Capacité d’adaptation du marché des capitaux en réaction à des changements importants

8 Déc 2020 16 MIN DE LECTURE

Cette année, les participants au marché des capitaux ont vécu de nombreux changements sans précédent, qui les ont forcés à faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Le présent article portera sur deux de ces évènements charnières, soit la suppression du TIOL et les répercussions de la pandémie de COVID-19.

La suppression du TIOL est attendue depuis de nombreuses années et beaucoup de discussions ont porté sur les effets potentiels de cette dernière. Toutefois, avant 2020, très peu de mesures concrètes ont été prises en ce sens, et ce, en dépit de la complexité que présente un tel changement pour les entreprises. Le TIOL est utilisé à grande échelle aux quatre coins de la planète dans le cadre de milliers d’ententes de crédit et de conventions d’emprunt dans le cadre de billions de dollars de prêts. Un changement d’une telle nature ne peut être apporté qu’aux termes d’un accord étendu à l’échelle du secteur sur les taux de remplacement appropriés. De plus, il doit absolument s’inscrire dans une planification rigoureuse.

Le laisser-faire observé à l’égard de la modification du TIOL jusqu’en 2020 a finalement été éclipsé par les fortes pressions exercées par les organisations gouvernementales et les chefs de file du marché pour déterminer une marche à suivre. L’année 2020 a enfin été celle où les participants au marché ont mis en œuvre les changements nécessaires pour effectuer une transition en bonne et due forme vers un taux de remplacement et les choses vont bon train. Compte tenu de la quantité considérable d’ententes reposant sur le TIOL, il s’agit là de bonnes nouvelles, surtout si l’on tient compte du fait que tout échec relativement aux négociations et à la mise en place d’une structure de remplacement ou de rechange avant la suppression du taux de référence prévue en 2021 pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les prêteurs, les emprunteurs et les autres participants au marché.

Contrairement à la suppression du TIOL, la pandémie de COVID-19 a pris le monde par surprise. À ce jour, elle a toujours le potentiel d’engendrer de l’instabilité et des perturbations sur le marché du crédit. La pandémie a eu des conséquences négatives sur un grand nombre d’entreprises et forcé plusieurs d’entre elles à demander à leur prêteur d’assouplir leur entente de crédit.

Suppression du TIOL

Le taux interbancaire offert à Londres (plus communément appelé TIOL) est le taux d’intérêt le plus largement utilisé dans le monde. Le TIOL a sept échéances différentes (un jour/au comptant, une semaine, un mois, deux mois, trois mois, six mois et douze mois) et il repose sur cinq devises différentes (dont le dollar américain, qui est le principal objet de cet article).

Le TIOL devrait normalement prendre fin d’ici le 31 décembre 2021. À cette date, la Financial Conduct Authority (la FCA), l’organisme de réglementation du TIOL, n’obligera plus les banques de son panel à fournir des soumissions pour déterminer le TIOL et celui-ci deviendra ainsi caduc. En novembre 2020, ICE Benchmark Administration Limited (IBA), l’administrateur du TIOL, a annoncé un plan visant à entamer des consultations sur son intention de cesser la publication (1) de toutes les échéances du LIBOR GBP, du LIBOR EUR, du LIBOR CHF et du LIBOR JPY le 31 décembre 2020, (2) du LIBOR USD d’une semaine et de deux mois le 31 décembre 2020, et (3) de toutes les autres échéances du LIBOR USD le 30 juin 2023. Les consultations se termineront à la fin du mois de janvier 2021.

Le TIOL est le taux de référence sous-jacent de billions de dollars de prêts consentis dans le cadre d’un vaste éventail d’instruments financiers et d’opérations à l’échelle mondiale. Parmi ces derniers, mentionnons les prêts aux entreprises, les obligations, les produits dérivés, les contrats à terme standardisés, les prêts hypothécaires et d’autres produits financiers. Les prêteurs, les emprunteurs et les autres participants aux marchés des capitaux mondiaux auront donc un peu plus d’un an pour relever le défi de remplacer le TIOL. À ce jour, rien ne porte à croire que la pandémie de COVID-19 entraînera un retard dans la suppression du TIOL.

