada, conformément aux lois provinciales sur les franchises, le franchiseur et le franchisé sont tous deux tenus de respecter le devoir d’agir de bonne foi et équitablement dans le cadre de l’exécution du contrat de franchise. Les tribunaux canadiens ont confirmé que le devoir d’agir de bonne foi et équitablement est une codification du devoir de bonne foi reconnu en common law. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire du franchiseur d’intégrer l’IA dans le système de franchise doit être exercé conformément à ce devoir. Les tribunaux canadiens ont précisé que le devoir d’agir de bonne foi et équitablement ne s’apparente pas à une obligation fiduciaire ou distincte qui modifie les clauses expresses du contrat entre les parties, et qu’il n’empêche pas une partie d’agir dans son propre intérêt, dans la mesure où les parties traitent de façon honnête, raisonnable et équitable les unes avec les autres. Au moment d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire du franchiseur dans l’exécution du contrat de franchise, les tribunaux canadiens feront preuve de déférence lorsque ce pouvoir discrétionnaire est fondé sur un exercice rationnel du jugement commercial par le franchiseur.

Autres considérations juridiques et éthiques

De manière générale, les franchiseurs doivent tenir compte des risques juridiques et des incidences éthiques que peuvent avoir l’adoption et l’intégration de l’IA dans leur système de franchise :

  • Sécurité des données et respect de la vie privée – Les systèmes d’IA sont formés sur de grands volumes de données afin d’améliorer l’exactitude et la capacité à prendre des décisions éclairées. Certaines de ces données peuvent comprendre des renseignements exclusifs, des secrets commerciaux et des renseignements sensibles du point de vue de la concurrence, ainsi que des renseignements personnels sur les clients, les employés et les franchisés. Par conséquent, la nature des données utilisées pour former un système d’IA peut soulever des préoccupations au sujet des atteintes à la sécurité des données et de l’accès non autorisé à des renseignements sensibles. Les franchiseurs doivent déterminer s’ils sont légalement autorisés à saisir des renseignements personnels dans les systèmes d’IA, ce qui peut impliquer l’examen des accords existants conclus avec des tiers et des avis de confidentialité, et l’obtention et la gestion des consentements individuels.
  • Propriété intellectuelle– Les franchiseurs doivent examiner attentivement les risques encourus sur le plan de la propriété intellectuelle découlant de l’utilisation de l’IA, notamment le risque de faire appel à leur propre propriété intellectuelle pour former des modèles tiers et d’utiliser les résultats générés par l’IA qui peuvent enfreindre les droits de propriété intellectuelle de tiers. L’IA brouille la ligne d’auteur et remet en question la notion de propriété intellectuelle en tant que création humaine. À l’heure actuelle, en vertu des lois canadiennes, l’IA ne peut pas être un auteur ou un inventeur conformément aux lois canadiennes sur le droit d’auteur ou les brevets. Les tribunaux canadiens ont affirmé qu’un auteur doit être une personne physique qui exerce « son talent et son jugement ». Pour une discussion plus approfondie sur le rôle de l’IA en tant qu’inventeur ou auteur d’œuvres protégées par le droit d’auteur, veuillez consulter cet article.
  • Préjugés et discrimination– Les franchiseurs doivent tenir compte des répercussions éthiques que peut avoir l’utilisation de l’IA, comme les préjugés et la discrimination potentiels dans les processus décisionnels axés sur l’IA. Les préjugés dans l’IA font référence à l’erreur systématique introduite dans les modèles d’apprentissage automatique, qui se produit lorsque les données de formation utilisées pour former le système d’IA reflètent des préjugés sociaux discriminatoires ou injustes, mais aussi lorsque l’algorithme d’IA lui-même est biaisé. Les systèmes d’IA formés sur un ensemble de données contenant des préjugés raciaux, de genre ou socioéconomiques peuvent apprendre et perpétuer par inadvertance ces préjugés, ce qui aboutit à des résultats injustes et discriminatoires. Les franchiseurs doivent examiner et mettre à jour régulièrement les algorithmes, diversifier les données de formation pour réduire les préjugés et mettre en œuvre des mesures pour assurer la transparence et la responsabilisation.

