Un mois après la décision rendue le 19 mai 2016 par la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans l'affaire Redwater Energy Corporation (Re), 2016 ABQB 278 (« Redwater »), l'Alberta Energy Regulator (l'« AER ») a publié le Bulletin 2016-16 (le « Bulletin »). L'AER (et l'Orphan Well Association) a interjeté appel de la décision Redwater devant la Cour d'appel de l'Alberta, où l'affaire est en instance. En date du 20 juin 2016, des modifications importantes ont été apportées aux exigences de transfert visant les titulaires de licence ainsi qu'à l'admissibilité des titulaires de licence. Les modifications visaient à minimiser les risques pour les Albertains découlant des répercussions de la décision Redwater, alors que l'AER et le gouvernement de l'Alberta travaillent en vue d'élaborer les mesures réglementaires appropriées pour régler de façon plus permanente les enjeux soulevés par la décision Redwater. Entre-temps, les répercussions sont profondes sur un secteur qui digère encore l'affaire Redwater.
Contexte
Les aspects de l'affaire Redwater qui sont les plus pertinents au Bulletin comprennent la décision voulant qu'un syndic a le droit de renoncer aux actifs et à se dégager de toute responsabilité quant aux coûts de l'abandon, de l'assainissement et de la remise en état. Puisqu'il n'est pas possible de se conformer à la fois à la loi intitulée Oil and Gas Conservation Act à la loi intitulée Pipeline Act et au régime fédéral en matière d'insolvabilité (plus particulièrement le paragraphe 14.06(4) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « LFI »), les ordonnances d'abandon rendues en vertu de la législation provinciale sont inopérantes relativement aux ordonnances d'exécution visant les actifs auxquels on a renoncé. Pour en savoir davantage sur la décision Redwater, consultez notre bulletin antérieur intitulé « Conséquences de la décision Redwater : à qui échoit la responsabilité? ».
L'AER a résumé les répercussions de la décision Redwater en affirmant qu'elle permettait aux séquestres et syndics [traduction] « d'éviter les obligations de fin de vie » en renonçant aux actifs sous licence de l'AER [traduction] « afin d'éviter les obligations d'abandon et de remise en état que comportent normalement les licences de l'AER » (Public Statement 2016-01 de l'AER). La plupart des intervenants conviennent que la décision Redwater crée un risque considérable d'augmentation importante du nombre d'actifs sous licence de l'AER qui seront abandonnés et qui deviendront par la suite la responsabilité de l'Orphan Well Fund, financé par le secteur.
Les effets du Bulletin 2016-16
Les mesures provisoires prises par l'AER dans le Bulletin sont les suivantes :
- Examen plus minutieux de l'admissibilité du titulaire de licence : Toutes les demandes d'admissibilité à une licence aux termes de la Directive 067: Applying for Approval to Hold EUB Licenses seront évaluées et traitées de manière non routinière, et l'AER peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande ou d'imposer des conditions à l'approbation de l'admissibilité à une licence.
- Réexamen de l'admissibilité au moment du transfert de la licence : L'AER peut réexaminer l'admissibilité à une licence d'approbations existantes de l'admissibilité à une licence qui n'avaient pas été utilisées avant d'approuver le transfert de la licence et d'autres demandes.
- Hausse de la notation relative au passif requise pour les cessionnaires : L'AER exigera maintenant que tous les cessionnaires aient une notation de la gestion du passif (« NGP ») d'au moins 2,0 immédiatement après l'acquisition des actifs visés par une licence de l'AER à titre de condition au transfert de licences, d'approbations et de permis existants de l'AER.
La NGP est un ratio des actifs réputés par rapport au passif calculé conformément aux directives de l'AER. Pour expliquer la hausse de la NGP minimale de 1,0 à 2,0, l'AER a indiqué que des titulaires de licence qui répondaient à l'ancien critère, soit une NGP d'au moins 1,0, ont acquis des actifs sous licence, dans certaines circonstances, et se sont retrouvés dans une situation financière difficile dans les semaines ou les mois qui ont suivi l'acquisition. L'AER suggère que les titulaires de licence peuvent répondre au nouveau critère, soit une NGP d'au moins 2,0, en donnant une garantie, en s'acquittant de leurs obligations d'abandon existantes ou en transférant d'autres actifs.