SOFR – le taux de remplacement

Le Secured Overnight Financing Rate (le SOFR) est le taux qui est censé remplacer le TIOL en dollars américains pour bon nombre de produits financiers. Le SOFR est un taux à un jour pour les opérations de rachat garanties par des obligations du Trésor américain. Le SOFR existe sous différentes formes, dont le SOFR à terme prospectif, le SOFR simple à un jour à terme échu et le SOFR quotidien composé à terme échu.

Le SOFR à terme prospectif a une structure semblable à celle du TIOL et est déterminé avant le début de la période de calcul des intérêts. Pour que le SOFR remplace efficacement le TIOL, un marché de contrats à terme standardisés reposant sur ce taux de remplacement devra être créé. Le SOFR à un jour à terme échu est déterminé d’après les taux SOFR publiés pendant la période de calcul des intérêts qui s’applique. Contrairement aux taux prospectifs, le taux applicable à l’ensemble de la période de calcul des intérêts est inconnu au début de cette dernière. La différence entre le SOFR simple à un jour et le SOFR quotidien composé est fonction des intérêts courus, selon qu’ils sont basés sur un taux d’intérêt simple ou composé. Le SOFR est publié quotidiennement par la Banque fédérale de réserve de New York.

Le TIOL et le SOFR présentent plusieurs différences structurelles, à savoir que le premier est notamment assorti de plusieurs échéances alors que le deuxième est un taux à un jour. Par ailleurs, le TIOL prévoit une prime de risque de crédit de la banque. Ces deux taux comportent également des écarts différentiels sur plusieurs années. Par conséquent, il faudra apporter certaines modifications au SOFR pour compenser ces différences et combler les écarts différentiels sur plusieurs années entre les taux. De plus, les participants au marché qui utilisent le SOFR devront décider s’ils appliquent une moyenne simple ou composée et s’ils calculeront les SOFR quotidiens ainsi que leur moyenne en avance ou rétroactivement.

Le SOFR qui sera précisément utilisé pour les prêts n’a pas encore été déterminé. Les principaux taux envisagés semblent être le SOFR à terme prospectif et le SOFR simple à un jour à terme échu. Dans le cas des swaps, l’Internationale Swaps and Derivatives Association (ISDA) a annoncé qu’elle appliquera le SOFR composé à terme échu ajusté en fonction de l’échéance.

Libellé des dispositions de rechange recommandé

L’Alternative Reference Rates Committee (ARRC) est un comité qui a été mis sur pied par la Réserve fédérale et la Banque fédérale de réserve de New York pour aider à assurer une transition réussie du TIOL en dollars américains au SOFR. Au printemps 2019, l’ARRC a publié un libellé des dispositions de rechange recommandé à inclure dans les conventions de prêts syndiqués et bilatéraux. Le libellé proposé par l’ARRC prévoit deux approches qui pourront être appliquées aux conventions de prêt à titre de remplacement après la suppression du TIOL. Ce libellé est basé à la fois sur une « approche programmée » et une « approche de modification ».

Aux termes de l’approche programmée, les parties appliquent des modalités prédéterminées au transfert d’une facilité d’emprunt en fonction d’un taux de remplacement et de l’ajustement des écarts. Cette transition peut être effectuée au moment d’un évènement déclencheur dont les parties ont convenu ou avant celui-ci, aux termes du choix d’utilisation. Selon l’approche de modification, les parties s’entendent pour modifier la convention de prêt lors de certains évènements déclencheurs ou avant qu’ils ne surviennent aux termes du choix d’utilisation par anticipation. L’ARRC a toujours préconisé l’application de l’approche programmée plutôt que l’approche de modification. Dans le document ARRC Recommended Best Practices for Completing the Transition from LIBOR (en anglais seulement) [PDF], l’ARRC a recommandé d’appliquer l’approche programmée à tous les prêts commerciaux d’ici la fin du troisième trimestre de 2020. 

Puis, en juin 2020, l’ARRC a publié la version révisée de son libellé des dispositions de rechange (en anglais) [PDF], qui ne prévoyait désormais plus l’approche de modification. En dépit de l’insistance mise par l’ARRC sur l’approche programmée, les parties visées tardent à l’adopter. Cela s’explique en grande partie par la réticence des participants à appliquer le SOFR alors qu’il n’a pas encore été désigné comme la norme définitive sur le marché. En revanche, l’approche de modification a été largement adoptée. L’ARRC a fait part de son inquiétude à savoir que si tous les participants au marché appliquent l’approche de modification, il pourrait se révéler impossible de modifier des milliers de prêts (et bon nombre d’autres produits financiers) en un bref laps de temps après la suppression du TIOL.

