Campagne des demandeurs en vue de contourner les protections prévues par la Loi sur les valeurs mobilières relativement aux recours collectifs contre les émetteurs et les preneurs fermes

6 Déc 2016 9 MIN DE LECTURE

En 2016, les demandeurs ont poursuivi leurs tentatives d’éluder les protections offertes aux défendeurs aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario contre les poursuites liées au marché secondaire. La plupart de ces tentatives ont échoué, et les protections offertes aux défendeurs contre les recours collectifs en valeurs mobilières dénués de fondement demeurent relativement solides.

Tentatives des demandeurs de miner les mesures de protection prévues par la loi

Le droit des investisseurs sur le marché secondaire d’intenter une action en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario repose sur un équilibre entre divers intérêts et comprend des mesures de protection – comme un stade d’autorisation qui repose sur le bien-fondé de l’action et des limites de responsabilité – conçues pour protéger les émetteurs et les autres défendeurs contre les poursuites dénuées de fondement et une responsabilité pouvant s’avérer dévastatrice.

Ces dernières années, les progrès les plus importants ayant trait aux recours collectifs en valeurs mobilières s’articulaient sur le critère d’autorisation pour intenter une action liée au marché secondaire. L’interprétation de ce critère a été en grande partie tranchée par les décisions rendues en 2015 par la Cour suprême du Canada dans les affaires Theratechnologies et CIBC.

Par conséquent, les développements survenus en 2016 traitaient d’autres questions découlant des tentatives créatives des demandeurs de miner les protections prévues par la Loi sur les valeurs mobilières. Ces tentatives ont connu très peu de succès. Plusieurs décisions rendues en 2016 devraient donner à bon nombre de participants au marché la confiance que les tribunaux de l’Ontario sont disposés à reconnaître et à maintenir les protections durement obtenues et maintenant enchâssées dans la partie XXIII.1.

Plus particulièrement, les avocats des demandeurs ont cherché à éluder les protections prévues par la loi en :

  1. tentant d’introduire des poursuites pour le compte d’investisseurs du marché secondaire en se prévalant du droit d’action réservé aux investisseurs du marché primaire, ce dernier droit d’action n’étant pas assorti des mêmes protections pour les émetteurs et les autres participants au marché;
  2. tentant d’intenter des poursuites contre les preneurs fermes en se prévalant du droit d’action attribué aux investisseurs du marché secondaire, ce qui pourrait exposer les preneurs fermes à une responsabilité beaucoup plus grande;
  3. tentant d’intenter des poursuites liées au marché secondaire contre des défendeurs moins conventionnels, comme des banques d’investissement, du fait que ces défendeurs seraient des « personnes influentes ».

Droit d’action lié au marché primaire et droit d’action lié au marché secondaire

Le droit d’action lié au marché primaire concerne principalement les déclarations inexactes affectant le prix des titres émis aux termes, par exemple, d’un prospectus (partie XXIII de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario).

Le droit d’action lié au marché secondaire concerne principalement les déclarations inexactes découlant des obligations d’information continue d’un émetteur et affectant le prix de titres achetés ou vendus sur le marché secondaire (partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario). La partie XXIII.1 prévoit certaines mesures de protection pour les défendeurs visés par des poursuites liées au marché secondaire, notamment l’exigence pour les demandeurs d’obtenir une autorisation du tribunal avant d’intenter une action, de même que des limites de responsabilité.

Dans deux récentes décisions, les tribunaux de l’Ontario ont confirmé la distinction cruciale entre les deux droits d’action et ont rejeté les tentatives des demandeurs d’éluder les protections applicables respectivement à chacun de ces droits d’action.

Dans l’affaire Rooney c. ArcelorMittal SA, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que les porteurs de titres qui sont en présence d’une offre publique d’achat et qui vendent des actions sur le marché secondaire ne peuvent pas intenter une action liée au marché primaire en vertu de la partie XXIII alléguant une déclaration inexacte des faits dans une circulaire d’offre d’achat.

Dans l’affaire LBP Holdings c. Allied Nevada Gold Corp., la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la tentative du demandeur d’intenter une poursuite liée au marché secondaire contre les preneurs fermes relativement à une prétendue déclaration inexacte contenue dans un document de placement. Le juge Belobaba a conclu que les preneurs fermes ne pouvaient être tenus responsables à titre d’« experts » dans une poursuite liée au marché secondaire aux termes de la partie XXIII.1. La Loi sur les valeurs mobilières fait la distinction entre les experts et les preneurs fermes, et la partie XXIII (réclamations liées au marché primaire) fournit un « code complet » pour la responsabilité des preneurs fermes.

