Dans le récent budget annuel déposé le 27 mars 2018 (le budget), le ministre des Finances du Québec (le ministre) a annoncé des modifications à la Loi sur la taxe de vente du Québec qui obligeront certaines entreprises n’ayant pas de présence physique ou significative au Québec (les « fournisseurs non résidents ») à s’inscrire au régime de la TVQ pour la perception et la remise de la TVQ sur certaines fournitures effectuées aux consommateurs québécois.
Contexte et justification
Cette proposition vise principalement le commerce électronique, parce que les transactions sur Internet permettent de plus en plus aux résidents du Québec d’acquérir des biens meubles et des services auprès de fournisseurs qui n’ont pas de présence physique au Québec ou qui n’exploitent pas d’entreprise au Québec.
En vertu de la loi actuelle, les entreprises qui n’ont pas de présence physique sous forme d’établissement stable au Québec, qui n’exploitent pas d’entreprise au Québec, ne sont généralement pas tenues de s’inscrire au régime de la TVQ et ne perçoivent pas de TVQ sur les ventes qui constituent des fournitures taxables au Québec et qui sont assujetties à la TVQ en vertu de la Loi.
Pour les biens meubles corporels en provenance de l’étranger, l’Agence des services frontaliers du Canada est habilitée à percevoir la TVQ dans le cadre du processus douanier; toutefois, malgré l’accord conclu avec l’Agence des services frontaliers du Canada, le budget indique que la TVQ n’est prélevée que sur une fraction des biens ainsi apportés au Québec.
Pour les biens meubles corporels en provenance d’autres territoires canadiens, mais hors du Québec, et pour les biens meubles incorporels comme le contenu multimédia téléchargeable, le consommateur québécois a l’obligation, selon le régime actuel, de verser par autocotisation la TVQ payable. Dans les faits, le budget constate que cette obligation est très rarement respectée.
Par conséquent, le ministre a ciblé deux principales conséquences négatives que les mesures proposées cherchent à corriger :
- Il y a des pertes de recettes fiscales importantes en raison de la faible conformité des consommateurs quant à l’autocotisation de la TVQ.
- Les fournisseurs hors du Québec ont un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises québécoises, étant donné que ces dernières sont généralement tenues de percevoir et de remettre la TVQ sur les fournitures qu’elles effectuent au Québec.
Le ministre estime à 270 millions de dollars les pertes fiscales liées à la TVQ pour 2017 à l’égard de transactions en ligne avec des fournisseurs non résidents.
Les sections ci-dessous résument la proposition contenue dans le budget en ce qui a trait à la perception de la TVQ par les fournisseurs non résidents.
Inscription et perception obligatoire
Le Québec mettra en place un nouveau système d’inscription aux fins de la TVQ. Selon ce nouveau système, les fournisseurs non résidents dont la valeur des contreparties de l’ensemble des fournitures taxables effectuées à des personnes qu’il est raisonnable de considérer comme des consommateurs québécois désignés, au sens décrit ci-dessous, excédera un seuil de 30 000 $ au cours de la dernière période de 12 mois se terminant à la fin du mois précédent, seront tenus de s’inscrire selon le système d’inscription désignée.[1]
Les fournisseurs non résidents inscrits selon le système d’inscription désignée seront tenus de percevoir et de remettre la TVQ applicable aux fournitures taxables effectuées au Québec aux consommateurs québécois désignés. Cette obligation de perception s’appliquera aux fournitures de biens meubles incorporels et de services effectuées par des fournisseurs non résidents et à l’égard de fournitures de biens meubles corporels que dans la mesure où elles sont effectuées par des fournisseur non résident situé au Canada hors du Québec. Même s’ils seront inscrits en vertu du nouveau système d’inscription désignée, ces fournisseurs non résidents ne seront pas considérés comme inscrits à d’autres fins selon le régime de la TVQ et ils ne pourront pas réclamer de remboursement de taxe sur les intrants à l’égard de la TVQ versée sur les biens meubles et les services dans le cadre de leurs activités commerciales. De plus, la personne inscrite en vertu du système d’inscription générale ne pourra pas réclamer de remboursement de taxe sur les intrants à l’égard de la TVQ versée aux fournisseurs non résidents inscrits en vertu du système d’inscription désignée. Elle pourra se faire rembourser la taxe versée par erreur aux fournisseurs non résidents, mais seulement auprès des fournisseurs non résidents directement.
Si un fournisseur non résident tenu de s’inscrire selon le système d’inscription désignée respecte les exigences actuelles pour l’inscription facultative en vertu du système d’inscription générale, il pourrait choisir de s’inscrire en vertu du système d’inscription générale plutôt que du système d’inscription désignée.
De plus, un fournisseur non résident pourrait procéder à son inscription en vertu du système général plutôt que du système d’inscription désignée à condition de donner et de maintenir une sûreté d’une valeur et sous une forme satisfaisantes pour le ministre.
Les fournisseurs non résidents inscrits en vertu du système d’inscription désignée seront tenus de faire une déclaration trimestrielle, et les remises seront acceptées par paiement électronique. Le budget a annoncé que la Loi serait modifiée de façon à permettre des remises dans une autre monnaie que le dollar canadien, et le ministre pourrait, plus tard, prescrire certaines monnaies aux fins du versement de la TVQ.
Aucune présomption de fourniture hors du Québec
La Loi sera modifiée de telle sorte que certaines présomptions selon lesquelles une fourniture est effectuée hors du Québec ne s’appliqueront pas aux fournitures de biens meubles ou de services effectuées par des fournisseurs non résidents aux consommateurs québécois désignés, conformément aux modifications législatives mentionnées ci-dessus.