L’ARRC a également publié un libellé de substitution programmée (en anglais) [PDF] pour les billets à taux variable en avril 2019. Ce libellé a été adopté plus rapidement comparativement à celui à l’intention des marchés des prêts. Il n’y a pas de quoi s’en étonner, les billets à taux variable étant difficiles à modifier en raison des exigences relatives au consentement des détenteurs.

Transition au taux SOFR

Quelques ressources sont à la disposition des participants au marché pour faciliter la transition à l’approche programmée. 

L’ISDA évalue les répercussions de la suppression des principaux taux interbancaires offerts (les taux IBOR) depuis quelques années et a publié un supplément aux définitions qu’elle a publiées en 2006 (le Supplément) (en anglais) [PDF] ainsi qu’un protocole qui s’y rapporte (le Protocole), où elle aborde la question des taux de remplacement de ces taux IBOR (dont le TIOL) dans le cadre de contrats sur instruments dérivés. Le Supplément et le Protocole entreront en vigueur le 25 janvier 2021. Par la suite, tous les nouveaux produits dérivés qui font référence aux définitions publiées en 2006 par l’ISDA comprendront automatiquement les taux de remplacement mis à jour pour les taux IBOR visés. Ces changements s’appliqueront également aux produits dérivés traditionnels si toutes les parties concernées se sont engagées à respecter le Protocole ou ont convenu une entente bilatérale similaire. À ce stade, plus de 1500 entités ont adhéré au protocole.

La Loan Syndications and Trading Association (LSTA) a récemment publié un modèle de convention de crédit (en anglais) [PDF] à titre de source de renseignements sur l’application du libellé de substitution programmée et pour faciliter la transition aux nouveaux prêts faisant référence au SOFR. Le modèle de convention de crédit est basé sur un prêt à terme qui fait référence au SOFR simple à un jour ou au SOFR quotidien composé. La LSTA souligne que le modèle de convention de crédit n’a pas été créé dans le but de représenter ou de définir une pratique standard sur le marché. Par ailleurs, puisqu’aucun prêt faisant référence au SOFR simple n’a été consenti à ce jour, il n’existe aucune pratique commerciale à prendre en compte à l’heure actuelle. En fait, le document utilise plutôt des dispositions de style taux de base et intègre les conventions prévues par l’ARRC (en anglais) à titre d’exemple de prêt SOFR. La LSTA a par ailleurs mentionné son intention de mettre au point des modèles de convention de crédit également fondés sur d’autres approches qui font référence au SOFR.

Solution législative proposée

Le 6 mars 2020, l’ARRC a publié une proposition législative (en anglais) [PDF] à l’intention de l’État de New York sur la gestion de différents problèmes qui surviendront à la suite de la suppression du TIOL. La législation proposée par l’organisme visait notamment à 1) empêcher toute partie de refuser d’exécuter ses obligations contractuelles ou de rompre un contrat suivant la suppression du TIOL ou l’application du taux de remplacement prévu par la loi, 2) établir définitivement que le taux de remplacement recommandé est raisonnable et équivalent au TIOL sur le plan commercial et 3) prévoir une règle refuge contre les litiges relativement à l’application du taux de remplacement recommandé.

Dans le cas des contrats qui ne prévoient pas de taux de remplacement pour le TIOL ou qui prévoient des modalités de substitution qui font référence à un taux basé sur le TIOL (tel que la dernière soumission du TIOL), la loi impose l’application du taux de remplacement recommandé. Dans le cas des contrats au titre desquels l’agent prêteur ou le prêteur peut à sa discrétion déterminer le taux de remplacement, la règle refuge contre les litiges vise à encourager l’application du taux de remplacement recommandé. Les contrats qui prévoient des modalités de substitution en vue de l’application d’un taux non basé sur le TIOL (comme le taux d’intérêt préférentiel) ne seront pas touchés par la législation.

