Auteurs(trice)
Associé, Litiges, Calgary
Sociétaire, Litiges, Calgary
Summer student
La Cour de l’Alberta a rendu sa première décision dans Welcome Homes Construction Inc c. Atlas Granite Inc, 2024 ABKB 301 (la décision), concernant le processus d’arbitrage simplifié en vertu de la Prompt Payment and Construction Lien Act (PPCLA). Ce faisant, la Cour a fourni des conseils sur ce qui suit : i) l’interaction entre les procédures relatives au privilège et l’arbitrage et ii) l’incidence d’un avis de preuve de privilège sur la décision de l’arbitre.
Contexte
Welcome Homes Construction Inc. (Welcome Homes) a retenu les services d’Atlas Granite Inc. (Atlas Granite) comme entrepreneur pour fournir des comptoirs en marbre pour une nouvelle maison. Après un différend au sujet de la longueur du comptoir de l’îlot de cuisine, Welcome Homes a refusé de payer les travaux ou les matériaux fournis par Atlas Granite ou d’en accepter la livraison.
Welcome Homes a résilié le contrat le 9 mars 2023. Atlas Granite a déposé un privilège le 17 mai 2023 (68 jours plus tard).
Avant d’entamer une action en justice, les parties ont convenu de suivre le nouveau processus d’arbitrage en vertu de la PPCLA. L’arbitre a accordé 12 775,29 $ à Atlas Granite. Welcome Homes a par la suite signifié un avis de preuve de privilège sur Atlas Granite. Les parties ont ensuite suspendu les procédures relatives au privilège par ordonnance sur consentement et demandé des conseils et des directives à la Cour sur les effets qu’ont les questions de privilège (y compris la validité du privilège et l’avis de preuve de privilège) sur la décision de l’arbitre.
La décision
Dans sa décision, la Cour s’est penchée, entre autres, sur les questions suivantes : 1) quel impact le dépôt par Atlas Granite d’un privilège potentiellement invalide a-t-il eu sur la décision de l’arbitre? et 2) la signification par Welcome Homes d’un avis de preuve de privilège sur Atlas Granite a-t-elle eu préséance sur la décision de l’arbitre?
Question no 1 – Interaction entre la validité du privilège et l’arbitrage
La Cour a souligné que le privilège d’Atlas Granite pouvait être invalide puisqu’il semblait avoir été déposé après le délai de préavis de 60 jours prescrit par la PPCLA.Néanmoins, elle a conclu que la validité du privilège n’était pas pertinente quant à la décision de l’arbitre concernant le litige.
Pour en arriver à sa conclusion, la Cour a examiné les dispositions d’arbitrage de la PPCLA. Elle a constaté que le processus d’arbitrage est conçu pour régler les différends contractuels entre les parties à un contrat (c.-à-d. le propriétaire-entrepreneur, l’entrepreneur sous-traitant, le sous-traitant d’un sous-traitant, etc.). La Cour a souligné que les droits de privilège aident à encadrer le différend et à donner accès à la procédure d’arbitrage. Toutefois, elle a déterminé que la décision de l’arbitre ne dépendait pas de la validité du privilège pour être contraignante à l’égard de Welcome Homes et d’Atlas Granite.
Question no 2 – Effet d’un avis de preuve de privilège sur la décision d’un arbitre
La Cour a conclu que Welcome Homes n’a pas eu préséance sur la décision de l’arbitre par la simple signification d’un avis de preuve de privilège sur Atlas Granite. La Cour a établi une distinction entre le paragraphe 13.15(1) de la Loi sur la construction de l’Ontario et le paragraphe 33.6(5) de la PPCLA de l’Alberta. Elle a souligné que même si la loi de l’Ontario stipule que la décision d’un arbitre est contraignante pour les parties jusqu’à ce que la Cour statue sur l’affaire, la loi de l’Alberta prévoit que la décision d’un arbitre est contraignante, sauf si elle est supplantée par une ordonnance du tribunal ou un contrôle judiciaire.
Le paragraphe 13.15(1) de la Loi sur la construction de l’Ontario prévoit ce qui suit :
13.15(1) La décision de l’arbitre intérimaire sur une question lie les parties à l’arbitrage intérimaire jusqu’à ce que la question soit tranchée par un tribunal, qu’elle soit tranchée par voie d’arbitrage effectué sous le régime de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, ou qu’elle fasse l’objet d’un accord écrit conclu entre les parties. [italiques ajoutés]
Le paragraphe 33.6(5) de la PPCLA de l’Alberta stipule ce qui suit :
33.6(5) La décision de l’arbitre lie les parties à l’arbitrage, sauf dans les cas suivants :
a) une ordonnance judiciaire est rendue à l’égard de l’affaire;
b) une partie demande le contrôle judiciaire de la décision en vertu de l’article 33.7;
c) les parties ont conclu une entente écrite pour nommer un arbitre en vertu de la Loi sur l’arbitrage; ou
d) les parties ont conclu une entente écrite qui règle la question.
[italiques ajoutés]
La Cour a conclu que l’utilisation différentielle des mots jusqu’à ce que et sauf dans les lois laissait entendre ce qui suit : alors que l’arbitrage en matière de construction en vertu du régime ontarien est un processus provisoire de règlement des différends qui est temporairement contraignant pour les parties, l’arbitrage en Alberta se veut définitif. Par conséquent, la décision d’un arbitre ne peut être supplantée que par une ordonnance d’un tribunal ou un contrôle judiciaire.
La Cour a conclu que l’avis de preuve de privilège de Welcome Homes ne l’emportait pas sur la décision de l’arbitre.
Principaux points à retenir
Considérée de façon restrictive, la décision indique que l’arbitrage en Alberta se veut un processus abrégé qui traite des obligations contractuelles entre les parties à un contrat, et que la simple signification d’un avis de preuve de privilège à la partie adverse ne peut avoir préséance sur la décision d’un arbitre.
De façon plus générale, les commentaires de la Cour sur le caractère définitif des décisions arbitrales de l’Alberta donnent à penser que l’Alberta pourrait adopter une approche légèrement différente de celle de l’Ontario en ce qui concerne le traitement des décisions arbitrales dans les procédures judiciaires subséquentes.
En Alberta et en Ontario, les lois applicables prévoient les mêmes recours non exclusifs pour contester la décision d’un arbitre. Une partie peut : i) intenter une action en justice et demander une ordonnance au tribunal ou ii) demander un contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Les deux lois prévoient également que la décision d’un arbitre peut être supplantée par l’arbitrage.
Lorsqu’une action en justice est intentée pour contester la décision d’un arbitre, les tribunaux de l’Ontario ont conclu que l’arbitrage est considéré comme un recours provisoire et que les tribunaux « devraient se montrer prudents en ne s’appuyant pas uniquement sur les conclusions d’un arbitre dans ce processus… »[1]. Il reste à voir s’il y a une distinction en Alberta.
À mesure que la procédure d’arbitrage dans le secteur de la construction prend son élan en Alberta, il est important que les parties connaissent leurs droits en vertu de la PPCLA. Osler continuera d’évaluer les décisions concernant le nouveau processus d’arbitrage de la PPCLA afin de s’assurer que les clients sont bien outillés pour aborder ces questions au fur et à mesure qu’elles se présentent.
[1] Arad Incorporated c. Rejali et al, 2023 ONSC 3949, au paragraphe 28.