Le Québec publie le règlement final modifiant le Règlement sur la langue du commerce et des affaires

3 Juil 2024 13 MIN DE LECTURE
Auteur
Alexandre Fallon

Associé, Litiges, Montréal

En janvier 2024, le gouvernement du Québec a présenté un important projet de règlement modifiant le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le projet de règlement). Dans un bulletin précédent, nous avons passé en revue ce projet de règlement ainsi que ses conséquences éventuelles sur les entreprises au Québec. Le 26 juin 2024, le gouvernement du Québec a publié le règlement final modifiant le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le règlement final), dans lequel de nombreuses mesures contenues dans le projet de règlement ont été retirées, clarifiées ou réduites dans leur champ d’application.

Pour plus de contexte sur l’évolution des lois québécoises sur la langue au cours des dernières années, veuillez lire notre bulletin précédent sur les modifications apportées en 2022 à la Charte de la langue française (la Charte) et notre bulletin subséquent sur le Règlement sur la langue de l’Administration.

Vue d’ensemble

Le règlement final actualise la formulation de certains articles dans un souci d’harmonisation avec la Charte. Il vise :

  • à limiter davantage les cas dans lesquels une inscription sur un produit peut être rédigée uniquement dans une autre langue que le français;
  • à clarifier l’application de la Charte aux marques de commerce de common law ou « reconnues »;
  • à fixer des règles en matière d’affichage public des marques de commerce et des noms d’entreprise;
  • à faciliter la mise en œuvre de la Charte en ce qui concerne les contrats d’adhésion (contrats non négociables);
  • à préciser davantage la portée de l’exigence relative à la « nette prédominance » du français, en exigeant que l’inscription rédigée en français ait « un impact visuel plus important » que celle rédigée dans toute autre langue, c.-à-d. qu’elle doit occuper deux fois plus d’espace que l’inscription dans une autre langue, et que sa lisibilité et sa visibilité permanente soient équivalentes à celles de l’inscription rédigée dans une autre langue que le français.

Inscriptions sur les produits

Pour rappel, la Charte exige que toute inscription sur un produit vendu au Québec soit rédigée en français et qu’aucune inscription rédigée dans une autre langue ne l’emporte sur celle qui est rédigée en français sur le produit, son emballage ou un document qui l’accompagne.

Toutefois, si le produit provient de l’extérieur du Québec, l’inscription qui est gravée, cuite ou incrustée dans le produit lui-même, y est rivetée ou soudée, ou encore y figure en relief, de façon permanente, est exemptée. Une telle exemption ne s’applique pas aux inscriptions concernant la sécurité, qui doivent être traduites en français. Toutefois, dans le projet de règlement, le Québec cherchait à limiter cette exemption en exigeant, en outre, que, comme les inscriptions concernant la sécurité, toute inscription « nécessaire à l’utilisation » :

  • soit traduite en français, et apparaisse sur le produit lui-même (ou l’accompagne de façon permanente);
  • figure sur le produit lui-même de façon aussi évidente que toute inscription rédigée dans une autre langue que le français.

Le projet de règlement stipulait également que tout affichage numérique sur un produit doit pouvoir être affiché en français.

Heureusement, ces modifications ont été abandonnées à l’issue du processus de consultation qui a suivi la publication du projet de règlement, et l’inscription qui est gravée, cuite ou incrustée dans le produit lui-même, y est rivetée ou soudée, ou encore y figure en relief, de façon permanente, continuera d’être exemptée, à l’exception des inscriptions concernant la sécurité qui doivent être traduites en français.

Exigences en matière de traduction et d’enregistrement des marques de commerce contenant du texte dans une autre langue que le français et apparaissant sur des produits

La Charte prévoit qu’à partir du 1er juin 2025, les marques de commerce qui contiennent du texte dans une autre langue que le français doivent avoir été enregistrées au Canada pour apparaître sur les produits au Québec. Il est intéressant de noter que, dans son règlement final, le gouvernement du Québec revient sur cette nouvelle exigence et rétablit le statu quo en vertu duquel une marque de commerce reconnue par la Loi sur les marques de commerce, y compris les marques de commerce de common law qui ne sont pas déposées au Canada, peut continuer à être utilisée sur les produits au Québec dans sa forme initiale.

Cependant, la Charte exige également qu’à partir du 1er juin 2025, le générique ou le descriptif compris dans une marque de commerce soient traduits en français s’ils apparaissent sur un produit. Comme le projet de règlement, le règlement final précise que cette exigence s’étendra également à l’emballage du produit et à la documentation fournie avec celui-ci, et il tente de clarifier le type de termes concernés par cette nouvelle exigence, à savoir :

  • un ou plusieurs mots décrivant la nature du produit;
  • un ou plusieurs mots décrivant les caractéristiques du produit.

