Survol des garanties sur les biens aéronautiques au Québec

19 Mar 2024 12 MIN DE LECTURE

Le partage des pouvoirs entre les compétences fédérales et provinciales au Canada donne aux provinces le pouvoir d’exercer leur compétence législative sur les questions de biens dans leurs territoires respectifs. Par conséquent, les provinces disposent de l’autonomie nécessaire pour établir les règles et les procédures régissant la création, l’inscription et l’exécution des garanties, appelées hypothèques dans le régime de droit civil de la province de Québec[1]. Cependant, certains éléments d’actif comme la propriété intellectuelle[2], les navires[3] et les aéronefs[4], entre autres, sont assujettis à l’autorité législative fédérale. Même si les provinces conservent le contrôle de nombreux aspects du droit de la propriété relatifs à ces biens, le cadre juridique régissant ces biens dépasse les frontières provinciales.

Le prêteur qui souhaite financer des aéronefs appartenant à des débiteurs dont le domicile (c’est-à-dire le siège social) est situé au Québec et obtenir des garanties sur ceux-ci peut avoir de la difficulté à s’y retrouver dans le contexte réglementaire complexe qui régit les garanties sur ces biens, en particulier si l’on tient compte du régime de droit civil de la province de Québec, que certains prêteurs ne connaissent pas nécessairement. À la lumière de ces complexités, nous vous proposons un survol des principaux points de ce cadre juridique que les prêteurs engagés ou désirant s’engager dans le financement d’aéronefs doivent comprendre.

Exigences propres au Québec

Puisque le Canada n’a pas ratifié la Convention relative à la reconnaissance internationale des droits sur aéronef — signée à Genève le 19 juin, 1948[5] et prévoyant que les États contractants s’engagent à reconnaître le droit de propriété et la sûreté sur un aéronef à condition que de tels droits soient régulièrement inscrits sur le registre public de l’État contractant où l’aéronef est immatriculé[6] —, au Canada, l’immatriculation (ou la publication au Québec) d’une garantie ou d’une hypothèque sur un aéronef doit être faite à la fois au registre public applicable dans la province concernée[7] et au Registre international. Cela est nécessaire pour créer et inscrire une garantie internationale (voir la section suivante du présent article).

Au Québec, selon les dispositions sur les conflits de lois énoncées dans le Code civil du Québec (CcQ), la validité d’une sûreté grevant un meuble corporel (tangible) ordinairement utilisé dans plus d’un État ou de celle grevant un meuble incorporel (personnel) est régie par la loi de l’État où était domicilié le constituant au moment de sa constitution[8]. Les aéronefs entrent dans cette catégorie, compte tenu de leurs caractéristiques inhérentes, et les prêteurs qui financent un aéronef appartenant à un débiteur domicilié dans la province de Québec doivent obtenir une hypothèque sur cet aéronef. La publication (terme équivalent pour « inscription » au Québec) de cette hypothèque devra être faite au Québec dans le Registre des droits personnels, mobiliers et réels (le RDPMR) pour qu’elle soit opposable à des tiers.

Une hypothèque doit fournir une description suffisante de l’aéronef, ce qui en pratique comprend, pour chaque cellule et moteur, le nom du constructeur, la date de fabrication, le modèle et le numéro de série du constructeur. De plus, contrairement aux contrats de sûretés dans les provinces de common law, une hypothèque doit indiquer la somme déterminée en dollars canadiens pour laquelle elle est consentie[9], sous peine de nullité absolue. Il est également important de noter que la description du bien grevé d’une hypothèque doit être rédigée en français, car depuis le 1er septembre 2022, les demandes d’inscription au RDPRM doivent être exclusivement rédigées en français[10]. En outre, si l’hypothèque est constituée en faveur d’un fondé de pouvoir d’un ou de plusieurs créanciers des obligations garanties, ce fondé de pouvoir doit être désigné comme titulaire de l’hypothèque (au sens de l’article 2692 du CcQ) de ce(s) créancier(s) et l’hypothèque doit être constituée par acte notarié en minute.