Suppression du TIOL

Même si la fin de 2021 est dans un an, la suppression du TIOL arrivera rapidement, probablement plus vite que ce à quoi la plupart des gens s’attendent. Selon la conjoncture, il pourrait peut-être même être nécessaire de remplacer le TIOL avant qu’il ne soit supprimé, au cas où il faudrait cesser de l’appliquer avant la date prévue. Les participants au marché doivent absolument commencer à mettre en œuvre leurs plans de transition afin de se donner suffisamment de temps pour effectuer une transition en bonne et due forme, que ce soit aux termes d’une approche programmée, d’une approche de modification ou de toute autre forme d’approche. Autrement, les répercussions pourraient être très graves pour les emprunteurs. Compte tenu du volume considérable des ententes et des conventions établies d’après des taux d’intérêt basés sur le TIOL, nous nous attendons à ce que 2021 soit une année très occupée en raison de l’arrivée imminente des dates d’échéance et du caractère impératif des changements à apporter. En ce qui concerne les nouveaux contrats, les banques ont été encouragées par divers organismes de réglementation à cesser d’utiliser le LIBOR USD dès que possible, et certainement avant la fin de 2021.

Osler est le seul cabinet d’avocats canadien membre d’ISDA Americas et du groupe de travail européen sur les taux de référence et il sera l’hôte du Canadian Legal IBOR Committee regroupant un groupe de banques canadiennes. À ce titre, Osler a agi comme conseiller auprès de plusieurs banques et autres participants au marché des capitaux relativement aux solutions d’évaluation du risque, de planification et de mise en œuvre liées au remplacement du TIOL.

Répercussions de la COVID-19 sur les facilités de crédit

La pandémie de COVID-19 a soulevé et continue de soulever de nombreuses difficultés pour les emprunteurs en ce qui a trait à leurs facilités de crédit existantes. Parmi ces difficultés, mentionnons 1) l’impossibilité de respecter certains engagements financiers et certaines règles sur la divulgation d’information financière, 2) le risque de violation de certaines obligations contractuelles et 3) la possibilité d’un effet défavorable important.

À ce jour, les prêteurs se sont montrés généralement assez souples à l’égard de ces problématiques. Bon nombre de prêteurs ont apporté des modifications à leurs ententes de crédit et accordé des dispenses au titre de certains engagements et de certaines règles touchés par la pandémie. Par exemple, dans le cadre de certaines opérations, les prêteurs ont accepté d’aider les emprunteurs en modifiant les exigences relatives aux ratios financiers, notamment en autorisant l’ajout des dépenses liées à la COVID-19 au BAIIDA et le report des dates limites de présentation des rapports. Dans l’ensemble, les prêteurs n’ont pas fait une interprétation audacieuse des modalités sur les effets défavorables importants dans les conventions d’emprunt. Les prêteurs n’auraient pas été avisés de faire valoir leurs droits à l’égard de toutes les facilités qui auraient pu être visés par un défaut au titre d’un effet défavorable important pendant la pandémie. 

En contrepartie de leur clémence, les prêteurs ont cependant imposé des restrictions supplémentaires. Parmi ces dernières, mentionnons a) les modalités empêchant l’accumulation d’espèces, b) le resserrement des restrictions sur les ventes d’actions, les dividendes, les distributions et les acquisitions, et c) les règles supplémentaires sur la divulgation d’information financière. Les prêteurs doivent continuer de s’assurer que les dispenses, dérogations, consentements et autres modifications qu’ils accordent à leurs emprunteurs sont temporaires et fondés sur des faits précis.

Conclusion

Les difficultés que les participants au marché ont connues cette année continueront d’évoluer en 2021. Ils devront se concentrer sur la lourde tâche qu’ils auront à accomplir relativement à la suppression du TIOL. Les emprunteurs et les prêteurs devront maintenir les canaux de communication ouverts entre eux afin de trouver des solutions qui profiteront à toutes les parties en ce qui a trait aux enjeux liés à la COVID-19. Même si la tâche n’a pas été facile, les participants au marché ont fait preuve d’une grande résilience et ont travaillé fort tout au long de 2020 pour se donner les outils nécessaires pour relever ces défis. 

Il reste à voir comment l’ensemble du marché réagira à ces préoccupations et à l’incertitude qui entoure la conjoncture. Plus particulièrement, il sera intéressant de voir si la proposition législative de l’ARRC sur le remplacement du TIOL sera adoptée aux États-Unis et si le Canada leur emboîtera le pas, en mettant en place un régime similaire.