Considérations relatives au contrat de fourniture de l’IA

Compte tenu de la nature de l’IA axée sur les données, les franchiseurs doivent être conscients des risques en aval de l’intégration de l’IA dans leur système de franchise lorsqu’ils concluent un contrat avec un fournisseur d’IA.

Les franchiseurs doivent notamment s’assurer que les dispositions relatives à la propriété et à l’utilisation des données reflètent fidèlement leur compréhension de la transaction commerciale. De plus, les franchiseurs doivent déterminer s’ils ont le droit de divulguer les intrants au fournisseur d’IA. Diverses lois ou contrats conclus avec des tiers peuvent interdire expressément la divulgation de données aux fins de la formation de modèles d’IA ou de l’utilisation de l’IA en général.

Les franchiseurs voudront probablement conserver la propriété de leurs intrants du système d’IA ou, à tout le moins, indiquer clairement que le fournisseur d’IA n’obtient pas la propriété des intrants du franchiseur dans le système d’IA. Les franchiseurs doivent également se demander s’ils veulent expressément restreindre l’utilisation des intrants par le fournisseur à toute autre fin que de fournir le système d’IA à la franchise, de sorte que ces intrants ne soient pas divulgués à des tiers ou utilisés pour former le système d’IA. Le franchiseur doit évaluer si la propriété des résultats ou une licence générale et perpétuelle pour l’utilisation des résultats correspond le mieux à ses besoins opérationnels. Dans ce cas, le franchiseur aurait effectivement le droit de contrôler la reproduction, la distribution, l’affichage et la modification des résultats.

Les modalités standard des fournisseurs d’IA contiennent généralement de clauses générales de non-responsabilité qui prévoient que le fournisseur ne fait aucune déclaration ou ne donne aucune garantie concernant la fourniture des données de formation, la formation du modèle ou les résultats. Ces avis de non-responsabilité portent habituellement sur l’exécution, l’exactitude, la violation et la conformité aux lois applicables. Lorsque le franchiseur accepte les modalités standard d’un fournisseur d’IA, il doit s’assurer d’obtenir les déclarations, garanties et protections nécessaires. Par exemple, il doit s’assurer que le fournisseur d’IA s’engage à respecter toutes les lois applicables, notamment les lois sur la protection des renseignements personnels. Une attention particulière doit également être portée aux dispositions relatives à la répartition des risques afin de s’assurer que les risques sont correctement répartis entre les parties.

Au fur et à mesure que l’environnement juridique et réglementaire continue son développement, les franchiseurs doivent être vigilants et conscients des risques juridiques associés, y compris ceux évoqués ci-dessus.

Politique d’utilisation de l’IA par les franchisés et les employés

L’établissement d’une politique exhaustive d’utilisation de l’IA est un moyen proactif et efficace pour les systèmes de franchise d’atténuer les risques associés à la prise de décisions biaisées. Une politique solide d’utilisation de l’IA établit un cadre de gouvernance pour l’utilisation responsable de l’IA qui tient compte des questions d’exactitude, de fiabilité, de sécurité, d’équité, de partialité et de transparence. À titre de pratique exemplaire, les franchiseurs doivent mettre en œuvre une politique solide d’utilisation de l’IA pour leurs employés et leurs franchisés qui répond le mieux à leurs besoins opérationnels et qui tient compte des aspects suivants :

  • la portée d’utilisation permise;
  • les risques et limites de la divulgation et de la création de contenus soumis à la propriété intellectuelle;
  • les risques et limites de la dépendance aux résultats et de leur utilisation;
  • les avis de non-responsabilité et la conformité requise aux lois applicables, y compris les lois sur l’IA et la protection des renseignements personnels.

La mise en œuvre de directives fondées sur les risques qui mettent en évidence les cas d’utilisation applicables peut permettre aux franchisés et aux employés de mieux comprendre les risques et les paramètres d’utilisation lorsqu’ils utilisent l’IA dans le système de franchise. Une politique d’utilisation de l’IA peut également renforcer efficacement les partenariats avec des fournisseurs tiers en fournissant des lignes directrices et des attentes établies.

Conclusion

À mesure que le paysage réglementaire de l’IA continue d’évoluer rapidement, les franchiseurs doivent s’assurer qu’ils tirent parti des avantages des technologies d’IA tout en relevant de façon proactive et responsable les défis juridiques et éthiques liés à son intégration.