À la différence du projet de règlement, toutefois, le règlement final stipule que le nom d’une entreprise et le nom d’un produit tel qu’il est commercialisé ne sont pas visés par l’obligation de traduction, même s’ils contiennent des termes qui décrivent la nature ou les caractéristiques du produit, ce qui réduit considérablement le champ d’application de cette nouvelle obligation de traduction.

En cas d’obligation de traduction, la version française du générique ou du descriptif compris dans la marque de commerce doit figurer de façon au moins aussi évidente que sa version dans l’autre langue chaque fois que la marque de commerce apparaît sur le produit, son emballage et tout document qui l’accompagne.

Il est heureux de constater que le Québec a prévu des mesures transitoires pour aider les entreprises à se conformer à ces modifications. Jusqu’au 1er juin 2027, les entreprises pourront continuer à vendre des produits fabriqués avant le 1er juin 2025 (le 31 décembre 2025 si le produit est visé par les nouvelles normes fédérales relatives à l’étiquetage prévues par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (symboles nutritionnels, autres dispositions d’étiquetage, vitamine D et graisses ou huiles hydrogénées) ou par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur le cannabis (aliments supplémentés)) sur lesquels apparaissent des marques de commerce qui contiennent des termes génériques ou descriptifs qui ne sont pas traduits en français.

Le gouvernement a préparé des exemples visuels sur ce qui est conforme ou non conforme, que vous pouvez consulter ici.

Exigences en matière de traduction et d’enregistrement des marques de commerce rédigées dans une autre langue que le français et affichées à l’extérieur

Le Québec a signalé qu’en vertu de la Charte, à partir du 1er juin 2025 :

  • les marques de commerce rédigées dans une autre langue que le français et affichées à l’extérieur (y compris tout affichage visible à l’intérieur des parties communes des bâtiments, comme les tours de bureaux et les centres commerciaux) devront être enregistrées au Canada pour ne pas devoir être traduites (ce qui vient supprimer toute exemption pour les marques de commerce de common law);
  • le texte en français accompagnant les marques de commerce qui sont rédigées dans une autre langue que le français et affichées à l’extérieur devra figurer « de façon nettement prédominante » par rapport à toute autre langue.

Comme c’est le cas pour les inscriptions sur les produits, le règlement final fait marche arrière en ce qui concerne l’élimination de l’exemption visant les marques de commerce de common law et rétablit le statu quo dans le cadre duquel les marques de commerce reconnues par la Loi sur les marques de commerce peuvent être affichées dans leur forme initiale, qu’elles soient enregistrées ou non au Canada.

Le règlement final clarifie avec succès ce que l’on entend par « de façon nettement prédominante ». Il stipule que, pour être conforme, « l’espace consacré au texte rédigé en français est au moins deux fois plus grand que celui consacré au texte rédigé dans une autre langue », ce qui est beaucoup plus clair et offre une plus grande souplesse que la norme énoncée dans le projet de règlement, qui indiquait que la taille du texte devait être deux fois plus grande que n’importe quel terme de la marque de commerce dans une autre langue que le français, ce qui implique de doubler la taille de la police, quelle que soit la surface occupée par le texte rédigé en français.

En vertu de la norme adoptée par le règlement final, un commerce peut conserver son affichage d’origine qui comporte une marque de commerce dans une autre langue que le français et ajouter un affichage permanent en français qui n’est pas nécessairement plus grand que l’affichage d’origine, à condition que l’espace cumulatif occupé par l’ensemble des éléments de l’affichage en français soit deux fois plus grand que celui occupé par les termes dans une autre langue que le français.

Le gouvernement a préparé des exemples visuels sur ce qui est conforme ou non conforme, que vous pouvez consulter ici.

Exigences de traduction pour les contrats d’adhésion (contrats non négociables)

Comme le projet de règlement, le règlement final contient toutefois pour les propriétaires d’entreprises faisant affaire au Québec certaines clarifications positives concernant les contrats dont la conclusion est faite par téléphone ou en ligne. La Charte exige qu’à compter du 1er juin 2023, les entreprises qui concluent des contrats d’adhésion par téléphone ou en ligne avec une contrepartie québécoise doivent lui remettre une version française du contrat, même dans les cas où elle a explicitement exprimé le souhait de le conclure en anglais. La mise en œuvre de ces exigences a donné lieu à des pratiques lourdes et à première vue inutiles.