Convention du Cap et garanties internationales

La Convention du Cap (la Convention), officiellement connue sous le nom de Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles, ainsi que le Protocole portant sur les questions spécifiques aux matériels d’équipement aéronautiques (le Protocole) était destiné à normaliser et à universaliser l’inscription des garanties internationales sur les matériels aéronautiques. Pour atteindre son objectif, la Convention établit un cadre pour la création, l’inscription et l’exécution des garanties sur de tels biens, et a créé le Registre international, une base de données centralisée où les garanties internationales, comme les contrats constitutifs de sûreté, les contrats réservant un droit de propriété, ou les contrats de bail, pourraient être inscrites et accessibles aux parties concernées.

Ces instruments internationaux sont entrés en vigueur le 1er avril 2013 au Canada, ce qui introduit des exigences d’inscription internationale pour les opérations de garantie canadiennes impliquant des biens aéronautiques[11].

À titre préliminaire, aux fins de la Convention , « biens aéronautiques » désigne des cellules d’aéronef, des moteurs d’avion et des hélicoptères[12]. À cet égard, nous tenons à souligner que le Registre international traite les cellules et les moteurs comme des entités distinctes, ce qui signifie qu’une inscription pour chaque composant est requise lorsqu’une opération concerne à la fois une cellule et des moteurs[13].

L’applicabilité de la Convention à une transaction donnée et, en corollaire, l’obligation de l’inscrire au Registre international pour obtenir la priorité, dépendent du lieu où se trouve le débiteur au moment de la conclusion de la transaction.[14]. La Convention s’applique lorsque le débiteur est situé dans un État contractant, c’est-à-dire a) selon la loi duquel il a été constitué; b) dans lequel se trouve son siège statutaire; c) dans lequel se trouve le lieu de son administration centrale; ou d) dans lequel se trouve son établissement[15]. La Convention s’applique également lorsqu’une cellule d’aéronef ou un hélicoptère est immatriculé dans un État contractant[16].

Pour inscrire une garantie sur un bien aéronautique, le nom du constructeur, la désignation du modèle et le numéro de série assigné par le constructeur de l’aéronef sont suffisants[17].

Dans le même ordre d’idées, l’inscription de ces garanties peut être transmise directement au Registre international ou à un point d’entrée national désigné. En fait, en vertu du paragraphe 18(5) de la Convention, un État contractant peut désigner sur son territoire un ou plusieurs organismes qui seront le ou les points d’entrée chargés de la transmission au Registre international des garanties internationales. Par conséquent, dans certains cas, l’inscription peut devoir être transmise au point d’entrée national plutôt que directement au Registre international. C’est notamment le cas aux États-Unis d’Amérique, où l’inscription des garanties internationales sur des biens aéronautiques doit être faite auprès de la Federal Aviation Administration. Il est important de noter que les exigences et procédures d’inscription spécifiques peuvent varier en fonction du territoire et des lois et réglementations applicables. À l’heure actuelle, le Canada n’a pas de tel point d’entrée désigné, ce qui signifie que les inscriptions doivent être effectuées directement dans le Registre international.

En ce qui concerne la priorité des garanties concurrentes, conformément à l’article 19(4) et à l’article 29 de la Convention, la priorité des contrats prévoyant une garantie internationale ou la constitution d’une garantie n’est pas déterminée en fonction de la date de signature ou de constitution, mais plutôt en fonction de la date à laquelle l’inscription a été effectuée. Par conséquent, les inscriptions effectuées pour des opérations qui n’ont pas encore été réalisées peuvent primer sur les conventions exécutées inscrites ultérieurement.

Autorisation irrévocable de demande de radiation de l’immatriculation et de permis d’exportation

Dans le cas d’hypothèques (ou d’accords de garantie) sur des aéronefs, les prêteurs exigent souvent une autorisation irrévocable de demande de radiation de l’immatriculation et de permis d’exportation. Cette autorisation est une mesure volontaire émise par le débiteur en faveur d’un créancier désigné qui accorde à ce dernier le pouvoir de demander la radiation de l’immatriculation auprès de l’autorité du registre national de l’État contractant dans lequel l’aéronef est immatriculé et le transfert de cet aéronef[18]. Ce document est l’équivalent d’une procuration accordée par un emprunteur à un prêteur dans des conventions de prêt et/ou des documents connexes, habilitant le prêteur à effectuer certaines actions au nom de l’emprunteur lors de la survenance d’un cas de défaut. Au Canada, l’autorisation irrévocable de demande de radiation de l’immatriculation et de permis d’exportation doit être déposée auprès de Transports Canada (services de l’Aviation civile) suivant le formulaire annexé au protocole[19]. Cette autorisation offre aux créanciers un processus de radiation de l’immatriculation des aéronefs plus efficace et plus simplifié que les autres recours disponibles, comme le recours aux tribunaux, et permet aux créanciers de bénéficier d’une assistance rapide et coopérative de la part des services de l’Aviation civile de Transport Canada et d’autres autorités administratives au Canada[20]. En outre, un prêteur qui finance un aéronef au Canada devrait demander, comme condition préalable au versement des avances, une copie de chaque autorisation irrévocable de demande de radiation de l’immatriculation et de permis d’exportation estampillée et reconnue par les services de l’Aviation civile de Transport Canada, car ce tampon atteste de leur inscription dans le registre.

