Les commissions des valeurs mobilières appelées à trancher l’OPA hostile d’Aurora de CanniMed

8 Jan 2018 8 MIN DE LECTURE

Aperçu

Le 22 décembre 2017, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et la Financial and Consumer Affairs Authority of Saskatchewan (la FCAAS et, ensemble avec la CVMO, les « Commissions ») ont ordonné une interdiction d’opérations à l’égard du régime de droits des actionnaires adopté par CanniMed Therapeutics Inc. (CanniMed) en réponse à une offre publique d’achat non sollicitée de la part d’Aurora Cannabis Inc. (Aurora). Cette ordonnance fait suite à une audience menée conjointement par les Commissions et représente la première décision concernant une « pilule empoisonnée » prise par des commissions des valeurs mobilières canadiennes aux termes du nouveau régime des offres publiques d’achat, adopté à la grandeur du Canada en mai 2016 (le « nouveau régime des OPA »). L’ordonnance (et, plus important encore, les motifs détaillés qui suivront) revêt un grand intérêt pour les participants au marché compte tenu de l’évolution du contexte canadien des offres publiques d’achat.

Chronologie des événements

14 novembre 2017 – Aurora publie un communiqué annonçant le dépôt d’une proposition auprès du conseil d’administration de CanniMed en vue d’acquérir la totalité des actions ordinaires émises et en circulation de CanniMed.

17 novembre 2017 – CanniMed et Newstrike Resources Ltd. (Newstrike) annoncent la conclusion d’une entente d’acquisition amicale aux termes de laquelle CanniMed acquerrait la totalité des actions en circulation de Newstrike. L’opération envisagée se ferait au moyen d’un plan d’arrangement aux termes duquel les actionnaires de Newstrike recevraient des actions de CanniMed en contrepartie de leurs actions de Newstrike. La réalisation de l’opération serait assujettie à l’approbation des actionnaires des deux sociétés.

24 novembre 2017 – Aurora annonce qu’elle a officiellement présenté une offre publique d’achat non sollicitée aux termes de laquelle elle offre d’acheter la totalité des actions ordinaires émises et en circulation de CanniMed à la condition, entre autres, que CanniMed renonce à son projet d’acquisition de Newstrike (l’« offre d’Aurora »).

28 novembre 2017 – CanniMed annonce qu’elle a adopté un régime de droits des actionnaires (le « régime de droits »). Le régime de droits empêche Aurora d’acquérir d’autres actions de CanniMed que celles présentées dans le cadre de l’offre d’Aurora ou de conclure de nouvelles conventions de dépôt relatives à l’offre d’Aurora.

4 décembre 2017 – Aurora demande aux Commissions d’interdire les opérations à l’égard du régime de droits de CanniMed et d’abréger le délai minimal de dépôt de son offre de 105 à 35 jours.

11 décembre 2017 – CanniMed demande aux Commissions d’interdire à Aurora d’acheter une tranche supplémentaire de 5 % des actions de CanniMed, et le comité spécial d’administrateurs indépendants de CanniMed (le « comité spécial ») demande aux Commissions d’ordonner que certains actionnaires ayant conclu des conventions de dépôt relatives à l’offre d’Aurora (les « actionnaires assujettis à une convention de dépôt ») soient réputés être des « personnes agissant de concert » avec Aurora.

Questions que devaient trancher les Commissions

1. Le délai minimal de dépôt de 105 jours de l’offre d’Aurora devrait-il être réduit?

Aurora a demandé une dispense de l’obligation de dépôt minimal de 105 jours en vertu du nouveau régime des OPA. Si elle est accordée, la dispense réduirait la période minimale de dépôt à au moins 35 jours à compter de la date de l’offre. Le nouveau régime des OPA raccourcit le délai minimal de dépôt de 105 jours dans les cas où l’émetteur visé publie un communiqué annonçant son intention de conclure une « opération de remplacement » (une opération de changement de contrôle amicale qui n’est pas une offre, comme un arrangement). Même si l’opération de Newstrike ne respectait pas la définition technique d’« opération de remplacement » en vertu du nouveau régime des OPA, Aurora a fait valoir que l’opération de CanniMed avec Newstrike devait quand même être considérée comme une « opération de remplacement », ce qui permettrait à Aurora de réduire à 35 jours la période de dépôt de l’offre d’Aurora. Les Commissions ont rejeté la demande d’Aurora d’abréger le délai minimal de dépôt de 105 jours.

