Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières proposent un cadre de réglementation pour les appels publics à l’épargne visant des fonds de couverture

20 Oct 2016 12 MIN DE LECTURE

Le 22 septembre 2016, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié l’Avis de consultation Modernisation de la réglementation des produits de fonds d’investissement – Fonds alternatifs (la « proposition »). La proposition établit un cadre de réglementation des « fonds alternatifs » (communément appelés « fonds de couverture ») offerts aux investisseurs individuels en proposant une série de modifications au Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement (le « Règlement 81-102 »), qui régit actuellement les organismes de placement collectif (OPC) et les fonds d’investissement à capital fixe faisant publiquement appel à l’épargne au Canada. La proposition permettrait aux gestionnaires de fonds de couverture d’offrir des fonds alternatifs aux investisseurs individuels par voie de prospectus ordinaire.

Bien qu’elle porte essentiellement sur les fonds alternatifs, la proposition comprend aussi des dispositions qui auront une incidence sur d’autres types d’OPC (comme les OPC conventionnels et les fonds négociés en bourse), ainsi que les fonds d’investissement à capital fixe, en modifiant les restrictions en matière de placement prévues dans le Règlement 81-102 en ce qui concerne les placements dans des marchandises physiques, d'autres fonds d’investissement et des actifs non liquides. En vertu de la proposition, le Règlement 81-104 sur les fonds marché à terme (le « Règlement 81-104 »), qui régit les fonds de contrats de marchandises comme les fonds aurifères et les fonds de métaux précieux, serait abrogé puisque ces types de fonds seraient dorénavant régis par le Règlement 81-102. La proposition prévoit une période de transition de six mois pour permettre aux fonds d’investissement existants de se conformer aux nouvelles exigences.

En quoi consistent les fonds alternatifs?

Les fonds alternatifs utilisent des stratégies qui ne sont généralement pas autorisées pour les OPC, comme la vente à découvert, les emprunts, les placements dans des actifs non liquides et la concentration des investissements dans un petit nombre d’émetteurs. C’est pourquoi les fonds alternatifs ne procurent généralement pas de liquidité quotidienne. Au lieu de cela, les placements sont souvent assujettis à une période de blocage initiale (d’un an ou deux, en général), après quoi les fonds alternatifs peuvent être rachetés sur une base mensuelle ou trimestrielle, dans certains cas jusqu’à concurrence d’une certaine limite (exprimée en pourcentage du placement pouvant être racheté à chaque date de rachat).

En raison de la complexité de leur stratégie et de leur liquidité réduite, les fonds alternatifs ont toujours été considérés comme étant trop risqués pour les investisseurs individuels, comparativement aux OPC « sûrs » traditionnels, qui maintiennent des portefeuilles généralement diversifiés, en position acheteur uniquement, de titres cotés en bourse et qui procurent une liquidité quotidienne. Les fonds alternatifs ont toujours été la chasse gardée d’investisseurs institutionnels avertis capables d’absorber la perte totale de leur placement et n’ayant pas besoin d’un accès immédiat aux fonds investis. Les choses ont commencé à changer après la crise financière de 2008, lorsque les professionnels des placements et les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont pris conscience du rôle important que les fonds alternatifs pouvaient jouer dans la gestion du risque dans l'ensemble des portefeuilles de placement en offrant une exposition à des catégories d’actif non traditionnelles et en utilisant des stratégies de couverture visant à n’avoir aucune corrélation avec les rendements des marchés boursiers.

Proposition concernant les fonds alternatifs

Les ACVM ont d’abord proposé un cadre de réglementation des fonds alternatifs en mars 2013 dans le cadre de la phase 2 du projet de modernisation des fonds d’investissement, en élargissant la portée du Règlement 81-104.  Dans cette première proposition, les ACVM sollicitaient des commentaires sur les conventions de désignation, les normes de compétence exigées des représentants de courtier et les restrictions en matière de placement, ainsi que les stratégies de placement et les catégories d’actifs qui devraient s’appliquer aux fonds alternatifs faisant publiquement appel à l’épargne. La proposition initiale était très novatrice, et les ACVM ont finalement décidé de reporter l’examen des fonds alternatifs à la deuxième étape de la phase 2 du projet de modernisation des fonds d'investissement.