Consommateur québécois désigné
L’expression « consommateur québécois désigné » signifiera une personne qui n’est pas inscrite au fichier de la TVQ et dont le lieu de résidence habituelle est au Québec.
Le fournisseur non résident inscrit en vertu du système d’inscription désignée devra valider le lieu de résidence habituelle d’une personne en obtenant deux éléments d’information non contradictoires, comme l’adresse de facturation ou l’adresse personnelle de la personne, la géolocalisation de l’appareil utilisé, les coordonnées bancaires utilisées pour le paiement ou les informations provenant d’une carte SIM ou l’endroit où la ligne téléphonique fixe de la personne est fournie.
Comme le fournisseur non résident est tenu de percevoir la TVQ auprès des consommateurs québécois désignés et que la personne inscrite au régime de la TVQ ne sera pas un consommateur québécois désignéil pourrait y avoir une tension entre le fournisseur non résident et un tel consommateur quant à la perception initiale de la TVQ par le fournisseur non résident, et ainsi le consommateur québécois inscrit au régime de la TVQ devra faire une demande de remboursement de la taxe versée par erreur auprès du fournisseur non résident.
La façon d’identifier les consommateurs québécois désignés décrite dans le budget semble prendre en considération toutes les personnes situées physiquement au Québec, peu importe qu’elles soient inscrites ou non au régime de la TVQ. Les fournisseurs non résidents pourraient avoir des obligations de conformité supplémentaires à l’égard des demandes de remboursement déposées par des personnes inscrites au régime de la TVQ.
Plateformes numériques de distribution de biens et de services
L’obligation d’inscription imposée aux fournisseurs non résidents s’appliquera également aux plateformes numériques qui fournissent des services à des fournisseurs non résidents, ce qui leur permet d’effectuer des fournitures de biens meubles incorporels ou de services à des consommateurs québécois désignés, dans la mesure où la plateforme contrôle les éléments clés des transactions.
Les fournisseurs de services Internet qui ne fournissent qu’un service de transport ou les plateformes qui ne fournissent qu’un service permettant d’accéder à un système de paiement ou qu’un service de publicité informant les clients et comportant un lien vers le site Web du fournisseur ne seront pas considérés comme ayant le contrôle des éléments clés des transactions et ne seront pas soumis à la nouvelle obligation d’inscription imposée aux plateformes numériques.
Les mêmes obligations qui incombent aux fournisseurs non résidents s’appliqueront aux plateformes numériques inscrites en vertu du système d’inscription désignée. Une plateforme numérique qui est déjà inscrite au régime de la TVQ en vertu du système d’inscription générale ne sera pas tenue de s’inscrire en vertu du système d’inscription désignée, mais elle devra percevoir et verser de la TVQ à l’égard des fournitures taxables qu’elle permet à des fournisseurs non résidents d’effectuer à des consommateurs québécois désignés.
Date d’entrée en vigueur et période de grâce
Ces mesures entreront en vigueur le 1er janvier 2019 pour ce qui est des fournisseurs non résidents à l’extérieur du Canada et des plateformes numériques qui permettent à de tels fournisseurs d’effectuer des fournitures au Québec à des consommateurs québécois désignés, et le 1er septembre 2019 pour ce qui est des fournisseurs non résidents situés au Canada hors du Québec et des plateformes numériques qui permettent à de tels fournisseurs d’effectuer des fournitures au Québec à des consommateurs québécois désignés.
Pendant les 12 mois suivant la date de la demande d’inscription, lorsqu’un fournisseur non résident démontrera qu’il a pris des mesures raisonnables afin de respecter les nouvelles obligations qui lui incombent, et que, malgré cela, il n’arrive pas à respecter ces obligations, Revenu Québec accompagnera ce fournisseur pour l’aider à se conformer, et aucune pénalité ne sera appliquée.
Après cette période de 12 mois, les pénalités prévues par la législation fiscale actuelle seront appliquées en cas de non-conformité.
Pénalités en cas de fausses informations sur le statut de consommateur québécois désigné
Un acquéreur de biens meubles ou de services auprès d’un fournisseur non résident inscrit en vertu du système d’inscription désignée qui prétendra ne pas être un consommateur québécois désigné en fournissant des informations erronées dans le but d’éluder le paiement de la TVQ encourra une pénalité pour chaque transaction, qui correspondra au plus élevé de 100 $ ou 50 % de la TVQ payable sur la transaction.
Le budget ne formule pas de propositions techniques particulières à l’égard de ces mesures.
Il faudra donc attendre la publication des propositions législatives par le gouvernement du Québec pour procéder à une analyse technique des modifications proposées. Comme ces mesures sont prévues pour 2019, on peut s’attendre à ce qu’au moins un projet de loi soit publié avant l’entrée en vigueur de ces mesures. Le budget a indiqué que les modifications législatives seront rapidement déposées à l’Assemblée nationale. Cependant, des élections provinciales auront lieu au Québec l’automne prochain, ce qui pourrait retarder le dépôt d’un projet de loi relativement à ces modifications législatives.
Si vous avez des questions sur le budget 2018 du Québec, veuillez communiquer avec les membres suivants de l’équipe de fiscalité d’Osler :
Alain Fournier [email protected] 514 904-5390
Alan Kenigsberg [email protected] 416 862-6659
Marlene Legare [email protected] 416 862-4603
Marc Roy [email protected] 514 904-5775
D’Arcy Schieman [email protected] 416 862-5977
[1] Comme il est expliqué plus en détail dans le présent document, un consommateur québécois désigné ne peut être une personne inscrite aux fins de la TVQ.