Les conséquences du Bulletin 2016-16
Les conséquences du Bulletin 2016-16 sont considérables et comprennent :
- Retards dans l'approbation des licences. Compte tenu de la communication de l'AER, selon laquelle elle allait traiter les demandes d'admissibilité de licence de manière « non routinière », cela causera probablement des retards dans l'approbation des demandes, ajoutera possiblement des conditions supplémentaires à ces approbations et prolongera les périodes de clôture d'opérations si les actifs sont vendus à une nouvelle société qui n'a pas de licence en Alberta. Les nouvelles sociétés qui répondent au critère d'admissibilité mais qui n'ont pas encore acquis d'actifs sous licence de l'AER devront mettre à jour leurs renseignements afin d'établir leur situation actuelle. On ne connaît pas encore l'incidence qu'auront les changements d'assurance, d'administrateurs, de dirigeants et potentiellement d'actionnaires depuis la date de l'approbation de la licence, mais ces nouvelles conditions créent la possibilité que d'autres conditions soient imposées au titulaire de licence si l'incidence nette de tels changements est perçue comme étant suffisamment défavorable.
- Incertitude relative aux opérations en cours. L'effet immédiat de la règle, qui ne prévoit pas de disposition de droit acquis accordant une dispense des nouvelles exigences en matière de transfert ou les intégrant de manière graduelle, pourrait être extrêmement problématique pour les cessionnaires qui ont signé des marchés dont la clôture n'est pas encore survenue ou qui ont signé et clos des marchés, mais qui ne peuvent maintenant pas procéder au transfert de la licence sans donner d'autre garantie. Selon la façon dont les déclarations, garanties et engagements sont rédigés dans les conventions de vente régissant les obligations de transfert de licence, des réclamations pour violation pourraient être présentées si les exigences de garantie potentiellement considérables ne sont pas satisfaites.
- Restreindre le marché potentiel d'acheteurs. Bon nombre de titulaires de licence exercent actuellement leurs activités sous le seuil de NGP de 2,0 (le document de l'AER intitulé Liability Management Programs Results Report, daté du 4 juin 2016 (qui peut être téléchargé ici) indique que 569 titulaires de licence avaient une NGP inférieure à 2,0 et seulement 219 avaient une NGP d'au moins 2,0; 207 titulaires de licence se situaient dans la fourchette entre 1,0 et 2,0). On s'attend à ce que le fait que de doubler l'exigence de NGP minimale à 2,0 encouragera d'autant plus la séparation des actifs à faible rendement ou non rentables de ceux qui ont une meilleure valeur, exacerbant ainsi davantage l'effet de la décision Redwater. Les actifs sous licence qui sont légèrement rentables ou qui ont pour effet d'affaiblir la NGP d'un portefeuille d'actifs seront probablement laissés de côté par les fiduciaires dans le but d'améliorer la NGP pour qu'elle atteigne le seuil de 2,0, et d'améliorer également la valeur commercialisable potentielle des actifs d'un débiteur qu'ils tentent de vendre. Si cela se produit, il est difficile d'évaluer comment le risque pour les Albertains sera minimisé.
- Limiter les occasions pour les plus petits producteurs. Les producteurs de plus petite taille qui sont plus susceptibles d'avoir une NGP dans la fourchette entre 1,0 et 2,0 se voient par le fait même empêchés de procéder à des opérations entre eux visant à transférer des propriétés sous licence de l'AER ou d'acquérir d'autres actifs sous licence de l'AER, à moins que ces acquisitions leur permettent de hausser leur NGP au-dessus de la barre de 2,0. Comme il a été mentionné ci-dessus, cela signifie qu'au moins 207 titulaires de licence sont directement touchés. Une faible NGP existante conjuguée à la NGP des actifs que les fiduciaires cherchent à vendre fait en sorte qu'il est peu probable que ces producteurs soient en position de se prévaloir d'occasions de croissance par voie d'acquisitions. Les prêteurs pourraient aussi être moins enclins à mettre du crédit à leur disposition pour faciliter ces opérations lorsque le ratio de la NGP de l'emprunteur tombe sous le seuil de 2,0.
Il est évident que ce Bulletin représente pour l'AER une mesure provisoire visant à lui permettre [traduction] « d'élaborer des mesures réglementaires plus larges et permanentes conformément à la politique du gouvernement en réponse à la décision Redwater ». Entre-temps, le secteur fragilisé de l'énergie en Alberta se prépare encore une fois à absorber l'impact considérable de cette décision, du résultat des examens en cours des prêteurs, de l'appel dans l'affaire Redwater et de la réponse que lui donnera le gouvernement.