2. Les Commissions devraient-elles interdire les opérations à l’égard du régime de droits?

Avant le nouveau régime des OPA, les émetteurs canadiens utilisaient les régimes de droits des actionnaires pour prolonger le délai minimal de dépôt de 35 jours. Ces régimes de droits des actionnaires ont, par le passé, fait l’objet d’une interdiction d’opérations par les commissions des valeurs mobilières dans les 50 à 70 jours suivant le lancement d’une offre (bien qu’on ait vu des variations considérables dans certaines décisions). En vertu du nouveau régime des OPA, les émetteurs visés disposent de 105 jours pour répondre à une offre non sollicitée, soit plus que le délai qu’accordaient auparavant les commissions des valeurs mobilières aux émetteurs canadiens avant d’interdire les opérations à l’égard d’un régime de droits. En prolongeant le délai minimal de dépôt à 105 jours, le nouveau régime des OPA cherche à dissuader les émetteurs d’adopter des régimes de droits des actionnaires tactiques à d’autres fins que de se protéger contre les « prises de contrôle rampantes » (comme les offres qui sont faites dans le cadre de dispenses pour achats dans le cours normal des activités ou aux termes de contrats de gré à gré) et de prévenir les conventions de dépôt. Au moment de l’entrée en vigueur du nouveau régime des OPA, on s’attendait à ce que les commissions des valeurs mobilières soient moins tolérantes envers les régimes de droits tactiques. En interdisant les opérations à l’égard du régime de droits de CanniMed, les Commissions ont satisfait à cette attente et indiquent que les régimes tactiques joueront un rôle moins important dans le cadre du nouveau régime des OPA.

3. Devrait-on interdire à Aurora d’acquérir une nouvelle tranche de 5 % des titres?

Il est généralement interdit à un initiateur ayant présenté une offre publique d’achat d’acquérir des titres supplémentaires faisant l’objet d’une offre. Une exception limitée à cette interdiction permet à un initiateur d’acheter jusqu’à 5 % des titres en circulation de la société visée sous réserve de certaines conditions (la « dispense de 5 % »). Selon CanniMed, Aurora ne devrait pas être autorisée à se prévaloir de la dispense de 5 % parce que toute nouvelle acquisition par Aurora, lorsque considérée avec les actions détenues par les actionnaires assujettis à une convention de dépôt, limiterait la possibilité de réaliser une opération plus avantageuse pour les actionnaires de CanniMed que l’offre d’Aurora. Cet argument n’a pas convaincu les Commissions, et l’ordonnance n’a pas empêché Aurora de se prévaloir de la dispense de 5 %.

4. Aurora et les actionnaires assujettis à une convention de dépôt sont-ils des « personnes agissant de concert »?

Le comité spécial a fait valoir que les actionnaires assujettis à une convention de dépôt avaient joué un rôle crucial dans la planification, la promotion et la structure de l’offre d’Aurora et qu’ils avaient agi de concert avec Aurora pour présenter l’offre d’Aurora. S’il devait être établi qu’un actionnaire assujetti à une convention de dépôt agit de concert avec Aurora à l’égard de l’offre d’Aurora, les incidences seraient multiples, notamment : a) les actions détenues par les « personnes agissant de concert » seraient exclues de l’obligation de dépôt minimal de plus de 50 % des titres; et b) les droits de vote liés aux actions détenues par les « personnes agissant de concert » seraient exclus de toute approbation par les porteurs minoritaires d’une opération d’acquisition subséquente. De plus, l’offre d’Aurora serait également considérée comme une « offre publique faite par un initié » assujettie à des exigences plus rigoureuses en matière de divulgation ainsi qu’à une évaluation officielle. Les Commissions n’ont pas dévoilé dans l’ordonnance leur conclusion quant à savoir si Aurora et les actionnaires assujettis à une convention de dépôt étaient des « personnes agissant de concert », mais elles ont tout de même ordonné à Aurora de fournir des informations supplémentaires afin de préciser ces relations.

Mot de conclusion

Cette première ordonnance concernant une pilule empoisonnée en vertu du nouveau régime des OPA semble indiquer que les Commissions seront dorénavant moins enclines à tolérer les régimes de droits tactiques et à participer à des offres non sollicitées. Un autre bulletin Actualités d’Osler suivra lorsque les Commissions auront rendu les motifs de leur décision.