Après la publication d’une brève mise à jour en février 2015, qui décrivait les résultats du processus de consultation sur les fonds alternatifs, la proposition a récemment été publiée pour une période de commentaires de 90 jours prenant fin le 22 décembre 2016. La proposition cherche à concilier l’objectif de permettre aux investisseurs individuels d’investir dans une autre catégorie d’actifs dynamique et de plus en plus populaire et celui de préserver certaines garanties visant à protéger les investisseurs.

Les gestionnaires de fonds continueront de pouvoir offrir des fonds de couverture sur le marché dispensé aux mêmes conditions qu’avant. Toutefois, les gestionnaires qui souhaitent offrir des fonds de couverture en faisant des  appels publics à l’épargne auprès d'investisseurs individuels devront se conformer aux règles applicables aux fonds alternatifs décrites dans la proposition.

Restrictions en matière de placement applicables aux fonds alternatifs

La proposition offre une certaine latitude pour que les fonds alternatifs puissent utiliser les stratégies de placement qu'ils utilisent actuellement sur le marché dispensé. Le tableau suivant indique les différences proposées au niveau des principales restrictions en matière de placement applicables aux OPC et aux fonds alternatifs.

 

OPC

Fonds alternatifs

Restriction en matière de concentration

Maximum de 10 % de la valeur liquidative investie dans les titres d’un même émetteur

Maximum de 20 % de la valeur liquidative investie dans les titres d’un même émetteur

Placements dans des actifs non liquides

Maximum de 10 % de la valeur liquidative au moment de l’achat

Maximum de 10 %* de la valeur liquidative au moment de l’achat

 

Maximum de 15 % de la valeur liquidative pendant 90 jours ou plus

Maximum de 15 %* de la valeur liquidative pendant 90 jours ou plus

Emprunt

5 % de la valeur liquidative au moment de l’emprunt, à des fins limitées

50 % de la valeur liquidative à toutes les fins, y compris les placements de portefeuille

Vente à découvert

Maximum de 5 % de la valeur liquidative dans un même émetteur

Maximum de 10 % de la valeur liquidative dans un même émetteur

 

Maximum de 20 % de la valeur liquidative de tous les titres vendus à découvert

Maximum de 50 % de la valeur liquidative de tous les titres vendus à découvert

* Les ACVM se demandent s'il y a lieu d'autoriser les fonds alternatifs à investir un plus grand pourcentage de la valeur liquidative dans des actifs non liquides, en étant conscientes que cela influencera la fréquence des rachats.

La proposition prévoit des mesures de l’effet de levier total pour les fonds alternatifs, tout en sollicitant des commentaires sur la façon dont on devrait mesurer l’effet de levier. Par exemple, la proposition interdit à un fonds alternatif d’investir à tout moment plus de 50 % de sa valeur liquidative au moyen de ventes à découvert et d’emprunts, et propose que l’exposition brute globale du fonds alternatif découlant des emprunts, des ventes à découvert ou de l’utilisation de dérivés visés ne dépasse pas trois fois la valeur liquidative de celui-ci, y compris les opérations de couverture. Les ACVM aimeraient connaître l’avis des intervenants sur l’opportunité d’autoriser les opérations de compensation ou de couverture pour réduire l’effet de levier mesuré, et sur la possibilité d’utiliser d’autres méthodes de calcul de l’effet de levier qui tiendraient mieux compte du risque associé au fonds.

La proposition n’impose pas de limites aux fonds alternatifs en ce qui concerne la négociation de « dérivés visés compensés » inscrits auprès d’une chambre de compensation réglementée du Canada, des États-Unis ou d’Europe. Il n’y a pas non plus de restriction quant au type de contrepartie avec lequel un fonds alternatif peut négocier des dérivés de gré à gré, sous réserve d’une limite d’exposition, évaluée à la valeur du marché, à toute contrepartie de 10 % de la valeur liquidative.

La proposition soumet les fonds alternatifs aux mêmes restrictions sur les placements dans des fonds que celles qui s’appliquent aux OPC, notamment l’obligation pour le fonds sous-jacent de respecter le Règlement 81-102 et d’être un émetteur assujetti dans le territoire. Ces restrictions empêcheraient les fonds alternatifs d’investir dans des fonds de couverture privés ou étrangers, y compris dans une structure « fonds maître-fonds nourricier », courante dans les fonds spéculatifs mondiaux visant à procurer une exposition aux meilleurs gestionnaires internationaux au niveau du fonds maître, tout en respectant les exigences fiscales et réglementaires locales au niveau du fonds nourricier.