Conclusion

Dans cette publication, nous mettons en lumière certaines des principales exigences à respecter lorsqu’il s’agit de prendre des garanties sur des aéronefs dans la province de Québec. Nous vous invitons à communiquer avec Mikulas Arendas ([email protected]), Etienne Massicotte ([email protected]) et Samuel Julien ([email protected]) si vous avez des questions, ou pour discuter des aspects juridiques décrits ici. La présente publication fournit uniquement des renseignements généraux et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel ni une opinion d’Osler, Hoskin & Harcourt LLP ou de l’un de ses membres sur les points de droit qui y sont abordés.


[1] Le principal cadre juridique pour les hypothèques au Québec est principalement abordé dans le Livre sixième du Code civil du Québec.

[2] Voir, par exemple, les lois fédérales, soit la Loi sur les brevets, la Loi sur les marques de commerce, la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur les dessins industriels, qui sont administrées par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada.

[3] Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

[4] Voir par exemple les lois fédérales suivantes : la Loi sur les transports au Canada, la Loi sur l’aéronautique et le Règlement de l’aviation canadien.

[5] Voir en ligne : <https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20310/volume-310-I-4492-French.pdf >. 

[6] Au Canada, il n’y a pas de registre national pour inscrire la garantie sur les biens aéronautiques. Le Registre d’immatriculation des aéronefs civils canadiens enregistre simplement le propriétaire (c.-à-d. la ou les personnes ou les entités qui ont la « garde et le contrôle ») de l’aéronef immatriculé en vertu de celui-ci.

[7] Dans les provinces de common law, le registre créé en vertu de la Loi sur les sûretés mobilières applicable et au Québec, le registre des droits personnels et réels mobiliers (aussi appelé RDPRM) conformément au CcQ. Voir Donal Hanley (2015) The relationship between the Geneva and Cape Town conventions, Cape Town Convention Journal, 4:1, 103-113, DOI : 10.1080/2049761X.2015.1102010.

[8] Article 3105 du CcQ.

[9] Article 2689 du CcQ.

[10] Projet de loi 96 (Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français), article 125.

[11] En date du 1er novembre 2023, la Convention comptait 87 États contractants.

[12] Consulter les définitions de « cellule d’aéronef », d’« hélicoptère » et de « moteur d’avion » dans la Convention pour en savoir plus sur les critères particuliers.

[13] En ce qui concerne les hélicoptères, la classification du moteur dépend du fait qu’il est fixé ou non à l’hélicoptère. Un moteur d’hélicoptère est considéré comme un « moteur d’avion » lorsqu’il n’est pas fixé à l’hélicoptère. Toutefois, une fois qu’un moteur d’hélicoptère est installé sur un hélicoptère, il n’est plus considéré comme un « bien aéronautique » et devient plutôt un composant ou un accessoire de l’hélicoptère.

[14] Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles, 16 novembre 2001, article 3, en ligne : < www.unidroit.org/fr/instruments/garanties-internationales/convention-du-cap/ >.

[15] Idem, article 4.

[16] Protocole portant sur les questions spécifiques aux matériels d’équipement aéronautiques à la convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles, 16 novembre 2001, article IV, en ligne : www.unidroit.org/fr/instruments/garanties-internationales/protocole-aeronautique/ [le « Protocole »].

[17] Article 7c) de la Convention du Cap; Article VII du Protocole.

[18] Article X(6) du Protocole.

[19] Article XIII du Protocole.

[20] Article X(6) du Protocole : L’autorité du registre national et les autorités administratives doivent « fournir rapidement coopération » aux fins de la radiation. Le Protocole prévoit que cette coopération doit avoir lieu « dans les cinq jours ouvrables ».