La Cour supérieure du Québec précise les obligations de l’AMP en matière d’examen d’intégrité selon la Loi sur les contrats des organismes publics

11 Juil 2024 6 MIN DE LECTURE

En rejetant une demande en contrôle judiciaire de Neptune Security Services inc. (Neptune ), la Cour supérieure du Québec a précisé et confirmé certaines obligations et pouvoirs de l’Autorité des marchés publics (AMP) dans le cadre de l’examen d’intégrité d’une entreprise sous la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP )[1]. La Cour a statué que l’AMP n’a aucune obligation de prescrire des mesures correctives avant de révoquer une autorisation. Cependant, l’AMP a l’obligation de transmettre toute information en sa possession susceptible de démontrer que l’entreprise ne satisfait pas aux exigences d’intégrité au stade de l’avis d’examen.  

Contexte factuel et procédural

En septembre 2022, l’AMP a transmis un avis d’examen à Neptune, indiquant qu’elle détenait des informations susceptibles de démontrer que Neptune ne satisfaisait pas aux exigences d’intégrité. Le 28 février 2023, Neptune a reçu un préavis de révocation de son autorisation de contracter avec des organismes publics de la part de l’AMP, exposant les motifs de cette décision et invitant Neptune à présenter ses observations conformément à la LCOP.

Le 20 mars 2023, Neptune a répondu à cet avis en se déclarant ouverte à des mesures correctives. Toutefois, le 27 mars 2023, l’AMP a rendu sa décision et, en vertu des articles 21.38 et 21.48.4 de la LCOP, a révoqué l’autorisation de contracter de Neptune et l’a inscrite au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (« RENA»). Dans sa demande de contrôle judiciaire, Neptune a soulevé plusieurs reproches à l’encontre de l’AMP, permettant ainsi à la Cour supérieure de préciser les exigences imposées par la LCOP.

L’AMP a l’obligation de divulguer les informations en sa possession dès la transmission de l’avis d’examen

Neptune reproche à l’AMP de ne pas avoir fourni, au stade de l’avis d’examen, les informations spécifiques sur lesquelles elle basait son enquête, ce qui l’aurait empêchée de répondre avec les explications appropriées. Cela constituerait une violation de son droit à être entendue, qui comprend le droit de présenter des observations et de connaître les faits qui lui sont reprochés. En effet, en ce qui concerne les exigences d’équité procédurale au niveau de l’avis d’examen, le libellé de l’article 21.48.2 al. 3 de la LCOP crée des attentes légitimes quant au contenu de l’avis et à la possibilité de présenter des observations au sujet des informations qu’il contient[2]. La Cour conclut que l’AMP a commis une faute en ne communiquant pas à Neptune des informations qu’elle détenait au moment de lui transmettre l’avis. La Cour souligne qu’il importe peu que l’AMP se soit basée ou non sur ces informations pour transmettre l’avis d’examen, le préavis de révocation ou sa décision ni que les informations proviennent de sources ouvertes accessibles pour l’autre partie. L’AMP doit divulguer à l’entreprise tout renseignement en sa possession susceptible de démontrer une telle transgression, et non seulement ceux qu’elle désire inclure dans l’avis d’examen. Le critère établi dans la loi est large et ne permet d’exclure que les informations qui n’ont aucune possibilité de démontrer que l’entreprise ne satisfait pas aux exigences légales[3]. Cela dit, l’obligation de l’AMP couvre les informations qu’elle possède au moment de transmettre l’avis d’examen, mais rien dans la loi ne crée une obligation d’assurer un suivi du dossier en fournissant des mises à jour[4]. Le processus d’enquête étant évolutif, il n’est d’ailleurs pas fautif de la part de l’AMP d’avoir émis le préavis de révocation sur des motifs absents de l’avis d’examen qu’elle a découvert pendant l’enquête[5].

Un délai de 20 jours pour répondre au préavis de révocation est jugé raisonnable

Neptune soulève que le délai accordé par l’AMP pour répondre au préavis était insuffisant pour lui permettre de présenter ses observations. Neptune estime que l’impact majeur de la décision sur ses activités et la complexité du dossier imposaient une obligation accrue d’équité procédurale de la part de l’AMP. La Cour a constaté que l’AMP n’avait pas commis d’erreur : le délai minimum de 10 jours prévu par l’article 21.48.3 de la LCOP et l’article 5 de la Loi sur la justice administrative a été respecté, voire prolongé, offrant à Neptune un total de 20 jours pour répondre au préavis de révocation, une période jugée raisonnable par la Cour.

L’AMP n’a pas l’obligation de prescrire des mesures correctives

Neptune reproche également à l’AMP de lui avoir retiré son autorisation sans préalablement lui proposer des mesures correctives pour remédier à ses manquements. En revanche, l’AMP soutient que des mesures correctives ne peuvent être utilisées lorsque les faits révèlent une problématique systémique au sein de l’entreprise ou lorsque l’intégrité de plusieurs de ses dirigeants, administrateurs ou actionnaires est remise en cause.

Selon le libellé de la loi, la Cour conclut que la proposition de telles mesures est une possibilité relevant de la discrétion de l’AMP et qu’il peut donc y avoir des cas où cette dernière estimera qu’aucune mesure corrective ne serait de nature à permettre à l’entreprise de se conformer aux exigences d’intégrité de la loi[6]. Ainsi, l’AMP doit considérer de telles mesures, mais n’a pas l’obligation de les prescrire dans tous les cas[7]. En tant qu’organisme spécialisé possédant une expertise en la matière, l’AMP a la charge de déterminer quelles problématiques peuvent être corrigées par des mesures correctives et les circonstances à prendre en compte lors d’une telle évaluation[8]. L’AMP peut ainsi raisonnablement interpréter la LCOP de manière à n’accorder aucune mesure corrective à une entreprise si elle considère que cela ne lui permettrait pas de satisfaire aux standards d’intégrité requis, et ce, sans avoir à permettre à l’entreprise visée de soumettre ses observations à cet égard[9].

L’inscription au Registre n’est pas limitée aux contraventions à l’annexe 1 de la LCOP

La Cour confirme que l’inscription au RENA n’est pas réservée aux cas où l’entreprise, ainsi que les individus désignés par la loi, sont reconnus coupables d’infractions énoncées à l’annexe 1. L’inadmissibilité d’une entreprise peut également découler de la présence de motifs d’exclusion automatique prévus aux articles 21.4 et 21.26 de la LCOP. Cela inclut le cas de l’entreprise qui, au terme d’un examen d’intégrité, voit son intégrité ou celle de ses dirigeants, actionnaires ou administrateurs remise en question en vertu des articles 21.27 et 21.28 de la LCOP[10].


[1] Neptune Security Services inc. c. Autorité des marchés publics, 2024 QCCS 1966.

[2] Id., par. 92.

[3] Id., par. 99.

[4] Id., par. 93.

[5] Id., par. 96.

[6] Id., par. 146.

[7] Id., par. 149.

[8] Id., par. 151.

[9] Id., par. 156.

[10] Id., par. 168.