Les banques d’investissement à titre de promoteurs – « quelque chose de plus » est nécessaire

Les avocats des demandeurs ont aussi essayé d’intenter des poursuites contre des défendeurs moins conventionnels, plus particulièrement lorsque l’émetteur est insolvable ou risque de le devenir.

Dans l’affaire Goldsmith c. Banque Nationale du Canada, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé les limites importantes de la responsabilité des banques d’investissement et des autres conseillers. Le tribunal a refusé d’élargir le sens du terme « promoteur » dans la partie XXIII.1 (réclamations liées au marché secondaire) pour couvrir les services bancaires classiques et les services de conseil.

Aux termes de la partie XXIII.1, un droit d’action pour une présumée déclaration inexacte des faits est possible contre un promoteur qui a « sciemment incité » l’émetteur ou ses administrateurs et dirigeants à publier un document contenant une déclaration, par exemple, ou à manquer à une obligation d’information occasionnelle. Le tribunal a jugé que, pour répondre à la définition de « promoteur », une personne ou une entité devait jouer un rôle de premier plan dans l’organisation ou la réorganisation de la société. Ainsi, la personne doit être active et autonome et avoir un contrôle considérable. Le seul fait de conseiller les décideurs de la société ne suffit pas, et ce, quelle que soit l’importance des conseils. Selon la Cour d’appel, « quelque chose de plus » qu’un avis et des services bancaires est nécessaire pour qu’un participant au marché financier comme la Banque Nationale soit qualifié de « promoteur ».

Défense fondée sur l’enquête raisonnable

Il reste à déterminer le niveau de preuve nécessaire pour disposer des poursuites dénuées de fondement liées au marché secondaire à une étape préliminaire – par exemple, à l’étape de l’autorisation – en établissant une défense prévue par la loi, comme la défense fondée sur l’enquête raisonnable aux termes de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario.

Dans l’affaire Rahimi c. SouthGobi Resources, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a jugé que les administrateurs et dirigeants défendeurs avaient procédé à une enquête raisonnable, notamment en se fiant à l’opinion des auditeurs de la société. Par conséquent, la Cour a rejeté la requête en autorisation du demandeur d’intenter une poursuite liée au marché secondaire contre les administrateurs et les dirigeants, mais a autorisé le demandeur à intenter son recours contre l’émetteur. Le tribunal a jugé que l’émetteur, qui avait retraité ses états financiers et admis la faiblesse de ses contrôles internes, n’avait pas satisfait au seuil requis pour constituer la défense fondée sur l’enquête raisonnable à l’étape de l’autorisation.

En mai 2016, l’émetteur a été autorisé à interjeter appel auprès de la Cour divisionnaire, puisqu’il y avait un motif de douter de l’exactitude de la décision. Plus particulièrement, le juge Stewart a affirmé que, si les âmes dirigeantes de l’émetteur avaient procédé à une enquête raisonnable, alors l’émetteur devait avoir lui aussi procédé à une enquête raisonnable. Les avocats agissant en défense surveillent étroitement le dénouement de cet appel. Si le tribunal confirme que, dans certains cas, l’émetteur pourra établir une défense fondée sur l’enquête raisonnable sur la base d’une preuve présentée à l’étape de l’autorisation, et ce, malgré la norme moins élevée de « possibilité raisonnable de succès », il s’agirait d’un puissant outil pour les défendeurs cherchant à faire rejeter des poursuites dénuées de fondement à une étape préliminaire.

D’autres développements en 2017 et dans les années suivantes pourraient avoir une incidence sur la question de savoir s’il est suffisant ou non de se fier à l’opinion des auditeurs pour constituer la défense fondée sur l’enquête raisonnable – et ce que les conseils d’administration devraient faire pour préparer les bases de cette défense. L’appel auprès de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Livent pourrait clarifier des questions relativement aux normes d’audit et au processus d’audit. Il y aura certainement davantage de poursuites et de précisions entourant l’application de la défense fondée sur l’enquête raisonnable dans un contexte où on s’appuie sur l’opinion des auditeurs.

Conclusion

Même si les recours collectifs en valeurs mobilières demeurent un risque considérable pour les émetteurs et pour d’autres, les participants au marché ont des raisons d’être optimistes quant au fait que les tribunaux de l’Ontario ont, en général, reconnu les protections prévues par la partie XXIII.1, y compris une véritable étape d’autorisation et des défenses prévues par la loi.