Transactions en ligne

En vertu de la Charte, les sites Web transactionnels du Québec doivent intégrer une fonctionnalité permettant à l’utilisateur de passer de l’anglais au français à chaque étape du processus contractuel, même pour les utilisateurs qui ont eu la possibilité, au début du processus contractuel, de faire affaire en français ou en anglais, et qui ont choisi de faire affaire en anglais.

Le règlement final confirme le projet de règlement et apporte un certain soulagement à cet égard puisqu’il précise que les entreprises qui concluent des contrats en ligne au Québec n’ont pas besoin de prévoir la possibilité de passer de l’anglais au français à chaque étape des transactions propres au client lorsque l’option de conclure des transactions en français a été offerte, mais refusée, au début du processus contractuel. Au lieu de cela, les entreprises n’ont qu’à mettre à la disposition de la partie contractante la version française des conditions générales qu’elle est tenue d’accepter dans le cadre du processus contractuel.

Transactions par téléphone

Par ailleurs, dans un souci de conformité avec la Charte, les opérateurs de centres d’appels ont adopté comme pratique de lire à la partie contractante la version française des clauses du contrat, même lorsque celle-ci a choisi d’être servie en anglais.

En vertu du règlement final, lorsqu’un consommateur souhaite faire affaire en anglais, l’opérateur du centre d’appels peut tout simplement indiquer au consommateur où trouver la version française des conditions générales, au lieu de devoir les passer en revue avec lui au téléphone.

Conclusion

Si vous pensez que le projet de règlement peut avoir une incidence sur les activités de votre entreprise au Québec, n’hésitez pas à communiquer avec nous. Nous serons heureux de vous aider à évaluer les risques et à élaborer un plan de mise en œuvre et de conformité.

Résumé des principales modifications apportées au Règlement sur la langue du commerce et des affaires
SujetRègle précédenteRègle modifiéeDate d’entrée en vigueurIncidence ou commentaire
Inscriptions sur les produitsExemption pour toute inscription rédigée dans une autre langue que le français qui est gravée, cuite, etc., dans le produit lui-même, à l’exception des inscriptions concernant la sécuritéExemption conservée malgré une proposition antérieure visant à la restreindres. o.Allègement bienvenu pour les fabricants de produits matériels
Inscriptions affichées sur les interfaces numériques des produitsAucune obligation de traductionMaintien du statu quo malgré une proposition antérieure d’obligation de traductions. o.Allègement bienvenu pour les fabricants de produits matériels dotés d’interfaces numériques
Marques de commerce contenant du texte dans une autre langue que le français et apparaissant sur des produits, leur emballage et la documentation fournie avec ceux-ciElles sont acceptables, si elles sont reconnues en common lawElles sont acceptables si elles sont déposées au Canada ou si elles sont reconnues en common law; les termes génériques ou descriptifs rédigés dans une autre langue que le français doivent être traduits et figurer de façon aussi évidente que le texte rédigé dans une autre langue que le français, sauf pour les noms d’entreprise et les noms de produits1er juin 2025Nécessité de traduire les termes génériques ou descriptifs dans les marques de commerce qui ne sont ni le nom de l’entreprise ni le nom du produit et modifier la conception des produits et des emballages
Marques de commerce rédigées dans une autre langue que le français et affichées à l’extérieurElles sont acceptables, si elles sont reconnues en common law; un texte rédigé en français doit être dans le même champ visuel que la marque de commerce, sans devoir être plus grande que la marque de commerce dans une langue autre que le françaisElles sont acceptables si elles sont enregistrées au Canada ou si elles sont reconnues en common law; l’espace occupé par le texte en français doit être deux fois plus grand que l’espace consacré au texte dans une autre langue que le français1er juin 2025Nécessité éventuelle de modifier la conception de l’affichage pour ajouter le texte en français pour respecter la nouvelle exigence relative à la surface occupée
Transactions par téléphone ou en ligneObligation de remettre la version française du contrat, même si la partie contractante a choisi l’anglais; en ce qui concerne les transactions en ligne, obligation de permettre de passer de l’anglais au français à chaque étape du processus contractuelSeules les conditions générales doivent être disponibles en français; en ce qui concerne les transactions par téléphone, il suffit d’indiquer où consulter la version française des conditions générales; en ce qui concerne les transactions en ligne, aucune obligation de permettre de passer de l’anglais au français à chaque étape du processus contractuel11 juillet 2024Dans une certaine mesure, clarté et allègement pour les entreprises qui passent des contrats par l’intermédiaire de sites Web ou de centres d’appels