Protections des investisseurs

Même si la proposition permet aux fonds alternatifs d’adopter des stratégies de placement non traditionnelles, elle impose les mêmes exigences de protection des investisseurs que celles qui s’appliquent à tous les fonds d’investissement faisant publiquement appel à l’épargne. Les fonds alternatifs seront tenus de déposer un prospectus et de publier le document d’aperçu du fonds au moment de la souscription dans la forme prescrite. Ces normes d’information à fournir sont plus strictes que les notices d’offre non réglementées et les présentations aux investisseurs aux termes desquelles les fonds de couverture sont offerts sur le marché dispensé. Même si de nombreux fonds de couverture privés domiciliés au Canada respectent déjà les exigences de préparation d’états financiers annuels audités et d’états financiers semestriels non audités, les fonds alternatifs devront rendre ces états financiers publics, y compris les Inventaires du portefeuille, qui assurent une transparence au niveau des positions.

En outre, les fonds alternatifs devront accorder des droits d’approbation aux porteurs de titres à l'égard de certains changements fondamentaux, et se conformer aux exigences connexes relatives aux assemblées et à l’information à fournir, ainsi qu'aux restrictions entourant les communications publicitaires et les déclarations interdites qui s'appliquent aux OPC. Bien que ces protections destinées aux investisseurs imposeront des obligations réglementaires additionnelles aux gestionnaires de fonds de couverture, nous croyons que de nombreux gestionnaires canadiens auront les ressources nécessaires au chapitre de la conformité pour satisfaire ces exigences, parce qu’ils sont déjà assujettis au régime d’inscription des conseillers et des gestionnaires de fonds d’investissement.

Relation avec les obligations de convenance actuelles et proposées

Les propositions sollicitent des commentaires entourant les types d'exigences de formation supplémentaires qui devraient s’appliquer aux représentants de courtier qui vendent des fonds alternatifs. Les ACVM indiquent qu’elles travaillent avec l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (MFDA) sur cette question, mais elles n’entendent pas s’immiscer dans les exigences qui s’appliquent actuellement aux représentants de courtier qui vendent des fonds de couverture sur la plateforme de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). 

Même avec une formation supplémentaire, il sera toujours difficile pour les courtiers d’élaborer et d’appliquer un ensemble uniforme de règles de « connaissance du client » et de « connaissance du produit » lorsqu’il s’agit de déterminer la convenance d’un fonds alternatif pour le portefeuille d’un client. Les stratégies des fonds alternatifs sont complexes et ont toujours été perçues comme étant plus risquées; toutefois, le secteur reconnaît maintenant que les placements dans les fonds alternatifs peuvent servir à réduire le risque des portefeuilles. Étant donné ce profil de risque particulier, il est peu probable que l’échelle de tolérance au risque de base incluse dans la plupart des formulaires de connaissance du client soit adéquate. De plus, bien que les fonds alternatifs soient regroupés dans une seule et même catégorie d’actifs aux fins de la proposition, leurs objectifs de placement, leurs stratégies et leurs portefeuilles de placements sous-jacents sont très diversifiés. Il pourrait être trop simpliste, dans certains cas, d’affecter une part de la composition de l’actif d’un client aux « placements alternatifs », et préférable d’affecter une certaine part de fonds alternatifs à l'intérieur de chaque catégorie d’actifs lorsque cela est indiqué. Un examen continu des facteurs de marché « macro » et de la situation particulière du client sera nécessaire pour déterminer la convenance d’un fonds alternatif ou d’une stratégie.

Lorsqu’ils chercheront à relever les défis posés par les fonds alternatifs en matière de « connaissance du client », de « connaissance du produit » et de convenance, les membres de l’OCRCVM et de la MFDA tiendront sans doute compte des réformes ciblées proposées à l'égard de ces exigences dans le Document de consultation 33-404 des ACVM : Propositions de rehaussement des obligations des conseillers, des courtiers et des représentants envers leurs clients.  Le document de consultation présente de nouvelles directives à l’intention des courtiers sur la préparation de leurs listes de produits approuvés, qui sont conçues de manière à donner aux investisseurs l'accès à une gamme de placements convenables, y compris au moyen d'une enquête de marché équitable et impartiale, d'une comparaison des produits et d'une analyse de l’optimisation des produits fondée sur les besoins et les objectifs des clients. Compte tenu de ces nouvelles exigences liées à leurs gammes de produits existants, la proposition n’entraînera pas nécessairement une grande exposition des investisseurs individuels à la nouvelle catégorie d’actif des fonds spéculatifs.