Auteurs(trice)
Le 29 octobre 2021, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a levé l’injonction qu’elle avait accordée le 22 octobre 2021 et qui suspendait le congédiement de certains employés du réseau hospitalier University Health Network (le « UHN ») qui refusent de se conformer à sa politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19. C’est dans le cadre de l’affaire Blake v. University Health Network (Blake) que les tribunaux de l’Ontario se prononcent pour la première fois sur la mise en œuvre de politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19 par les hôpitaux ontariens.
Contexte
Le 17 août 2021, le Médecin hygiéniste en chef de l’Ontario a publié la Directive no 6 en vertu de l’article 77.7 de la Loi sur la protection et la promotion de la santé (la « directive sur la vaccination »), aux termes de laquelle les hôpitaux et les organisations de soins de santé devaient mettre en œuvre des politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19.
Plusieurs hôpitaux et autres organisations de soins de santé de la province, dont le UHN, ont donc mis en œuvre des politiques imposant à tous leurs employés de se faire vacciner contre la COVID-19, faute de quoi ils seraient congédiés. Ces politiques prévoient généralement des procédures que les employés peuvent suivre pour demander une exemption de cette obligation au titre des droits de la personne ou d’une raison médicale, ainsi que des conditions d’octroi d’une telle exemption.
Les bulletins d’actualités Osler antérieurs présentent une vue d’ensemble de la directive sur la vaccination en plus de souligner certains risques et faire part de certaines considérations à l’intention des hôpitaux et autres organisations de soins de santé concernant les exemptions de l’application des politiques de vaccination obligatoire.
Procédures du UHN
Certains employés du UHN – tant syndiqués que non syndiqués – ont introduit un recours contestant la validité de la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 du UHN. Il s’agit du premier recours contestant une telle politique vaccinale adoptée par un réseau hospitalier. Entre autres choses, les employés demandaient l’octroi d’une injonction empêchant le congédiement des employés qui refusent de se conformer à la politique vaccinale (c’est-à-dire les employés non vaccinés qui ne sont pas admissibles à une exemption de l’obligation vaccinale).
Le 22 octobre 2021, la Cour a entendu une motion urgente présentée par les employés demandeurs visant à suspendre (ou à empêcher) leur congédiement qui prenait effet ce jour-là étant donné qu’ils n’étaient pas vaccinés.
Injonction provisoire accordée par la Cour suspendant le congédiement des employés pendant 6 jours
À l’issue d’une brève audition, le juge Dunphy a accordé une injonction provisoire (c.-à-d. temporaire) qui suspendait le congédiement des employés demandeurs en attendant l’enquête préliminaire fixée au 28 octobre 2021, afin d’assurer un examen attentif des questions en litige et de donner la chance aux syndicats qui représentent les employés du UHN de participer au débat.
Ce faisant, la Cour a manifestement indiqué qu’elle accordait cette injonction provisoire dans le but de maintenir le statu quo en attendant qu’un débat plus complet puisse être tenu, comme il s’agissait d’une demande de dernière minute qui soulevait des questions importantes. Dans ses motifs, le juge a constaté qu’il s’agit d’une requête qui serait vigoureusement contestée. En effet, les questions qu’elle soulève sont vivement débattues dans l’espace public. La Cour doit donc faire preuve de retenue, de rigueur et d’objectivité.
La Cour a ensuite conclu qu’un statu quo peut être maintenu en accordant cette injonction puisque, de toute façon, aucun des employés concernés ne devait travailler entre le 22 octobre et le jour de l’enquête préliminaire du 28 octobre et, par conséquent, le danger qu’aurait représenté leur présence au travail n’était pas en cause.
Injonction provisoire levée par la Cour et refus d’accorder une injonction dans l’attente du procès
Le 29 octobre, la Cour a rendu sa décision levant l’injonction provisoire et refusant de maintenir en place l’injonction pour les employés non syndiqués. Dans cette décision, la Cour souligne qu’elle ne se prononce pas sur le bien-fondé ni sur la légalité de la politique de vaccination obligatoire adoptée par le UHN. Elle se contente plutôt de trancher les trois questions juridiques qui suivent :
- Les employés syndiqués ont-ils la qualité d’agir pour demander à la Cour de décider à l’égard de leur emploi?
- La Cour a-t-elle compétence pour accorder l’injonction provisoire ou l’injonction permanente demandées par les employés demandeurs – c.-à-d. tirer des conclusions concernant le statut d’emploi des employés syndiqués – ou est-ce que la question relève plutôt de la compétence exclusive d’un arbitre de griefs?
- Une extension à l’injonction provisoire pour les employés non syndiqués devrait-elle être accordée?
Tous les syndicats représentant les employés du UHN sont intervenus à l’audition sur la question de la compétence et partageaient la position du UHN selon laquelle les employés syndiqués n’avaient pas la qualité d’agir pour soumettre une telle demande à la Cour. En effet, selon le UHN et les syndicats, la compétence exclusive des syndicats pour le règlement des différends découlant des négociations collectives doit être tenue à l’abri de l’ingérence des tribunaux.
Concluant que les employés syndiqués n’avaient pas qualité pour agir, la Cour souligne que « le législateur avait déployé de grands efforts pour ériger une muraille cernée de douves profondes » dans le but d’empêcher l’intervention des tribunaux dans le domaine des relations de travail. [Traduction libre] Elle détermine en outre que le caractère essentiel du litige relève essentiellement de la convention collective et de la relation de travail, indiquant que « peu d’éléments d’une convention collective sont moins fondamentaux que ceux qui établissent un motif valable de licencier un salarié ou de lui imposer une mesure disciplinaire ». [Traduction libre] La Cour ajoute que tous les syndicats ont réagi à la mise en œuvre de la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19, déposant chacun divers griefs individuels et de principe à cet égard, ce qui est plutôt important.
Dans son examen pour déterminer si elle avait une compétence résiduelle pour accorder une injonction qui ne relève pas de la compétence d’un arbitre du travail, la Cour a reconnu qu’il n’existe aucun recours permettant un retour en arrière une fois que le vaccin est administré et que la politique en question, de même que le vaccin contre la COVID-19 lui-même, étaient tous deux des éléments plutôt récents et leur application dans le contexte de la négociation collective n’a pas encore été déterminée. Cependant, il ne revient pas à la Cour, selon elle, de trancher ces questions : ces dernières relèvent plutôt du processus exclusif de règlement des différends dans le cadre de cette relation de négociation collective. La Cour souligne par ailleurs qu’aucun des syndicats intervenants ne lui a demandé de maintenir l’injonction provisoire, bien qu’ils aient la qualité pour le faire, et que la décision de ces syndicats en est une qui « commande une déférence de la part de notre tribunal civil compte tenu du caractère fondamental des principes de relations de travail en cause ».
En ce qui concerne les employés non syndiqués, la Cour a conclu que ces derniers ne pouvaient d’aucune façon satisfaire aux critères pour obtenir une injonction, étant donné qu’un employeur a le droit de congédier un employé non syndiqué en tout temps. Si un employé non syndiqué et non vacciné est congédié sans motif valable, il aura droit à une indemnisation pécuniaire. Par conséquent, il ne sera pas en mesure d’établir un préjudice irréparable (c.-à-d., un préjudice qui ne peut être compensé de manière adéquate par l’attribution de dommages pécuniaires) résultant de son congédiement pour ne pas s’être plié à la politique vaccinale. Il est important de noter que, puisque seules des questions de compétence ont été débattues devant la Cour lors de l’audition du 28 octobre, la Cour ne s’est pas penchée sur la question de savoir si le non-respect des politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19 et, plus particulièrement, l’obligation vaccinale, constituent des motifs valables de congédiement. Cette question fera certainement l’objet de litiges futurs, y compris potentiellement par les employés non syndiqués dans l’affaire Blake, s’ils poursuivent leur recours contre UHN.
L’affaire Blake apporte des éclaircissements aux hôpitaux et aux autres employeurs dont les employés sont syndiqués qui tentent de mettre en œuvre leur politique de vaccination obligatoire :
- elle réaffirme le principe fondamental selon lequel les syndicats ont le monopole de la représentation des employés syndiqués;
- elle confirme la compétence des arbitres en droit du travail de trancher les litiges relatifs aux politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19, malgré le caractère nouveau de ces politiques et des vaccins.
Enfin, l’affaire Blake marque le début d’une vague de litiges découlant des politiques en milieu de travail concernant la COVID-19.
Contestations judiciaires de la vaccination obligatoire contre la COVID-19 dans les autres provinces
En Alberta, quatre médecins ont introduit un recours contre l’Alberta Health Services (l’« AHS ») et le président actuel de l’AHS contestant la politique de l’AHS sur la vaccination des travailleurs contre la COVID-19. Dans leur demande introductive d’instance, les médecins demandeurs soutiennent que la politique porte atteinte à leurs droits en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), et en vertu du Code criminel (Canada) ainsi que de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act et de la Health Professions Act (Alberta). En date de la présente publication, l’AHS n’avait pas encore déposé de défense. Nous continuons de surveiller l’évolution de ce dossier et de ses incidences potentielles sur les droits des médecins.
En Saskatchewan, la Cour du Banc de la Reine a récemment rejeté une demande déposée par l’ancien candidat du Parti populaire du Canada et de deux groupes de citoyens qui faisait valoir que la politique vaccinale de la province portait atteinte à leurs droits en vertu de la Charte.
Osler possède une vaste expérience dans la prestation de conseils à ses clients des milieux hospitaliers et de soins de santé en ce qui concerne les politiques de vaccination contre la COVID-19 et toutes les questions et litiges y afférents, tant pour les employés que pour le personnel professionnel. Pour toute question concernant les politiques vaccinales et les enjeux organisationnels entourant la COVID-19 en général, veuillez communiquer avec l’un des auteurs de la présente publication.
Les auteurs souhaitent également remercier Hannah Davis, stagiaire en droit, pour sa contribution à ce bulletin d’actualités.